Bien-être animal en élevage : faire converger les points de vue - La Semaine Vétérinaire n° 1601 du 17/10/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1601 du 17/10/2014

Dossier

Auteur(s) : SERGE TROUILLET

À travers une approche multidisciplinaire (vétérinaire, psychologique, sociologique, etc.) et systémique (à l’échelle du groupe), le congrès Welfare Assessment at Farm Level (WAFL) 2014, qui s’est déroulé à Clermont-Ferrand en septembre dernier, a mis en lumière la problématique du rapprochement des points de vue de l’éleveur et du citoyen, pour une convergence entre l’éthique et l’économie.

Le bien-être animal englobe à la fois les notions de bien-être physique et mental, c’est-à-dire la qualité de vie telle que l’animal la ressent. « La façon dont l’animal perçoit son environnement et les émotions qu’il peut en ressentir sont déterminantes », précise Isabelle Veissier1, présidente du comité scientifique du congrès Welfare Assessment at Farm Level (WAFL) 20142. Ces aspects sont étudiés en éthologie appliquée aux animaux d’élevage depuis les années 1970. À la fin des années 1980 et au début des années 1990, les recherches en bien-être animal s’intensifient. Elles fournissent ainsi des bases scientifiques qui permettent d’élaborer des recommandations par le Conseil de l’Europe ou des directives par l’Union européenne.

Dès lors, les chercheurs élargissent le champ de leurs études. Au-delà des aspects purement comportementaux, ils s’intéressent aux réponses de stress, aux maladies, à l’ergonomie des bâtiments d’élevage, etc. L’évaluation du bien-être animal ne se résume plus aux seuls concepts de l’éthologie appliquée, d’où la création du WAFL, un congrès spécifique dont la première édition s’est déroulée en 1999 au Danemark. « Le besoin de travailler sur une approche plus globale de l’élevage a alors émergé, souligne Isabelle Veissier. La démarche est différente selon que nous cherchons à comprendre le bien-être des animaux de manière analytique ou que nous voulons conduire des travaux plus systémiques à l’échelle même de l’élevage. »

DES INDICATIONS DE RÉSULTATS

Il existe donc un besoin de définir des indicateurs de bien-être, eux-mêmes déclinés en un certain nombre de mesures simplifiées applicables en élevage, mais aussi d’aides à l’interprétation des données. À partir de quand, pour tel indicateur, est-il possible de considérer qu’un seuil d’alerte est atteint, par exemple ? Enfin, comment agréger ces indicateurs pour dessiner les contours d’une évaluation globale ? Les systèmes développés dans ce cadre en ferme au début des années 1990, à partir d’indicateurs sur l’environnement des animaux, ont montré leurs limites. « Nous avions des indications de moyens, pas de résultats, observe Isabelle Veissier. Plutôt que les conditions dans lesquelles sont élevés les animaux, nous examinons directement leur état. »

Ainsi, dans la Welfare Quality, un important projet européen qui s’est déroulé entre 2004 et 2009, sont définis douze critères que les élevages doivent satisfaire afin d’attester, au moyen d’une note générale, un bien-être des animaux correct. Ils concernent l’absence de faim, de soif, un approvisionnement en eau suffisant, la possibilité de mouvement, le confort thermique, l’absence de maladies, de blessures, de douleurs liées à des pratiques, l’expression des comportements sociaux, celle des autres comportements, les bonnes relations homme-animal, l’état émotionnel positif, le confort de couchage. Pour ce dernier critère, il s’agit par exemple de vérifier la propreté des animaux, si certains d’entre eux sont étendus hors des aires de couchage, le temps qu’ils mettent pour se coucher, etc.

AVEC L’APPUI DE MATHÉMATICIENS ET DE PSYCHOLOGUES

Des progrès notables en termes de connaissance dans ce domaine s’ensuivent. Depuis le milieu des années 2000, deux points forts se dégagent. Le premier est l’évaluation globale du bien-être : pour l’explorer, des opérateurs mathématiques spécifiques censés reproduire le raisonnement d’experts en la matière sont utilisés. Le second concerne la connaissance de ce que peuvent ressentir les animaux : en lien avec des psychologues, des cadres d’analyse de la psychologie humaine sont appliqués afin de mieux comprendre les relations entre les situations déclenchantes et les émotions que les animaux ressentent. Des travaux révèlent que, selon l’évaluation qu’ils font de leur situation, des moutons ressentent de la peur, de la rage, de la frustration, voire de la fierté et de la honte.

