La rage, une maladie toujours d’actualité - La Semaine Vétérinaire n° 1619 du 27/02/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1619 du 27/02/2015

Dossier

Auteur(s) : Marine Neveux

Le dernier cas de rage autochtone chez un renard en France a été relevé en 1998. En 2001, la France a été déclarée indemne. Pour autant, la maladie et sa prévention restent de rigueur dans le monde, où elle tue encore une personne toutes les dix minutes, et en France, avec un risque toujours pesant de réémergence via des cas d’importation, par exemple.

La rage fait de temps à autre quelques apparitions aux yeux du grand public dans l’Hexagone avec des cas médiatiques, tel que celui, en Gironde en 2004, d’une chienne importée du Maroc en été. Celui-ci a nécessité des mesures de communication destinées à éviter une transmission alors que le maître et la chienne avaient parcouru plusieurs festivals de rue dans le grand Sud-Ouest. Il n’y a pas eu de cas secondaires.

La rage n’est donc pas une maladie du passé, ainsi que l’ont rappelé les experts en la matière le 9 octobre 2014, lors de la journée organisée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) et le ministère de l’Agriculture dans les locaux de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) à Paris1.

DES CAS GÉNÉRANT UN NÉCESSAIRE BATTAGE MÉDIATIQUE

Ce type d’alerte médiatique a un impact sur la prescription qui résulte de cette campagne d’information. « Au moment de l’épisode de 2004, la courbe observée de consommation de vaccins antirabiques est en hausse, avec 3 053 vaccinations antirabiques et 1 581 prophylaxies postexposition supplémentaires à la suite, directement ou indirectement, de ce cas, explique notre confrère Hervé Bourhy, directeur du Centre national de référence pour la rage à l’Institut Pasteur. Les personnes viennent bien consulter lors d’alerte médiatique. » Face à ces événements, il existe une énorme mobilisation des services de l’État.

En 2008, un cas de rage est confirmé en Seine-et-Marne chez une chienne nommée Cracotte. Cet animal constitue alors le troisième maillon dans la chaîne de contamination. En effet, un premier chien a été infecté au Maroc lors d’un long séjour. À son retour, il a contaminé une première chienne, qui a ensuite transmis la maladie à Cracotte. « L’année 2008 a vu 152 prophylaxies postexposition et la perte du statut indemne de rage de la France », poursuit notre confrère.

LA RAGE, UN RISQUE OMNIPRÉSENT

Sur le continent américain, un variant de la rage des chauves-souris entraîne des expositions chez l’homme via des morsures aux oreilles, aux orteils et aux mains. Il s’agit donc d’un problème pour les pays situés dans ces zones, ainsi qu’en Guyane. La rage peut franchir la barrière d’espèce. « En Guyane française, des cas dans des villages reculés posent des problèmes de prise en charge », souligne Hervé Bourhy.

L’exposition chez les voyageurs augmente, en outre, d’année en année. Il s’agit d’un mécanisme général : en raison de la relation de la France avec le tourisme, certains pays tels que ceux d’Afrique du nord sont plus impliqués concernant le risque rabique. La rage est négligée dans de nombreuses régions du monde. « Elle n’est pas maîtrisée, indique Hervé Bourhy. Ce risque de réintroduction est susceptible de remettre en cause le statut indemne de la France et implique également le système d’épidémiosurveilance. » Dans le cas de cette maladie, le concept One health prend tout son sens : le maintien de la surveillance est indispensable et le coût lié au contrôle des entrées est important. Selon notre confrère, « il est certainement possible d’aider à améliorer la situation sanitaire dans les pays concernés et de travailler à l’information des médecins sur ce sujet. Le public est sensible à ces campagnes d’information. » Un travail de pédagogie est en outre réalisé auprès des médecins. « Des recommandations nationales sur la prise en charge de la rage sont nécessaires. Cela existe chez les populations exposées aux chiroptères, mais pas pour les autres », déplore Hervé Bourhy.

