LA FERME AUX CROCODILES DONNE VIE À SES BIOTOPES - La Semaine Vétérinaire n° 1601 du 17/10/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1601 du 17/10/2014

Reportage

Auteur(s) : FRÉDÉRIC DECANTE

Notre confrère Samuel Martin (L 00) est directeur exécutif de la ferme aux crocodiles de Pierrelatte. Il délègue les aspects vétérinaires et sanitaires à son épouse et consœur pour se consacrer aux investissements du site, sans oublier ses missions scientifiques et politiques. Son projet “Asie” devrait se dérouler en deux phases, en 2015 et 2020.

Rien ne prédisposait la ferme aux crocodiles, située à Pierrelatte (Drôme), à recevoir du public. Pourtant, aujourd’hui, ce site touristique détient le record de visites du département avec plus de 300 000 entrées par an. Créée par Éric et Luc Fougeirol, deux frères établis en groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec), cette véritable ferme était initialement destinée à produire de la peau et de la viande de crocodile, l’indispensable eau chaude à bas coût étant fournie par le site nucléaire du Tricastin.

Avant la création de la ferme aux crocodiles, les propriétaires, passionnés de flore et de faune exotiques, étaient horticulteurs. Forcément, cela a attiré les voisins, dont Samuel Martin, vétérinaire et particulièrement fasciné par ce monde presque sauvage. Petit à petit, il devient le gardien de ce jardin d’Éden lorsque ses propriétaires partent en voyage. Dans les années 1990, Éric et Luc Fougeirol décident de passer de la culture de plantes tropicales à l’élevage d’animaux exotiques en particulier. Ils montent le projet d’une ferme de production de crocodiles et arrivent à convaincre les banques de les soutenir. Les 335 premiers reptiles arrivent tout jeunes. Cependant, une dizaine d’années sont nécessaires avant de parvenir à la reproduction et d’obtenir les premières bandes d’individus destinées à l’abattage. Que faire en attendant pour générer des revenus ? Lors de leurs voyages préparatoires, les deux frères ont appris que les crocodiles attisent la curiosité du grand public, qui aime se faire peur. Ils ont donc l’idée de concevoir un site différent des schémas classiques des fermes d’élevages. Ils le conçoivent ouvert à la visite, avec une mise en valeur de l’animal grâce à un décor naturel. Les droits d’entrée perçus permettent de commencer à amortir les investissements sur les dix premières années. Samuel Martin, qui est toujours à leur côté, participe à des voyages d’étude.

Un succès immédiat

La ferme est inaugurée en 1994. Le prévisionnel de fréquentation du projet prévoit 40 000 visites la première année, 60 000 la deuxième, 80 000 la troisième. Dès la première année, en un semestre d’ouverture, 85 000 visiteurs se pressent pour voir ces reptiles ! Rapidement, un problème se pose : comment expliquer au public que la passion pour une espèce animale n’est pas incompatible avec une activité d’élevage de rente ? L’idée de produire de la viande et de la peau est par conséquent abandonnée : la ferme ne produira que des billets d’entrée !

Samuel Martin reste tout de même en bon voisin : il passe sa thèse vétérinaire autour de la reproduction des crocodiliens, puis part avec son épouse et consœur en volontariat à l’aide technique afin de fonder une association pour la sauvegarde du gavial du Gange, un crocodile piscivore. De retour en France, fort de son expérience, notre confrère devient le vétérinaire de la ferme aux crocodiles, qui s’agrandit : « J’étais un peu vétérinaire à tout faire », sourit-il.

Plusieurs tranches de travaux sont menées. La serre s’étend et passe de 6 500 à 8 000 m2 en 2006. Un parcours extérieur de 6 000 m2 s’ouvre en 2010. En 2007, les fondateurs vendent leur affaire. Samuel Martin, de son côté, ne se contente pas de sa casquette de vétérinaire, mais propose des projets. Le groupe Montparnasse 56, propriétaire de sites touristiques (dont le 56e étage de la tour Montparnasse), achète le parc et nomme Samuel directeur exécutif.