Même les relations sociales qu’ils entretiennent avec leurs congénères ont un impact sur leur réponse émotionnelle. « Nous devons poursuivre dans cette voie et tenter maintenant de découvrir quels sont les liens entre des émotions ponctuelles répétées et des états durables, indique Isabelle Veissier. Il est possible d’induire du stress chronique chez des animaux, mais également de le redresser en leur fournissant un environnement enrichi. Les émotions sont dorénavant davantage traitées sous cet angle. Concernant les aspects plus systémiques, mathématiques, nous développons actuellement plus de modélisation, afin de parvenir à prédire le niveau de comportement, de bien-être d’un animal dans un environnement donné. Ces travaux ne font que démarrer. »

L’ÉPIDÉMIOLOGIE APPLIQUÉE AU BIEN-ÊTRE

Parmi les autres travaux en cours figurent également les approches épidémiologiques, encore peu utilisées aujourd’hui en bien-être animal. « Le bien-être et la santé sont tellement interpénétrés qu’il me paraît logique de pouvoir faire de l’épidémiologie, qui est l’étude des troubles de santé, appliquée au bien-être », estime Nathalie Bareille, professeur de zootechnie bovine et responsable d’une équipe d’épidémiologie à l’école vétérinaire de Nantes. Encore faut-il le faire dans les règles de l’art. L’épidémiologie descriptive (les enquêtes) est une discipline en tant que telle, avec des codes à respecter. « Pour obtenir des résultats généralisables, les échantillons doivent être représentatifs de la population que nous souhaitons décrire, prévient Nathalie Bareille. L’échantillonnage est biaisé s’il repose sur le seul consentement éclairé d’éleveurs qui ne craignent pas de montrer le fruit de leur travail. »

Le bien-être est en effet un sujet délicat pour ceux-ci. Bon nombre ne donnent pas suite à toute enquête à cet égard. Face à cette demande du citoyen, ils ressentent un a priori défavorable comme s’ils étaient coupables, quoi qu’ils fassent. « Nous devons partager avec eux notre vision. Ils sont ravis que leurs vaches ne boitent pas, ne souffrent d’aucune maladie et jouissent d’un bon état corporel. Devant un fait, il faut expliquer, justifier selon des recommandations et ne jamais stigmatiser par des propos définitifs et blessants », recommande Nathalie Bareille.

LES LIMITES DE L’OUTIL WELFARE QUALITY

La recherche de facteurs de risque, dans le cadre de l’épidémiologie analytique cette fois, exige autant de rigueur. L’afflux de statistiques ne doit pas conduire à croiser tout avec tout, l’âge de l’éleveur et la fréquence des mammites, par exemple ! « Les relations établies doivent avoir du sens, explique Nathalie Bareille. L’intérêt de la démarche consiste à trouver des liens causaux entre deux événements. Lors de recherche de facteurs de risque, il faut toujours supposer l’existence d’un mécanisme sous-jacent plausible. Car, au final, il s’agit bien de les supprimer lorsqu’ils sont identifiés. »

Aux yeux de Nathalie Bareille, l’outil Welfare Quality montre là ses limites. Entre une note générale et un problème spécifique, la causalité est perdue, parasitée par la multitude d’informations qui contribuent à l’établissement de cette note. Un vétérinaire qui souhaite faire de la recommandation en matière de bien-être animal ne peut la fonder sur ce score général. Il lui faut s’en tenir aux critères, voire aux mesures spécifiques qui l’ont déterminé. « L’outil Welfare est sans conteste porteur de progrès. Il est efficace pour qualifier une situation globale. Pour autant, il ne permet pas une compréhension fine du bien-être. La santé n’est, quant à elle, pas réductible à une note générale. Nous nous attachons à regarder les mammites, les boiteries, le confort de couchage, etc. », conclut Nathalie Bareille.

LE JEU COMME INDICATEUR DE BIEN-ÊTRE

L’étude du comportement de jeu est plus nouvelle encore. Sa rareté rend d’autant plus difficile son utilisation comme indicateur de bien-être. Des travaux révèlent que des veaux ne présentent ce comportement que pendant 0,3 % de leur temps actif ! Pour autant, le jeu doit être le meilleur indicateur pour traduire les émotions positives. « C’est un peu comme dire que le pape est catholique », plaisante Susan Held, professeur-chercheur à l’université de Bristol (Grande-Bretagne). Reste à bien définir le jeu, à le distinguer de la bagarre, à identifier ses marqueurs selon les espèces et l’âge des animaux. Les conditions climatiques, les blessures, les maladies, la présence de prédateurs, un logement trop exigu sont susceptibles d’amoindrir la disponibilité au jeu. Il est montré que réduire la nourriture des veaux diminue d’autant leur course pour le plaisir. Il existe néanmoins des exceptions : un chaton délaissé par sa mère ou séparé d’elle joue davantage, comme une réponse d’adaptation, par anticipation, à une indépendance précoce.

En observant l’activation des neurotransmetteurs, les chercheurs ont remarqué que le jeu en société pouvait être perçu comme une récompense : des chimpanzés préfèrent ainsi des activités sociales à une nourriture dont ils ne raffolent pas ; des rats se rapprochent de préférence des compagnons avec lesquels ils ont envie de jouer. « Certaines caractéristiques biologiques commencent à être évaluées. Mais de nombreuses exceptions, variabilités et raretés compliquent encore la réalisation d’une appréciation rapide », reconnaît Susan Held.