Les aspects sociétaux modifient également la donne : « Nous notons aujourd’hui un décalage entre les besoins croissants et le principe de protection, ceux de se sentir protégés des risques biologiques et, à l’opposé, la place de l’animal domestique en évolution dans la société ». En conclusion, il importe d’informer davantage le public sur ces risques.

CLARIFIER LES MÉTHODES DE LUTTE

Les normes OIE sont regroupées autour du Code terrestre et du Manuel terrestre. « L’OIE a pour rôle important de clarifier les méthodes de lutte, développe notre confrère Alain Dehove (OIE), dans un objectif de santé publique. » La logique de la norme OIE consiste à renforcer la surveillance dans les pays membres. « La vaccination est un point important. Celle des chiens errants et le contrôle de ces populations sont essentiels. » Des recommandations sur le contrôle des importations sont également formulées. Un chapitre du Code insiste sur la responsabilité des services publics et du secteur privé. Le cadre réglementaire inclut la vaccination, l’identification, les déplacements, des propriétaires responsables, etc. « Dans la logique de bien collectif, ces vaccinations sont prises en charge par les pouvoirs publics, poursuit Alain Dehove. Nous encourageons les pays à allouer des ressources contre la rage. La sensibilisation des populations est également nécessaire. » Les mesures de contrôle passent aussi par la sensibilisation, l’identification, le contrôle de la reproduction des animaux, les déplacements, la capture et la manipulation, l’euthanasie. « Dans les normes figurent également des recommandations en matière d’évaluation des programmes nationaux », précise notre confrère. Concernant la rage, le message est simple : « Nous conseillons la vaccination des chiens, sans nous diriger vers des systèmes bureaucratiques compliqués. » L’OIE est vigilante sur la qualité des vaccins afin de ne pas rompre la confiance sur l’efficacité de la vaccination. « Il est difficile de mobiliser les bailleurs de fonds sur ce sujet », indique Alain Dehove.

VACCINER LES CHIENS EST ESSENTIEL

Le message de l’OIE est donc la vaccination des chiens, qui sont la principale source de rage dans les pays en voie de développement, et la mobilisation des bailleurs de fonds pour rompre la transmission entre cette espèce et l’homme.

Un effort global de communication est donc mis en œuvre pour expliquer la problématique sanitaire aux populations, la nécessité d’une consultation lors d’exposition, etc. La communication concerne aussi les bailleurs de fonds et la nécessaire mobilisation. « Les services de santé publique ont des systèmes pour traiter les hommes, mais ils ne règlent pas le problème à la source », souligne Alain Dehove. Dans les pays à fort risque, la dépense est importante, alors que des solutions très simples existent à la base pour régler le problème. « Certes, il convient de mener une transition au début en cumulant les deux montants. » En outre, l’OIE estime qu’il s’agit d’un bien public et que les services vétérinaires ont un rôle à jouer. « La population de chiens errants n’est pas si volumineuse que cela, selon Alain Dehove. Si les hommes se mobilisent dès aujourd’hui, il est possible de la vacciner et d’atteindre 70 % de vaccination. Il manque une stratégie internationale. Certains pays commencent à afficher des objectifs d’éradication ». Parmi les recommandations, l’OIE met en avant la nécessité de faciliter l’échange d’informations entre les services de santés vétérinaire et humaine. Il convient en outre d’envisager une répartition budgétaire. « Il faut que ce soient des campagnes qui s’inscrivent dans la durée », poursuit notre confrère. Des variations régionales existent, notamment sur le mode de vie des animaux. Par conséquent, les campagnes de vaccination sont à adapter au contexte et au terrain. « La seule élimination des chiens ne suffit pas : cela n’a jamais réglé le problème à la source. Nous avons signalé à plusieurs reprises les notifications insuffisantes. » Enfin, l’OIE encourage les pays à avoir un bon réseau de laboratoires, à confirmer par un autre de collecte.

