Combiner la lutte contre les parasites et la préservation de l’environnement - La Semaine Vétérinaire n° 1610 du 19/12/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1610 du 19/12/2014

Formation

ÉQUIDÉS

Auteur(s) : A. Échassoux*, B. Enriquez**, J. Gasparini***, N. Kadiri****, J.-P. Lumaret*****

Fonctions :
*réserve de biosphère
de Fontainebleau et du Gâtinais.
**unité de pharmacie- toxicologie, Inserm, ENVA.
***université
Pierre-et-Marie-Curie, Paris.
****laboratoire de zoogéographie,
CNRS, université de Montpellier.
*****laboratoire de zoogéographie,
CNRS, université de Montpellier.

L’effet sur la faune coprophage (en particulier les bousiers) d’antiparasitaires aux propriétés insecticides est maintenant bien connu, notamment chez les bovins. Les traitements du bétail sont au centre des préoccupations de la profession et le nombre des prescriptions de précaution diminue. Qu’en est-il chez le cheval, qui fréquente assidûment les espaces naturels dans de nombreuses régions et dont les fèces sont susceptibles de contenir des molécules nocives pour la faune coprophage ?

La réserve de biosphère de Fontainebleau et du Gâtinais, programme pour l’homme et la biosphère de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), cherche à faire émerger des solutions de gestion coélaborées par les acteurs locaux sur des bases scientifiques et participatives. Sur les quelque 150 000 ha que compte la réserve de biosphère, plus de 3 000 chevaux vivent dans les 80 centres équestres et chez des particuliers, selon les estimations.

L’activité équestre se traduit ici par des concours, mais la randonnée en forêt y est également très développée, ce qui inquiète les naturalistes : « De nombreux géotrupes s’agitent pattes en l’air autour d’un crottin, terrassés par l’appât toxique », explique Philippe Bruneau de Miré, entomologiste retraité qui observe les insectes sur le massif forestier depuis plusieurs décennies. En 2012, un travail de recherche et d’action a donc été lancé pour évaluer et corriger l’effet de la fréquentation quotidienne de la forêt par des centaines de chevaux.

EFFETS AVÉRÉS SUR L’ENTOMOFAUNE APRÈS LES TRAITEMENTS

Chez les bovins, les études révèlent que les résidus des pyréthrinoïdes dans les fèces entraînent l’élimination des larves de diptères pendant 7 à 14 jours post-traitement (Virlouvet et coll. 2006). Dans les champs, la mort des bousiers adultes est observée après l’administration de fluméthrine au bétail. Quant aux avermectines et aux milbémycines, faiblement biodégradables, leur action sur les larves de bousier n’est pas négligeable et leur toxicité est également importante pour les organismes aquatiques (Lumaret et coll. 2012).

Il est donc possible que les traitements des chevaux aient eux aussi, ainsi que le dénoncent les naturalistes et l’Office national des forêts, gestionnaire de la forêt domaniale du massif de Fontainebleau, un effet sur les populations de coléoptères et, ainsi, sur l’ensemble de la chaîne trophique.

ÉTUDE EXPLORATOIRE

Deux axes de recherche sont explorés : les pratiques de traitement des chevaux dans les centres équestres (enquête sociale) et une comparaison des populations de coléoptères coprophages des zones très et fort peu fréquentées par les équidés (étude écologique).

→ La moitié des 47 centres équestres sollicités ont répondu à l’enquête. 70 % d’entre eux déclarent traiter les chevaux contre les parasites internes trois ou quatre fois par an, à l’ivermectine ou à la moxidectine, des molécules majoritairement employées (mais dont la toxicité diffère; Perez et coll. 1999), alors que un ou deux traitements annuels seraient généralement suffisants. Plus inquiétant, 48 % des chevaux sont traités sans avis vétérinaire, sur simple décision du propriétaire ou de l’hébergeur de l’animal.

→ L’étude écologique consiste à comparer les effectifs relatifs des insectes dans des zones fréquentées ou non par les chevaux, par piégeage des coléoptères coprophages à l’aide de pièges attractifs (utilisation du modèle standard CSR décrit par Lobo et coll. 1988).

Il s’agit d’une première approche corrélative. Des différences qualitatives et quantitatives des coléoptères coprophages selon la présence ou l’absence des chevaux sont-elles notées ? Des variations sont-elles observées lors des périodes où les animaux sont davantage traités, en particulier en avril et en juillet, comme le déclarent les centres équestres ?

Il apparaît qu’entre 2012 et 2014 les coprophages ne présentaient pas le même niveau d’abondance dans les zones fréquentées par les chevaux par rapport aux aires qui ne l’étaient pas, classées en réserves biologiques intégrales (mais où la présence de fèces de la faune sauvage est notée). Au cours de la première année de l’étude (2012), une abondance accrue de bousiers en mai-juin a été observée dans les zones avec chevaux, suivie d’une inversion de la tendance en juillet au moment du pic des traitements.