VERS L’ÉLEVAGE DE PRÉCISION

Aujourd’hui, et c’est un grand tournant qui s’est opéré ces dernières années, il convient donc de parler de bien-être animal, plus que de protection animale. Les progrès de la recherche permettent de définir des indicateurs observés sur les animaux. Ce sont eux qui nous disent ce qu’ils pensent de leur environnement. L’une des pistes de recherche les plus productives concerne l’automatisation des mesures d’évaluation de ce bien-être. Elle vise à simplifier cette estimation, soit en disposant de nouveaux indicateurs, soit en ayant des indicateurs automatiques – dans les robots de traite, par exemple – ou déjà utilisés, collectés par ailleurs : informations issues des contrôles laitiers, de la base de données nationale d’identification bovine (BDNI) sur la mortalité et les mouvements d’animaux, etc.

Une autre piste de recherche est très prometteuse. Elle relève de l’élevage de précision, c’est-à-dire le fait de recentrer les pratiques au niveau individuel plutôt que sur une population.

Dans le bien-être animal, « il faudra adapter aussi bien l’évaluation que les recommandations à chaque animal, prévoit Luc Mounier, maître de conférences à VetAgro Sup, président du comité d’organisation du congrès. Avec l’élevage de précision, il s’agit de ne pas avoir la même recommandation pour tous, mais la bonne pour un animal en particulier. »

ÉTUDIER LA SOCIOLOGIE DE L’ÉLEVEUR

Le congrès, pour sa sixième édition, reste centré sur le bien-être animal. Pour autant, le thème des WAFL s’est encore élargi puisqu’il aborde dorénavant de nouvelles questions : comment organiser des consultations entre les porteurs d’enjeux pour prendre une décision ? Comment communiquer les résultats ? Comment mettre en place des plans d’action pour améliorer le niveau de bien-être des animaux ? L’une des tendances actuelles consiste à associer aux recherches un aspect sociologique, et à réussir à mieux faire prendre en compte les recommandations formulées.

Chacun s’interroge sur la meilleure façon d’améliorer la mise en œuvre de pratiques plus pertinentes. L’étude de la sociologie de l’éleveur conduit à proposer des recommandations mieux adaptées, avec l’objectif d’être mieux perçues. Pour cela, les recherches doivent également être davantage prises en compte par la sphère publique. « C’est pourquoi, pour ce congrès à Clermont-Ferrand, nous avons essayé d’élargir notre public avec une traduction française, afin d’avoir des représentants de coopératives, des vétérinaires praticiens, etc., parce qu’ils sont d’excellents relais de nos recherches sur le terrain », conclut Luc Mounier.

  • 1 Directrice de l’unité mixte de recherche 1213 Herbivores, à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) de Clermont-Ferrand-Theix.

  • 2 La 6e édition de cette conférence internationale sur l’évaluation du bien-être des animaux en ferme ou en groupe s’est tenue du 3 au 5 septembre 2014, à Clermont-Ferrand.

L’ANALYSE D’IMAGES AU SERVICE DU BIEN-ÊTRE ANIMAL

Une recherche vise à mettre au point une façon automatique d’évaluer des poulets de chair à l’échelle du groupe. Elle s’appuie sur l’utilisation de l’appareil photo d’un smartphone et de sa mémoire pour stocker les données. Placé en permanence là où sont logés les animaux, il permet l’analyse du groupe grâce au flux optiques. Le système ne détecte que les mouvements. Les carrés blancs figurent les poulets en mouvement, les carrés noirs l’espace entre eux. Les oiseaux ne sont pas suivis de manière individuelle, l’étude s’intéresse aux flux en mouvement. À partir d’analyses statistiques de ces mouvements, il est par exemple possible d’observer que les groupes ayant le plus de mortalité ont une moyenne de mouvement plus grande et qu’une meilleure uniformité de mouvement signe un bien-être accru du groupe. Cela permet de prévoir qu’un groupe d’oiseaux aura des problèmes de mortalité ou d’allure, dès le troisième jour d’observation et des semaines avant les premiers symptômes !

Cette évolution annoncée peut alors être anticipée grâce à des interventions ciblées. « La seule façon de persuader les producteurs d’améliorer le bien-être de ces animaux est de donner à celui-ci une valeur économique : détection des problèmes en amont, mortalité réduite, moins de soins sanitaires et de médicaments, gain de temps, etc. En résumé, une production plus efficace, souligne Marian Dawkins, professeur de comportement animalier à l’université d’Oxford, en Grande-Bretagne. Pour qu’un agriculteur adopte une nouvelle pratique, il doit être convaincu de son bénéfice économique ! »

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