LA RAGE EN EUROPE

En Europe, la rage circule via le Lyssavirus de génotype 1, en particulier avec le renard roux. « Le virus est transmis aisément, du fait d’une étroite coadaptation du virus hôte », explique Emmanuelle Robardet, du laboratoire de Nancy (référence de l’Union européenne). Le virus est spécifique à son hôte naturel.

Les deux méthodes diagnostiques sont la technique du test d’immunofluorescence (FAT) et le test d’isolement en culture cellulaire (le plus largement utilisé). « Ces techniques font l’objet d’une harmonisation des méthodes et des procédures, et cela assure une bonne comparabilité des résultats au niveau européen », poursuit Emmanuelle Robardet.

Il existe une grande disparité du risque dans le monde et, en Europe, celui-ci est faible. Cependant, à l’est de ce continent, il est modéré. La France est ainsi entourée de zones à risque élevé.

À propos du contrôle aux frontières, la législation régit la rage pour les animaux. « Il est également possible de réduire les populations d’animaux, mais cette méthode n’est pas recommandée car elle se révèle inefficace à long terme », commente Emmanuelle Robardet. Il existe une vaccination contre la rage des mammifères domestiques par des appâts oraux et des législations nationales spécifiques lors de cas, ainsi que pour les animaux suspects lors de suspicion humaine. La lutte contre la rage se fonde aussi sur la prophylaxie postexposition et la vaccination préventive contre la maladie chez les personnes à risque.

La situation épidémiologique de la rage vulpine en Europe a fortement évolué après les premières campagnes de 1967 en Suisse (voir figure ci-dessous). Les campagnes de vaccination orale sont évaluées par la Commission européenne grâce à des indicateurs et un comité d’experts. L’objectif est l’harmonisation des techniques et la conservation à l’échelle européenne des performances de diagnostic comparables. « Les campagnes de vaccination ont essentiellement lieu à l’est de l’Union européenne, détaille Emmanuelle Robardet. Des programmes sont également proposés aux frontières de la Russie, en Ukraine, pour limiter le front de la rage et sa progression d’est en ouest. »

Les difficultés rencontrées peuvent concerner la surveillance événementielle (souvent, une insuffisance sur les zones infectées et aussi celles libérées). Les difficultés sont également susceptibles de porter sur « les stratégies de vaccination, analyse Emmanuelle Robardet. Il n’y a parfois qu’une seule campagne par an, ce qui est insuffisant. Parfois les actions sont arrêtées trop tôt, ou encore la méthode de largage n’est pas satisfaisante. » D’autres points sont à prendre en compte : l’évaluation des campagnes de vaccination orale avec la difficulté d’obtenir des renards sains, le manque de coordination entre les pays voisins, etc.

Concernant la rage canine en Europe, on n’observe pas de cycle via les chiens, excepté en Turquie. Les cas de rage sont le résultat de la contamination par un animal sauvage d’un autre domestique, ou par un animal domestique enragé venant d’un pays endémique. La vaccination antirabique est prévue pour protéger les animaux individuellement, mais aussi pour éviter la transmission du virus aux autres animaux et à l’homme.

Les cas de rage importés en Europe sont principalement dus à des chiots et sont, pour moitié, en provenance du Maroc. « C’est un problème récurrent qui n’évolue pas vraiment », constate Emmanuelle Robardet. La Russie révèle une forte pression et une lourde présence de la rage. Dans certains pays, peu de cas de rage sont constatés, mais ce phénomène est peut-être dû à des problèmes de surveillance…

LA RAGE DES CHIROPTÈRES

Les chauves-souris sont protégées en Europe et en France. La rage de cet animal est due à plusieurs espèces de virus (voir figure en page 33). Quatre agents pathogènes ont été isolés en Europe parmi les chauves-souris autochtones. « La rage des chauves-souris et celle terrestre sont indépendantes : ce sont des virus distincts », précise Évelyne Picard-Meyer (Anses, Nancy). Quatre variants sont répartis différemment aussi bien d’un point de vue génétique que géographique. Les Lyssavirus isolés chez les chauves-souris ne franchissent que rarement la barrière d’espèce. Des cas ont été notés en Allemagne en 2001 chez une fouine, le mouton, et des chiens en 2003 et 2007.