La fin d’une source d’énergie facile et peu chère

2012 est la fin programmée de la ressource en eau chaude, car Eurodif change son mode d’enrichissement de l’uranium et les compresseurs n’ont plus d’eau chaude à revendre. La société Cofatech-Coriance, qui exploite le réseau de chaleur, se lance dans la construction d’une centrale de cogénération biomasse. Elle fournit en eau chaude les serres avoisinantes, les habitations de Pierrelatte et la ferme aux crocodiles. « J’ai vu ma facture énergétique multipliée par cinq, se rappelle Samuel Martin. Pourtant, nous avons tenu le coup. Aujourd’hui, nous accueillons 300 000 visiteurs pour 4,2 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec une gestion quotidienne de 23 salariés, 50 en période estivale ! Mon métier a changé. Je délègue les aspects vétérinaires et sanitaires à mon épouse, qui exerce en libéral à Pierrelatte. Je fais de la communication, du technique, du scientifique, voire du politique. Heureusement, je garde un pied dans le milieu scientifique avec des responsabilités au niveau de l’UICN1 en tant que coprésident du groupe “crocodiles” pour l’Europe et l’Afrique de l’Ouest. »

La ferme aux crocodiles n’est pas réellement un centre de sauvegarde des animaux, même si elle est un établissement touristique à vocation éducative, scientifique et conservatoire : « Aucun des animaux dont nous disposons ne provient de souches sauvages. Tous sont issus de reproduction en élevage ou, aujourd’hui, en parcs zoologiques. D’ailleurs, notre propre reproduction à forte consanguinité concernant les crocodiles du Nil sert non seulement le renouvellement de notre effectif, mais aussi à des fins de recherche scientifique. Les crocodiliens constituent, en effet, un excellent modèle pour les paléontologues qui convoitent, par ailleurs, une forte homogénéité génétique. Actuellement, nous n’assurons pas de reproduction à des fins conservatoires. Cependant, rien n’est figé et j’ai bon espoir qu’un jour nos espèces d’intérêt faunistique (faux gavial de Malaisie, caïmans noirs, gavials du Gange) se reproduisent et que leurs produits soient réintroduits. Nous venons de récolter une ponte de crocodiles nains dans laquelle nous plaçons de grands espoirs. L’objectif serait de les envoyer au Bénin, où nous soutenons une ONG locale… »

Reconstitution de biotopes

Samuel Martin vient de dessiner une nouvelle tranche d’investissement de trois millions d’euros qui voit sortir de terre une nouvelle verrière de 1 200 m2 : « Nous serons dans une nouvelle conception économe en énergie, avec la reconstitution de véritables petits biotopes d’Asie du Sud-Est à travers des aquaterrariums avec plus de 600 m3 d’eau, où seront présentés les faux gavials de Malaisie, des dragons de Komodo, des pythons réticulés et des tortues aquatiques, le tout sous le vol d’oiseaux en liberté. » Samuel Martin est comblé : « Mon activité est extrêmement variée. Même si cette diversité me fatigue parfois, j’ai l’impression de vivre un rêve d’enfant, car je porte réellement les projets, depuis la conception et le premier dessin, jusqu’à la réalisation. »

L’enjeu ne s’arrête pas là, car un nouveau chantier d’extension s’annonce pour 2017. L’idée consiste à reconstituer le biotope d’une mangrove « par un parcours de visite plus long, des présentations plus abouties et avec l’apport de nouvelles espèces, décrit notre confrère. Il nous faut gagner 50 000 visiteurs au minimum, auxquels nous devons aussi faire comprendre qu’ici, la nature est un peu fantasmée, mais néanmoins fragile. » Trouver le juste équilibre entre le rêve et le fantasme, c’est sans doute là que se trouve la fragilité !

  • 1 Union nationale pour la conservation de la nature.

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