L’approche métabolique du traitement du cancer est prometteuse - La Semaine Vétérinaire n° 1607 du 28/11/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1607 du 28/11/2014

Entretien avec Stéphane Doliger (T 89)

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SANTÉ ANIMALE

Auteur(s) : Valentine Chamard*, Charlotte Devaux**

Les cellules cancéreuses ont un métabolisme énergétique différent de celles saines, notamment concernant le glucose. Cette particularité est mise à profit dans l’approche dite “métabolique” du traitement du cancer. Notre confrère Stéphane Doliger, qui la pratique ainsi depuis plus d’un an, en livre un premier bilan.

Pourquoi proposer l’approche métabolique dans le traitement des cancers ?

Je m’intéresse à la cancérologie depuis 25 ans. Pendant cette période, malgré une complexité et un coût des traitements accrus, peu d’amélioration significative des résultats a été apportée. De plus, les protocoles de chimiothérapie conventionnels sont compliqués, onéreux, avec des effets indésirables. J’ai donc cherché ce que je pouvais proposer en parallèle.

Grâce à des recherches bibliographiques, j’ai découvert les travaux de Laurent Schwartz (médecin oncologue et chercheur à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et à l’École polytechnique) sur l’utilisation de molécules qui agissent sur le métabolisme des cellules cancéreuses. Je me suis rapproché de lui pour mettre en place une collaboration, afin de déterminer quelles molécules pouvaient être utilisables en médecine vétérinaire avec peu d’effets secondaires.

Est-ce une nouveauté ?

Le métabolisme particulier des cellules cancéreuses est connu depuis les années 1920, d’après des études in vitro d’Otto Warburg (prix Nobel de physiologie et de médecine en 1931). Mais cet aspect était jusque-là tombé en désuétude, au profit des thérapies cytotoxiques ou de la radiothérapie. Depuis cinq à dix ans, des chercheurs s’y intéressent de nouveau, en recherche fondamentale en particulier. Les publications sur les applications cliniques sont encore rares et portent principalement sur des cas isolés. Comme les molécules concernées sont soit des médicaments anciens qui ont des autorisations de mise sur le marché dans des domai­nes tout autres, ou des molécules considérées comme des compléments alimentaires, les laboratoires n’engagent malheureusement pas de recherches pour leurs applications potentielles en cancérologie. En contrepartie, ce sont des molécules peu coûteuses et leurs effets secondaires sont bien connus et peu importants.

Dans quels cas proposer cette approche ?

Je l’utilise dans deux situations : lors de cancers de mauvais pronostic, en association avec les traitements conventionnels, et lorsque les propriétaires souhaitent un traitement pour leur animal aux effets secondaires limités ou qui ne soit pas trop onéreux.

Comment l’utilisez-vous ?

Elle peut être employée avec tout autre type de traitement (chimiothérapie, radiothérapie, chirurgie). La plupart du temps, je la prescris en association avec une chimiothérapie métronomique (administration quotidienne de petites doses de molécules cytotoxiques), qui présente l’avantage d’être moins toxique et moins coûteuse que la chimiothérapie cytotoxique dite MTD (Maximum Tolerated Dose).

Après un an d’utilisation, quel bilan dressez-vous ?

Les résultats sont contrastés. Même si l’approche métabolique ne semble pas être intéressante dans tous les cas, elle donne parfois des résultats surprenants, en particulier en association avec la chimiothérapie métronomique. J’ai notamment le cas d’un chien qui est soigné pour une rechute d’un lymphome multicentri­que (après un an de rémission à la suite d’un traitement conventionnel). En général, le pronostic de telles récidives est sombre, avec une espérance de vie de trois à quatre mois. Or, ce chien, traité avec de la metformine (dont des études in vitro ont révélé sa capacité de réverser la chimiorésistance), en plus d’une chimiothérapie conventionnelle des rechutes (protocole Lopp de l’université de Floride), est de nouveau en rémission complète depuis 12 mois.

L’approche métabolique est cependant peu intéressante dans les stades avancés, car elle semble mettre un à deux mois avant de produire ses premiers effets (elle bloque les cellules, mais ne les tue pas). Des études complémentaires restent cependant à réaliser. Un projet de collaboration est en cours pour doser la concentration en pyruvate ou de lactate dans les cellules (l’une des cibles des traitements métaboliques) à partir de biopsies prélevées avant, pendant et après le traitement, pour en mesurer objectivement les effets.

APPLICATIONS CHEZ LE CHIEN

Quelques molécules utilisables dans le cadre d’une approche métabolique

Différentes molécules, en ciblant le métabolisme cellulaire, inhibent la prolifération des cellules cancéreuses.

→ L’acide alpha-lipoïque agit sur le métabolisme du glucose. Il est utilisé en Allemagne pour le traitement des neuropathies diabétiques. En tant que cofacteur de la pyruvate déshydrogénase (PDH), il intervient dans la transformation du pyruvate en acétyl-CoA, ce qui évite son accumulation dans le cytoplasme et bloque la glycolyse. La cellule cancéreuse utilise alors la voie aérobie et la rend plus dépendante de l’apport en oxygène. La dose utilisée chez le chien est de 15 à 25 mg/kg deux fois par jour per os. Les effets secondaires sont l’anorexie, la diarrhée, les vomissements et l’amaigrissement (ils sont amoindris si le repas est concomitant à la prise et lors d’augmentation progressive de la dose). Cette molécule se trouve sur Internet comme complément alimentaire.

