Prophylaxie de la tuberculose : des praticiens ruraux exaspérés - La Semaine Vétérinaire n° 1615 du 30/01/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1615 du 30/01/2015

Dossier

Auteur(s) : Serge Trouillet

Cette année, certains praticiens ruraux ont décidé de boycotter la campagne hivernale de prophylaxie de la tuberculose. Ils pointent un manque de considération récurrent de leur travail, dont ils jugent la rémunération notablement insuffisante.

Selon le Bulletin épidémiologique1 d’octobre 2014, la situation sanitaire de la France vis-à-vis des maladies réglementées est excellente. Avec une incidence2 annuelle inférieure à 0,1 %, la tuberculose bovine est une maladie rare. Toutefois, rappelle le bulletin, le statut de territoire officiellement indemne n’équivaut pas à l’éradication de l’affection. La vigilance est de mise, notamment « parce que la situation sanitaire n’est pas aussi favorable dans tous les pays avec lesquels nous sommes en contact, soit par proximité géographique, soit par les échanges d’animaux ou de produits ». Il n’en reste pas moins que la situation globalement favorable de la France est présentée comme « le résultat d’un plan d’action très complet, visant toutes les facettes de la surveillance et de la lutte, et dont nous commençons à entrevoir les fruits, grâce en particulier à l’implication de l’ensemble des acteurs ».

Tout semblerait donc pour le mieux si ce n’était l’exaspération des praticiens, associés à ce résultat ! Ceux-ci considèrent en effet qu’ils ne sont pas rémunérés à la mesure du travail qu’ils fournissent dans le cadre de cette prophylaxie. Accusés par-ci par-là d’être des « parasites qui sucent le sang des éleveurs », s’entendant dire que « la prophylaxie est un pactole pour les vétérinaires », déplorant que « moins payer le praticien tient souvent lieu de discours, par principe, du syndicalisme agricole » et furieux que « l’État, en cas de désaccord, donne systématiquement la préférence aux propositions des éleveurs », ils se sentent « coincés, ignorés » !

TROP, C’EST TROP !

Philippe Grunwald (A 83), praticien mixte à Évron (Mayenne), est particulièrement mécontent. Il rappelle que, lors des épizooties de fièvre aphteuse, de grippe aviaire et d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), tous les ministres de l’Agriculture successifs témoignaient de leur « absolue confiance dans leur gestion grâce au maillage vétérinaire très dense en France ». Que celui-ci avait été vivifié depuis des décennies par les campagnes de prophylaxie concernant la tuberculose, la fièvre aphteuse, la brucellose, pour lesquelles, se félicite-t-il, « les générations qui nous ont précédés étaient bien payées ». Ce n’est plus le cas, selon lui, aujourd’hui : « La raréfaction des prophylaxies rend l’intervention des vétérinaires non rentable. Si l’on veut disposer de libéraux corvéables à merci, la moindre des choses consiste à les rémunérer convenablement. Trop, c’est trop ! »

Jean-Yves Gauchot (T 90), praticien mixte équin au Bugue (Dordogne), dresse la même analyse. Président du syndicat départemental des vétérinaires d’exercice libéral (SDVEL) 24, il défend le travail de ses confrères qui sont à l’œuvre dans une région où les conditions d’élevage et de contention des limousines allaitantes sont « problématiques pour la réalisation des intradermo-tuberculinations (IDT) ». Pourtant, soutient-il, « les découvertes de foyers de tuberculose sont désormais majoritairement le fait des prophylaxies et non celui de l’abattoir ». Alors pourquoi la situation déborde-t-elle cette année ? « Parce que, si occupés à nous mettre en ordre de marche pour faire du bon travail, nous n’avons jamais crevé l’abcès ! »

CHANGEMENT DU MODÈLE ÉCONOMIQUE DES PRATICIENS EN RURALE

Selon Jean-Yves Gauchot, le dépistage de la tuberculose a poussé certains cabinets du département à cesser leur activité en rurale en raison des contraintes administratives, de la forte responsabilité qu’il implique, des interventions chronophages et sous-valorisées, des seuils de dépistage trop sensibles pour le test de dosage de l’interféron gamma, qui conduisent à des abattages diagnostiques plus nombreux. « Cela crée des relations tendues avec les éleveurs et nous sommes insuffisamment rémunérés pour faire de la pédagogie. » Le prix se révèle un peu élevé, observe Jean-Yves Gauchot, au moment où les éleveurs n’ont presque plus besoin du vétérinaire : « Les ventes d’aliments et les inséminations sont réalisées par d’autres que nous, la délivrance de médicaments est faible en élevage extensif et concurrencée par les groupements, la prophylaxie ne représente plus rien dans le chiffre d’affaires. Je peux l’arrêter. Mais si je le fais, je ne fais plus le lien social avec l’éleveur, avec le citoyen : je distends le maillage sanitaire ! »

