Les pratiques ont beaucoup évolué

En troisième année d’études, j’ai eu le déclic pour m’orienter vers une pratique rurale. Au cours de mon stage, le praticien m’a encouragée à effectuer des agnelages et m’a complimentée sur mes capacités. Je me suis sentie mise en avant. Très peu de femmes exerçaient alors en rurale, et j’ai dû faire mes preuves auprès des éleveurs. Certains m’aidaient, mais d’autres me regardaient sans bouger et je me sentais jugée. Encore aujourd’hui, certaines activités semblent plus masculines. Un client préfère, par exemple, appeler un confrère pour le parage des pieds, alors que j’interviens pour tout le reste.

D’abord salariée, j’ai été associée durant 20 ans. Lorsque j’ai commencé, les instruments de chirurgie baignaient dans un bac en inox avec de l’ammonium quaternaire et la femme de mon employeur trouvait que les stériliser dans un four était onéreux. Nous réalisions de nombreuses interventions et peu d’éleveurs venaient chercher des médicaments. Je travaillais six à sept jours par semaine, et mes deux enfants ont assisté à pas mal de vêlages en poussette. Toutefois, il y avait toujours une grand-mère dans la ferme pour s’en occuper.

Désormais, les conditions de travail ont évolué. Les blouses jetables ont remplacé le tablier de vêlage (lui-même successeur des chemises prêtées par l’éleveur), et le téléphone portable change la vie. Il y a dix ans, j’ai créé une petite structure à forte prédominance rurale, et recruté deux consœurs salariées (mais pas d’auxiliaire). Elles travaillent 35 heures hebdomadaires et cela ne facilite pas le partage des gardes.

Le concours ne sélectionne pas sur la force

Au début, j’avais l’impression d’être en avance sur mon temps, car je réalisais un certain nombre d’examens complémentaires. Désormais, je me sens cependant un peu débordée par une médecine de plus en plus pointue dédiée aux animaux de compagnie. À la campagne, de nombreuses personnes recherchent encore la simplicité dans les diagnostics et les traitements. Le rapport avec les éleveurs est important : nous allons chez eux, nous les connaissons, nous les tutoyons. C’est très agréable. Il y a peu de clients, mais ce sont des fidèles.

Depuis de nombreuses années, mes stagiaires vétérinaires sont des filles. Pourtant, la rurale n’est pas tellement un métier de femme, même s’il est très intéressant. J’ai trouvé ma voie car je suis sportive et j’aime les chal­lenges, mais l’école ne nous prépare pas forcément à la pratique rurale. Nous sommes uniquement sélectionnés sur nos capacités intellectuelles, et non sur la longueur de nos bras ou une forme physique d’exercice. De nombreux actes sont réalisables par des femmes, car ce n’est pas toujours la force qui compte, mais il faut avoir la volonté d’y arriver. Les jeunes consœurs qui envisagent de faire du conseil devront aussi continuer à consul­ter les animaux. Il est plus difficile d’être rémunérée pour du conseil. Selon moi, il est réservé aux personnes qui ont de l’expérience.