→ L’hydroxycitrate agit sur le métabolisme des lipides. Elle est extraite d’un fruit asiatique (Garcinia cambogia). Elle inhibe l’ATP citrate lyase, une enzyme hyperactive dans les cellules cancéreuses, qui permet de fabriquer des phospholipi­des membranaires à partir du glucose. Dans l’approche du cancer, cette molécule est utilisée en association avec l’acide alpha-lipoïque. La dose utilisée est de 10 à 20 mg/kg trois fois par jour. Ce traitement est bien toléré par le chien.

→ Le dichloroacétate est utilisé depuis longtemps chez l’homme dans le traitement de l’acidose lactique congénitale. Il permet la transformation du pyruvate en acétyl-CoA en activant la pyruvate déshydrogénase qui est dysfonctionnelle dans les cellules cancéreuses. En obligeant les cellules cancéreuses à utiliser uniquement la voie aérobie, elles ne sont plus capables de grossir autant en l’absence de vaisseaux sanguins. De plus, en restaurant le fonctionnement normal des mitochondries, une réponse cellulaire de suicide (apoptose) pourrait se déclencher (la cellule se reconnaîtrait comme dysfonctionnelle). Le dichloroacétate est utilisé chez le chien à la dose de 5 à 10 mg/kg matin et soir avec un repas. Il est possible d’observer des effets secondaires neurologiques, tels que de la fatigue, une plantigradie ou une mydriase qui sont dose-dépendants et réversibles en 24 heures à l’arrêt du traitement.

→ La famille des inhibiteurs de la pompe à protons présente un intérêt en cancérologie. La cellule cancéreuse utilise la voie des lactates. Elle les évacue afin de ne pas s’acidifier, grâce à des pompes à protons de type V-ATPase. Le micro-environnement tumoral s’acidifie alors, ce qui active des métalloprotéases facilitant la diffusion métastatique et stimule l’angiogenèse. Ce pH acide gêne, de plus, la pénétration dans la cellule des agents de chimiothérapie, qui sont des bases faibles. Des études qui utilisent les inhibiteurs de la pompe à protons à une dose trois à cinq fois supérieure à la dose thérapeutique (3 à 5 mg/kg/j de lansoprazole) révèlent une réversion de la chimiorésistance. Une alcalinisation de l’eau de boisson avec du bicarbonate de sodium (0,5 g/kg) peut également être utilisée.

→ La metformine (antidiabétique oral) diminuerait, selon une étude, le risque de cancer chez les animaux traités (mécanisme d’action mal connu). Elle est bien tolérée chez le chien (elle ne provoque pas d’hypoglycémie). Il convient cependant d’augmenter progressivement les doses afin d’éviter un effet anorexigène. Stéphane Doliger l’utilise en adjuvant de nombreuses chimiothérapies pour diminuer la chimio-résistance et cibler les cellules souches cancéreuses à la dose de 10 à 15 mg/kg deux fois par jour. Il préconise de commencer une seule fois par jour à demi-dose et d’administrer la molécule avec un repas.

→ Les coxibs pourraient interférer avec le métabolisme glucidique. L’association du piroxicam et du deracoxib à demi-dose (soit 0,3 mg/kg/j et 5 mg/kg/j respectivement) a révélé un effet synergique chez la souris. L’association piroxicam/firocoxib a été utilisée par Stéphane Doliger avec une amélioration clinique sans toxi­cité rénale notée. Leur utilisation montre en particulier un intérêt dans les carcinomes transitionnels de la vessie, les carcinomes mammaires inflam­matoires, ceux prostati­ques, mais aussi dans les tumeurs de la cavité buccale comme les mélanomes malins ou les carcinomes épidermoïdes et dans les ostéosarcomes.

Source : conférences de Stéphane Doliger et Laurent Schwartz, médecin oncologue à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et chercheur à l’École polytechnique, sur l’approche métabolique du cancer, qui s’est déroulée le 24 octobre à Saint-Martin Bellevue (74).

Bibliographie

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Principe de l’approche métabolique du cancer

Une cellule cancéreuse n’a pas le même métabolisme qu’une cellule saine. Dans cette dernière, le principal mécanisme pourvoyeur d’énergie est la phosphorylation oxydative (cycle de Krebs).

Le glucose entre dans la cellule, il est transformé en pyruvate dans le cytoplasme, puis pénètre dans la mitochondrie où il intègre le cycle de Krebs et produit des molécules d’ATP par dégradation aérobie. Dans une cellule cancéreuse, le pyruvate n’entre pas dans la mitochondrie. Il est converti en lactate dans le cytoplasme.

Ces lactates sont éliminés dans le micro-environnement tumoral. Ce phénomène de glycolyse aérobie est moins performant en termes de rendement énergétique, mais permet de former des précurseurs d’acides nucléiques (voie des pentoses phosphates), de lipides (synthèse de novo de phospho-lipides membranaires grâce à l’ATP citrate lyase) et de protéines, utilisés pour la prolifération cellulaire. Cela permet également la croissance indépendamment de l’apport en oxygène. C’est donc la voie choisie lors de grand besoin de prolifération et si la vascularisation n’est pas présente. Ce métabolisme du glucose utilisé par les cellules cancéreuses est appelé “effet Warburg”. Il représente une cible thérapeutique intéressante, en bloquant l’apport énergétique de ces dernières.

C. D.

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