Le modèle économique des vétérinaires a changé. D’importants cabinets reprennent les clientèles des praticiens qui arrêtent, et continuent ainsi d’assurer le service en rurale. Leur organisation de travail permet d’offrir des rythmes de vie normaux. Bref, le maillage sanitaire tient bon, mais pour combien de temps ? « Concernant la prophylaxie, nous sommes les dindons de la farce », constate amèrement Laurent Perrin (L 84), praticien mixte à Valençay (Indre), secrétaire général du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL). « Ceux qui, comme moi, sont de la vieille école considèrent encore qu’ils ont un devoir vis-à-vis de l’État et des éleveurs. Mais c’est un état d’esprit qui disparaîtra chez les plus jeunes d’entre nous, plus pragmatiques. L’économie primera. La comptabilité analytique aura la peau de la prophylaxie ! »

FIN DU CONTRAT SOCIAL ENTRE LES VÉTÉRINAIRES ET LES ÉLEVEURS

Le modèle des tournées de prophylaxie a vécu. Auparavant, la prophylaxie était généralisée. Les exploitations étaient plus petites, les bêtes attachées, le taux d’infections tuberculeuses se révélait suffisamment important pour que des animaux positifs soient toujours détectés. Aujourd’hui, dans le sud de la Dordogne, par exemple, explique Jean-Yves Gauchot, « les troupeaux se sont raréfiés. L’élevage est extensif, il faut déplacer à chaque fois le couloir de contention. Nous traitons un cheptel par-ci, un autre par-là ». Sans compter que le dépistage est une opération délicate : « L’intradermo-tuberculination consiste à faire une toute petite injection de 0,1 ml par voie intradermique, chez des bêtes qui bougent constamment, puis il faut mesurer au millimètre près. Dans notre jargon, nous appelons ça du travail d’orfèvre les pieds dans la bouse ! »

Les prophylaxies ne sont plus, désormais, le pilier fondateur du contrat social entre les cabinets vétérinaires et les éleveurs. Il s’agit d’un vrai changement de paradigme. Le contrat sanitaire s’articulait autour de la prophylaxie, dont le volume permettait de tenir le modèle économique : un peu d’équine et de canine, quelques médicaments et des vêlages en pleine nuit jamais revalorisés depuis 25 ans ! Aujourd’hui, ce modèle s’effondre : « En mode libéral, les dépenses ne peuvent excéder les recettes. L’État est hypocrite en laissant les parties s’arranger entre elles sur les tarifs. Nous ne savons pas négocier avec les éleveurs qui sont, de plus, en crise depuis des années », lâche Jean-Yves Gauchot.

L’APPEL DU BON FANTASSIN DU SANITAIRE

Si la résurgence de foyers de tuberculose n’est pas anecdotique, les vétérinaires n’en sont dorénavant plus tenus pour responsables. Tous les experts, tant les évaluateurs que les gestionnaires du risque, ont pris conscience des changements à opérer dans la prise en charge de la maladie. Un seul maillon est oublié, selon Jean-Yves Gauchot : le vétérinaire libéral. « Dans notre société des 35 heures, il reste le bon fantassin du sanitaire payé avec un lance-pierre. » Que propose-t-il ? Une négociation nationale de la rémunération des prophylaxies et une aide au maintien des vétérinaires sanitaires dans les zones rurales qui ne sont pas spécifiquement des terres d’élevage. « Le tutorat est une piste intéressante. Encore faut-il que l’État ne laisse pas les cabinets supporter seuls le poids de l’accueil et de la formation des stagiaires sur place ! Dans certains départements, tels que les Alpes-Maritimes, le conseil général attribue une aide aux vétérinaires ruraux. »

À l’occasion du dernier comité de pilotage de la tuberculose, le SNVEL a demandé la mise en œuvre d’une grille tarifaire harmonisée. Qu’il n’y ait plus, ici, un forfait de déplacement, là, un tarif au kilomètre ; ici, un cumul visite-tuberculination, là, un non-remboursement de la tuberculine, etc. « La nomenclature doit être uniformisée, estime Laurent Perrin. Les frais d’approche peuvent être négociés au cas par cas, mais pas l’acte de tuberculination, ni la prise de sang. Nous pourrons affiner les tarifs selon le système de contention et, surtout, les réévaluer. Nous sommes payés à peu près la moitié de ce que nous facturerions en libéral à l’heure. Personne n’a intérêt à ce que, faute d’accord entre les parties, l’exaspération des vétérinaires gagne toutes les campagnes. »

  • 1 Le Bulletin épidémiologique est une publication conjointe de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail et de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) du ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt.

