Communication intraspécifique chez le loup - La Semaine Vétérinaire n° 1598 du 26/09/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1598 du 26/09/2014

Formation

FAUNE SAUVAGE

Auteur(s) : Hélène Rose

Les postures, les expressions faciales, les mouvements des oreilles sont des éléments de communication visuelle bien connus chez le loup gris. Deux études récentes apportent un nouvel éclairage sur ce canal de communication, en s’intéressant à l’importance du regard et à la contagiosité du bâillement dans cette espèce au comportement social développé.

REGARD ET MODES DE VIE CHEZ LES CANIDÉS SAUVAGES

Pour évaluer l’importance du regard dans la communication intraspécifique chez les canidés, des chercheurs1 ont réparti 25 espèces en trois types faciaux (d’après photographies), et ont mesuré à l’aide d’un logiciel informatique les contrastes lumineux entre cinq zones faciales, de la pupille au pelage. Ils ont ensuite réalisé des observations directes des comportements d’une espèce représentative de chaque type :

– type A : le loup gris (Canis lupus), chez lequel la position de la pupille au centre de l’iris est nettement identifiable, avec des yeux bien visibles ;

– type B : le fennec (Vulpus zerda), caractérisé par une pupille difficile à discerner, mais des yeux bien visibles ;

– type C : le chien des buissons (Speothos venaticus), dont la pupille est difficile à discerner, et dont les yeux se confondent avec le pelage.

Le type A est statistiquement plus fréquent dans les espèces vivant en groupe, les types B et C dans celles vivant en solitaire ou par paire. Il en va de même pour le comportement de chasse. Les loups adoptent six positions différentes pour regarder leurs congénères, contre trois pour les deux autres espèces. Le temps moyen du regard est également décroissant du loup au chien des buissons, sans différence de fréquence. Des comportements d’évitement des regards ont été remarqués dans les trois espèces, ils durent plus longtemps chez les loups.

La clarté de l’iris entraîne un meilleur contraste, et suggère une adaptation évolutive favorisant la perception des regards au sein des espèces de canidés les plus sociales comme le loup, d’autant que ceux-ci gardent une posture fixe et dirigent nettement la tête vers leurs congénères pour les regarder. Ceci augmenterait la lisibilité de ce signal visuel, également utile pour désigner les proies lors de la chasse en meute. En revanche, cela serait préjudiciable aux espèces chassant en solo ou par paire, car ce type de regard attire également l’attention des proies. Les types B et C permettraient ainsi un meilleur camouflage. Par ailleurs, les loups vocalisent peu en dehors de plaintes ou de grognements lors d’agression. Le canal visuel semble donc nettement prédominant chez les loups, et probablement chez les autres espèces de canidés du type A, dont les chiens domestiques.

BÂILLER DE CONCERT, UNE QUESTION DE PROXIMITÉ SOCIALE

Le bâillement existe chez de nombreux mammifères, mais son rôle social a été très peu étudié en dehors de quelques espèces de primates et du chien domestique, chez lequel il a été montré qu’il peut se produire suite au bâillement d’un être humain ayant une proximité affective. Se basant sur la proximité phylogénique entre le chien et le loup, une équipe de chercheurs2 s’est intéressée à la contagiosité du bâillement dans une meute de 12 loups gris (en excluant les comportements de jeu, d’agression ou d’activité sexuelle). Les bâillements sont significativement plus fréquents lorsqu’un congénère déclencheur est situé dans le champ visuel du répondant, l’influence de l’audition d’un bâillement étant notablement moindre. La force du lien social unissant le répondant et le déclencheur est également significative. De plus, le temps de réponse au bâillement augmente en fonction de l’éloignement social des animaux, notamment chez les femelles. Une hypothèse explicative suggère que la contagiosité du bâillement favorise la cohésion de la meute, et constitue une forme d’empathie. Cette étude renforce l’importance de la communication visuelle dans cette espèce.

  • 1 Ueda S., Kumagai G., Otaki Y. et coll. A comparison of facial color pattern and gazing behavior in canid species suggests gaze communication in Gray wolves (Canis lupus). Plos One 2014;9(6):e98217. doi:10.1371/journal.pone.0098217

  • 2 Romero T., Ito M., Saito A. et coll. Social modulation of contagious yawning in wolves. Plos one August 27, 2014. doi:10.1371/journal.pone.0105963

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