Cette situation se répète l’année suivante, avec à nouveau une inversion du phénomène à partir de juillet. En revanche, les zones sans équidés comptaient davantage d’insectes coprophages en 2014 que celles fréquentées par les chevaux. Les différences d’effectifs d’une année à l’autre traduisent vraisemblablement les fluctuations démographiques des populations d’insectes, sans que cela influe sur les tendances observées.

RÉSULTATS

Ces résultats mettent en évidence que le cheval fait partie intégrante du fonctionnement de l’écosystème de la forêt de Fontainebleau. Les équidés apportent une ressource trophique abondante et régulière pour les coprophages, mais cela génère également des risques. L’absence de chevaux dans les réserves biologiques intégrales n’est pas compensée par la présence de la grande faune sauvage (moins de déjections disponibles). Par conséquent, les niveaux de population y sont moindres, mais plus stables sur la durée. Il convient d’approfondir cette recherche par une approche expérimentale afin de mieux évaluer les effets “cheval” et “traitements” sur l’abondance des coléoptères.

Une analyse biométrique portant sur les mensurations des fémurs d’une espèce abondante en forêt (géotrupe) montre, par ailleurs, que ces insectes sont plus grands dans les zones sans chevaux.

Les résultats de ces recherches exploratoires révèlent donc un effet possible des médicaments antiparasitaires à potentialité insecticide sur les populations de coléoptères coprophages. Les données devront être affinées expérimentalement pour préciser les liens entre l’usage de certaines molécules et la mortalité ou le moins bon développement des insectes. En outre, certaines incertitudes restent à lever : à quel moment de son développement un effet délétère peut-il être préjudiciable pour l’insecte ? De cette information découlera le calendrier de traitement le mieux adapté.

En tout état de cause, les pratiques de traitement mises en application sur ce territoire (et dont il serait utile de savoir si elles sont généralisables au niveau national) paraissent plutôt contribuer à l’accroissement des phénomènes de résistance avec, en sus, un effet délétère qui n’est pas encore bien évalué sur la faune non cible. Les responsables des structures équestres gagneraient à mieux gérer ces traitements en visant les parasites incriminés par une généralisation des coproscopies. Ces dernières permettent de cibler les chevaux les plus sensibles et de traiter à bon escient, avec une prise en compte effective de l’activité des insectes coprophages dans le calendrier annuel de prévention des parasites.

Retrouvez les références bibliographiques de cet article sur https://www.lepointveterinaire.fr/bdd/164/164_4493

Bibliographie

  • → Gokbulut C., Nolan A.M., McKellar Q.A. (2001). Plasma pharmacokinetics and faecal excretion of ivermectin, doramectin and moxidection following oral administration in horses. Equine Veterinary Journal, 33 (5): 494-498.
  • → Lobo J.M., Martín-Piera F., Veiga C.M., 1988. Las trampas pitfall con cebo, sus posibilidades en el estudio de las comunidades coprófagas de Scarabaeoidea (Col.). I. Características determinantes de su capacidad de captura. Revue d’Ecologie et de Biologie du Sol, 25 (1): 77-100.
  • → Lumaret J.P., Errouissi F., Floate K., Römbke J., Wardhaugh K. (2012). A review on the toxicity and non-target effects of macrocyclic lactones in terrestrial and aquatic environments. Current Pharmaceutical Biotechnology, 13: 1004-1060.
  • → Perez R., Cabazas I., Sutra J.F., Galtier P., Alvinerie M. (2000). Faecal Excretion Profile of Moxidectin and Ivermectin after Oral Administration in Horses. The veterinary journal, 161 : p 85-92
  • → Virlouvet G., Bichon E., André F., Le Bizec B. (2006). Faecal elimination of cypermethrin by cows after pour-on administration: Determining concentrations and measuring the impact on dung beetles. Toxicological and Environmental Chemistry, 88 (3): 489-499.

LA RÉSERVE DE BIOSPHÈRE DE FONTAINEBLEAU ET DU GÂTINAIS

Les réserves de biosphère sont une émanation du programme pour l’homme et la biosphère de l’Unesco. Ce sont des territoires privilégiés pour expérimenter le développement durable au moyen de la recherche, de l’éducation et de la participation active des acteurs locaux. La réserve de biosphère de Fontainebleau et du Gâtinais1, répartie sur 126 communes dans le sud de la Seine-et-Marne et de l’Essonne, est animée par une association loi 1901 et porte des projets de recherche et de communication pour une meilleure gestion partagée des usages et des richesses naturelles.

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