  • 2 Nombre de nouveaux cas d’une maladie dans une population.

  • 3 L’année civile 2013 correspond à la fin de la surveillance organisée en 2012-2013 et au début de la campagne de surveillance organisée en 2013-2014, selon des modalités qui ont pu varier légèrement.

  • 1 Voir le tableau des tarifs en page 33.

UNE CENTAINE DE FOYERS PAR AN

La situation sanitaire de la France vis-à-vis de la tuberculose bovine est globalement satisfaisante. La plupart des départements (54) ont arrêté les tuberculinations systématiques depuis plusieurs années. Au total, durant l’année 20133, 14 477 exploitations détenant des bovins ont fait l’objet d’intradermo- tuberculinations simples (IDS) ou comparatives (IDC), soit 6,6 % des élevages environ. Le taux d’incidence annuel est resté largement inférieur à 0,1 %. Dans la plupart des cheptels infectés détectés, le nombre d’animaux présentant des lésions est extrêmement limité.

Selon les cas détectés l’année précédente, le zonage a été adapté. Ainsi, le dépistage est renforcé dans les Ardennes et la Mayenne, tandis que le nombre de troupeaux laitiers testés a diminué en Loire-Atlantique et dans le Morbihan. Les départements de la Charente, de la Côte-d’Or, de la Dordogne et des Pyrénées-Atlantiques représentent 6 % environ des troupeaux français, mais concentrent 38 % de ceux testés en IDS et 66 % de ceux qui ont fait l’objet d’une IDC.

Du reste, la répartition géographique de la maladie a légèrement évolué en 2013. La zone sud-ouest concentre désormais la majorité des foyers incidents, dans des zones à risque dont les contours semblent se préciser. L’imbrication des élevages, via les contacts de voisinage et la présence de faune sauvage infectée, laisse présager que plusieurs années seront nécessaires pour maîtriser la situation et maintenir durablement les efforts de surveillance. Les 902 cabinets vétérinaires qui sont intervenus en prophylaxie de la tuberculose bovine en 2013 ont réalisé 226 552 IDC et 491899 IDS.

Du 1er janvier au 20 octobre 2014, 95 foyers de tuberculose en élevage bovin ont été détectés en France, ce qui est équivalent à la situation à la même date en 2013 (96 foyers). Parmi ceux-ci, 42 (44 % des foyers français) se situent en Aquitaine. En ajoutant à cette région les départements limitrophes de la Dordogne, cette zone totalise 58 foyers, soit 61 % des foyers français. Une diminution nette des foyers en Côte-d’Or (9 foyers : 50 % par rapport à 2013) est notée.

OLIVIER SERRE (A 97), PRATICIEN EN RURALE À BACQUEVILLE- EN-CAUX (SEINE-MARITIME), PRÉSIDENT DU SDVEL 76

TROUVER UN POINT D’ÉQUILIBRE AVEC LE GDS

En Seine-Maritime, il existe une zone de surveillance de la tuberculose bovine autour de la forêt de Brotonne. Au début des années 2000, l’abattage total des grands cervidés a été décidé dans cette forêt de 7 000 ha. Il en resterait encore une dizaine actuellement. Une réintroduction de ces animaux sera mise en œuvre lorsque l’opération aura été totalement effectuée. Des contrôles réguliers sont également menés sur les sangliers, avec chaque année des résultats positifs (cinq en 2014). La mise en œuvre de l’éradication des grands cervidés et la diminution drastique des populations de sangliers sur le massif ont permis de réduire fortement la pression d’infection. Néanmoins, un cheptel a été abattu en 2013 à la suite de la découverte de lésions confirmées à l’abattoir.

Le test systématique en IDS est réalisé chaque hiver sur les cheptels de la zone Brotonne. Afin d’éviter un certain nombre de réactions douteuses, le vétérinaire conseillera cette année, si besoin, à l’éleveur d’opter pour l’IDC. Les tarifs4, à cette occasion, ont fait l’objet d’une réévaluation. Après la remise à plat des avantages et des inconvénients des IDS et des IDC, et de la nécessité d’une excellente contention pour que nous puissions réaliser les intradermo-tuberculinations dans les meilleures conditions, nous sommes parvenus à nous entendre, avec le groupement de défense sanitaire, sans avoir besoin de solliciter le recours du préfet. Pour que la tuberculination soit bien faite et efficace, elle doit être rémunérée selon un consensus avec les éleveurs. Nous avons toujours essayé, lors des commissions bipartites, de ne jamais aller jusqu’au conflit et de trouver un point d’équilibre, de façon à travailler correctement ensuite. Lorsque le préfet tranche, personne n’est satisfait, au préjudice de tous.

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