En France, le réseau d’épidémiosurveillance de la chauve-souris s’est densifié. Le risque lié à ces animaux est considéré comme négligeable pour la population générale, mais les chiroptérologues s’y intéressent. Les cadavres de chauves-souris sont souvent trouvés dans un environnement proche de l’homme. Tous ces chiroptères sont transmis via le réseau des services vétérinaires lors de suspicion humaine.

« Il existe aussi le réseau des chiroptérologues en l’absence de suspicion : ces bénévoles sont autorisés à effectuer des tests chez des chauves-souris et à les envoyer au laboratoire, explique Évelyne Picard-Meyer. Depuis 2007, un changement de notre méthode a permis de délivrer des autorisations à ces chiroptérologues : les cartes ne sont remises qu’aux personnes vaccinées à titre préventif contre la rage. »

  • 1 Lire aussi La Semaine Vétérinaire n° 1602 du 24/10/2014 en pages 27 à 33.

LES BANQUES DE VACCINS

À propos de la notion de banque de vaccins, « nous pensons qu’il s’agit d’un outil important pour favoriser les campagnes de vaccination », explique notre confrère Alain Dehove (OIE). L’objectif est de vacciner 70 % des chiens au minimum afin de rompre le cycle, avec des vaccins de haute qualité.

« C’est également l’occasion de réduire les procédures d’appel d’offres. »

« Avec le soutien de l’Union européenne, nous avions une banque de vaccins en Asie et une extension en Europe jusqu’à fin 2014, poursuit notre confrère. Nous sommes en train de modifier le contrat pour aller jusqu’à fin 2015, en attendant la conférence de 2016. » En outre, les Philippines ont bénéficié de 800 000 doses avec la banque de l’OIE. Le pays demande 6 250 000 doses aujourd’hui avec la logistique et l’Organisation mondiale de la santé. Les Philippines se sont mobilisées sur des fonds gouvernementaux pour mener une campagne à grande échelle. « Nous constatons donc un encouragement, puis une mobilisation massive ».

Par ailleurs, un projet mené au Mali (avec Swiss Tropical and Public Health Institute ou Swiss TPH) a concerné 8 000 doses en août 2014.

VACCINATION ORALE DE LA FAUNE

La vaccination orale de la faune sauvage fait appel à des appâts vaccinaux : un vaccin est intégré dans un enrobage appétant pour l’espèce cible. Celui-ci est associé à un marqueur biologique (la tétracycline). La distribution des appâts s’effectue au printemps (avril-mai) et en automne (septembre-novembre). Une vingtaine d’appâts sont disposés par kilomètre carré. La méthode par distribution aérienne est la plus efficace.

L’idée en bref

→ La rage reste aux frontières de la France. La rage canine concerne 10 cas d’importation en 12 ans dans notre pays. Il convient donc d’être vigilant face aux importations illégales. Même si ces cas sont rares, la proximité avec l’homme fait qu’ils peuvent être dramatiques (la personne venant du Mali et décédée en France en 2013, par exemple).

→ Le contrôle de la rage mobilise de nombreux secteurs et compétences. C’est un gros travail de mobilisation. Même si elle est indemne de rage classique, la France reste exposée à la maladie, par des cas d’importation de rage chez les chauves-souris. Le maintien et le renforcement de la surveillance événementielle se révèlent donc nécessaires. En France, le réseau d’épidémiosurveillance de la chauve-souris a aussi été intensifié.

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