Fluidothérapie : faire son choix en situation d’urgence (1re partie) - La Semaine Vétérinaire n° 1599 du 03/10/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1599 du 03/10/2014

Entreprise

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Karim Adjou*, Daniel L. Chan**

Fonctions :
*enseignant au Royal Veterinary College, University of London

La fluidothérapie est souvent décrite comme la pierre angulaire de la médecine d’urgence et des soins intensifs. Corriger les défauts d’hydratation et restaurer une perfusion tissulaire suffisante sont généralement les principaux objectifs du plan de réanimation d’un animal en état critique. Même si la fluidothérapie est communément utilisée en médecine d’urgence et de soins intensifs, elle suscite toujours des questionnements, d’autant qu’aucun consensus ne se dégage dans la littérature, notamment lors d’hypovolémie par hémorragie.

Dans la majorité des cas, l’utilisation de solutés cristalloïdes isotoniques est toujours considérée comme la meilleure option, à condition d’adapter le volume perfusé à chaque animal, pour éviter les complications liées à l’emploi de larges quantités. D’autres solutés (cristalloïdes hypertoniques, colloïdes de synthèse) sont cependant parfois préférables.

SOLUTÉ CRISTALLOÏDE ISOTONIQUE

Adapter le volume perfusé

Un saignement aigu peut être schématisé de manière simple : un animal “normovolémique” subit une hémorragie qui le conduit à un état d’hypovolémie. Le traitement vise alors à corriger la perte aiguë de fluide intravasculaire à l’aide d’un soluté directement administré dans l’espace intravasculaire.

Les recommandations habituelles indiquent de remplacer trois fois le volume de sang perdu par un soluté cristalloïde isotonique. Cependant, la quantité réelle de sang perdue lors d’un traumatisme n’est jamais facile à mesurer. De plus, les “plans de perfusion recommandés pour traiter l’état de choc” (à savoir 90 ml/kg/heure de soluté) ne prennent en charge qu’un “état de choc”, et non un animal en particulier. Plusieurs paramètres physiologiques sont des points de repères pour ajuster le plan de réanimation. Un pouls faible et une tachycardie définissent, un animal en choc hypovolémique : le plan de réanimation est ajusté selon la qualité du pouls et la fréquence cardiaque. Chez la plupart des animaux, l’administration de soluté cristalloïde isotonique “à la demande” jusqu’à normalisation de ces deux paramètres inverse l’état de choc.

En pratique, il est recommandé d’utiliser des doses plus conservatives de soluté cristalloïde isotonique (telle qu’une solution de Hartmann1), de l’ordre de 20 à 30 ml/kg administrés en bolus, avec une réévaluation de l’animal après 15 minutes. Une réévaluation en continu permet d’administrer une quantité de fluide adaptée, en évitant une hypo- ou une hyperperfusion.

Réagir face à une stabilisation transitoire

La stabilisation est parfois transitoire et les signes d’un état de choc peuvent réapparaître. Plusieurs causes expliquent cette situation :

> une réanimation inappropriée ;

>  un défaut de réponse du système sympathique (à l’origine des mécanismes de compensation) ;

> la persistance du saignement. Diverses questions se posent alors au praticien. Cet animal devrait-il recevoir un complément de perfusion ? Quel type de soluté choisir ? Une perfusion supplémentaire risque-t-elle d’exacerber un saignement ? Lors de saignement abdominal non contrôlé, quand décider de pratiquer une intervention chirurgicale ? Il existe de nombreuses approches d’une telle situation. Chacune peut être initialement justifiée et se révéler un mauvais choix. Ainsi, une perfusion “agressive” de soluté cristalloïde isotonique peut augmenter le volume intravasculaire et améliorer transitoirement les paramètres cliniques. Cependant, elle est aussi susceptible d’entraîner une coagulopathie (par dilution des facteurs de coagulation), un œdème interstitiel, une hyperhydratation et des complications respiratoires, d’où la recherche de solutions alternatives.

UTILISATION DES COLLOÏDES

Bénéfices attendus

En théorie, les colloïdes contiennent des particules qui tendent à rester plus longtemps dans l’espace intravasculaire. Ils peuvent donc produire un effet plus rapide et plus durable que celui des solutés cristalloïdes isotoniques. Une perfusion à base de colloïdes implique, par définition, de moindres volumes pour obtenir le même degré de remplissage intravasculaire. Ainsi, l’emploi d’hydroxy-ethylamidons (HEA2) n’implique l’administration que d’un quart du volume de fluide cristalloïde isotonique : un chien reçoit seulement 5 à 10 ml/kg d’un soluté colloïde en bolus, alors qu’il aurait reçu 20 à 40 ml/kg de celui cristalloïde isotonique (voire le “classique” 90 ml/kg/heure).

La réanimation est obtenue plus rapidement, puisque le volume administré est moindre. De plus, le remplissage intravasculaire est plus durable que celui obtenu avec les cristalloïdes (plusieurs heures supplémentaires).

Limites

Le coût des colloïdes représente environ 20 fois celui des cristalloïdes isotoniques. Leur emploi doit donc être justifié, ce qui est sujet à controverses. En dépit d’un moindre volume administré lors de l’utilisation de colloïdes, aucune preuve tangible ne montre que l’usage de ces derniers est associé à un meilleur résultat. Plusieurs études rapportent même des conclusions moins favorables pour les animaux réanimés avec des colloïdes. Des travaux chez l’homme font état d’effets secondaires avérés sur les fonctions rénale et d’hémostase, ainsi qu’une augmentation de la mortalité chez les patients réanimés avec des colloïdes comparés à ceux traités avec des solutés cristalloïdes isotoniques. Une revue de méta-analyses publiée par la collaboration Cochrane en 20133 ne met pas en évidence le bénéfice de l’utilisation de colloïdes (quels qu’ils soient) comparée aux cristalloïdes et conclut qu’« il est difficile de justifier l’utilisation d’HEA en pratique clinique ».

Ces études récentes devraient inciter la profession vétérinaire à entreprendre une évaluation des pratiques courantes en fluidothérapie et des recommandations qui, jusqu’ici, sont principalement fondées sur des bénéfices théoriques plutôt que sur des preuves cliniques. À la suite de la publication du rapport Cochrane et d’autres essais cliniques, l’Agence européenne du médicament (European Medicines Agency, EMEA) a recommandé la suspension de l’autorisation de mise sur le marché de tous les produits contenant des HEA. L’Agence américaine de sécurité alimentaire et du médicament (Food and Drug Administration, FDA) a émis un avertissement contre leur utilisation chez les patients critiques. À ce jour, les solutions dérivées des HEA sont retirées du marché dans plusieurs pays européens, même si l’Union européenne a ratifié un texte qui autorise leur usage dans certaines situations spécifiques, telles qu’une hypovolémie non associée à une septicémie ou une brûlure. L’accès vétérinaire aux dérivés des HEA dépend des agences nationales de régulation qui contrôlent le commerce de ces produits.

L’utilisation des colloïdes n’apporterait donc de bénéfices que dans certaines situations. Chez l’homme, ils sont autorisés pour les patients hypovolémiques ou en état de choc, mais pas lors d’état critique, de septicémie ou de brûlure. Le défi consiste maintenant à identifier en médecine vétérinaire les animaux qui correspondent à des catégories similaires.

Produits sanguins

L’administration de produits sanguins, tels que le plasma frais congelé ou le sang total, est susceptible d’aider les animaux lors de coagulopathies (lors d’excès de perfusion de cristalloïdes, par exemple), mais le défaut de plaquettes est plus difficile à corriger que l’hypovolémie, et le saignement peut continuer avec la même intensité.

Plus coûteuse, l’utilisation de transporteurs d’oxygène à base d’hémoglobine (Hemoglobin-Based Oxygen Carrier, HBOC, comme l’oxyglobine) n’est pas nécessairement associée à une meilleure réanimation. Les propriétés de fixation du monoxyde d’azote (NO) des HBOC résulteraient en une vasoconstriction, une réduction de la capacitance vasculaire4 et une élévation de la pression sanguine, mais ne permettraient pas un remplissage intravasculaire suffisant. De plus, le coût de l’oxyglobine est plusieurs centaines de fois supérieur à celui des cristalloïdes isotoniques.

L’usage des solutés de sodium hypertonique sera décrit dans le prochain numéro de La Semaine Vétérinaire.

1 Une solution de Hartmann est un soluté cristalloïde isotonique dont la composition se rapproche du Ringer Lactate et qui est utilisée en Grande-Bretagne à la place de ce dernier.

2 Une solution d’hydroxyéthylamidon correspond en anglais à hydroxyethyl starch, encore appelée hetastarch ou HES.

3 La collaboration Cochrane est une organisation indépendante qui regroupe des volontaires dans plus de 100 pays. Elle rassemble des données scientifiquement validées de manière accessible et résumée. Elle conduit des revues systématiques (méta-analyses) d’essais randomisés contrôlés d’interventions dans le domaine de la santé. Ces travaux sont publiés dans la bibliothèque Cochrane (Cochrane library, en anglais).

4 La capacitance vasculaire mesure la capacité d’un vaisseau sanguin à accroître le volume de sang qu’il contient sans entraîner une forte augmentation de pression sanguine. La capacitance vasculaire est égale à la variation de volume divisée par la variation de pression.

CAS PARTICULIER DE LA SOLUTION D’ALBUMINE HUMAINE CONCENTRÉE

Un autre soluté colloïde a récemment fait l’objet d’une attention particulière en médecine humaine : l’albumine humaine concentrée, utile pour corriger une hypoalbuminémie sévère, mais aussi en réanimation. En raison de sa concentration (entre 20 et 25 %), ce soluté est un fluide extrêmement hyperoncotique. En comparaison, la pression osmotique d’un soluté colloïde, qui correspond à une mesure de l’effet oncotique, est approximativement de 18 mmHg dans le plasma normal. Les solutés cristalloïdes n’ont virtuellement pas de pression osmotique et celles des autres solutés sont respectivement de :

> 32 mmHg pour un dérivé des HEA ;

> 63 mmHg pour une solution de Dextran 70 ;

> 42 mmHg pour l’oxyglobine ;

> plus de 200 mmHg pour une solution d’albumine humaine concentrée.

À une telle concentration, la solution d’albumine concentrée attire probablement des fluides depuis d’autres compartiments, ce qui est normalement une propriété spécifique des solutés hypertoniques. La difficulté majeure de l’usage de l’albumine humaine en réanimation est sa haute immunogénicité, qui limite son usage à une administration unique. Des administrations ultérieures (plus de sept jours après la première) peuvent causer une réaction anaphylactique. Ce produit ne serait donc pas recommandé en première intention lors d’hypovolémie simple.

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