« Nous ne savons pas comment la situation évoluera » - La Semaine Vétérinaire n° 1594 du 29/08/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1594 du 29/08/2014

ENTRETIEN AVEC MICHEL BAUSSIER ET PIERRE BUISSON

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Auteur(s) : Marine Neveux

Avez-vous été sollicités pour le rapport de l’IGF ? L’avez-vous reçu avant sa diffusion, début août ? Avez-vous effectué certaines démarches avant et après ses annonces ? Lesquelles ?

Michel Baussier : En effet, nous avions reçu au siège de l’Ordre – début 2012, je crois – une délégation d’inspecteurs généraux des finances, dans le cadre de cette mission. Le rapport ne nous a pas été officiellement communiqué à ce jour. Nous ignorions son contenu exact au début du mois d’août. J’ai écrit au ministre le 5 août dernier en lui faisant part de ma déception sur le défaut de transparence entourant ce rapport, de façon plus générale sur le procédé utilisé de distillation orientée de son contenu par médias interposés. J’ai demandé à être reçu. Je n’ai pas de réponse à ce jour.

Pierre Buisson : Nous n’avons été informés de ce rapport, ni en amont ni à la suite de sa diffusion partielle dans la presse. Nous avons adressé un courrier au ministre de l’Économie, Arnaud Montebourg, qui reste aujourd’hui sans réponse. Nous avons également demandé à être reçus par le conseiller à l’Agriculture de l’Élysée.

Finalement, ce rapport n’était-il pas prévisible à la suite des annonces du rapport Attali en 2008 ou en raison du contexte européen ?

M. B. : Ce rapport s’inscrit en effet dans la suite logique de tous ces rapports établis, tant aux niveaux communautaire que national, et de toutes les études sur le sujet réalisées dans le cadre de thèses, voire par les partis politiques… Il s’inscrit surtout dans le prolongement naturel de la directive “services”, de celle “qualifications professionnelles” modifiée (en particulier son article 59 sur la transparence), de la récente demande de la Commission aux États d’un véritable audit de l’accès aux professions réglementées…

Arnaud Montebourg entendait déposer son projet de loi à l’automne devant le Parlement. Le président de la République, François Hollande, a également déclaré, dans une récente interview au Monde, qu’il maintiendrait le cap de cette réforme. Quel est votre sentiment ?

P. B. : Il ne ressort rien de vraiment neuf, à l’exception de la multiplication des manœuvres destinées à diffuser à l’opinion publique des éléments orientés et erronés, voire malsains. La façon dont sont traitées les professions réglementées traduit une méconnaissance totale de leurs acteurs. Qui tirera profit de cela ? C’est totalement aberrant, et pas seulement pour les vétérinaires. Les professionnels libéraux rendent des services de proximité au public bien au-delà du raisonnable. Ce rapport les stigmatise comme les responsables de la perte de six milliards d’euros. Il est alors légitime de s’interroger sur l’intérêt pour la société de l’IGF elle-même. Quel est le coût pour la société de la production d’un tel rapport ? Quels en sont les objectifs et les finalités ?

Arnaud Montebourg et François Hollande, dans une récente interview au Monde, répondent à côté des problématiques et à des choses qui n’ont rien à voir avec les professionnels libéraux. Est-ce une technique pour aborder des points de négociation avec certaines professions ? Est-ce de la démagogie ? Il s’agit peut-être simplement d’un cache-misère pour la Commission européenne de leur incapacité à tenir les engagements budgétaires.

En outre, les évolutions proposées pour les pharmaciens ou les vétérinaires, pour ce qu’il est possible d’en connaître, conforteront surtout le monopole de la grande distribution. Nous ne savons pas comment la situation évoluera. Il n’y aura certainement pas de déréglementation totale de la profession. En revanche, le passage en grandes surfaces de certains médicaments vétérinaires non soumis à prescription est envisagé et ne serait pas anodin. Cela aurait comme conséquence délétère de diminuer le flux de passage des propriétaires d’animaux dans les cliniques.

Une piste avancée par la mission pour les vétérinaires est d’inviter « les professionnels à publier en ligne le tarif de consultation et leurs prix de vente des médicaments vétérinaires destinés aux animaux domestiques ». Jugez-vous cette mesure pertinente ?

P. B. : Les confrères sont déjà tenus d’afficher les tarifs de leurs prestations, des médicaments et leurs honoraires. Ils fournissent, de plus, des devis et des factures détaillées. Est-il possible de croire que l’État disposerait d’un budget pour réaliser un comparateur de prix du médicament vétérinaire ? Cette proposition ne révolutionnera pas le panier de la ménagère, mais incitera à l’automédication et à une surconsommation de médicaments.

M. B. : Cette mesure, qui n’est qu’une déclinaison de la directive “services”, s’impose déjà naturellement sous des formes plus ou moins différentes de ce que vous évoquez. Cette transparence est déjà assez largement mise en œuvre par les vétérinaires.

Le Code de déontologie proposé, s’il ne tardait pas autant à être publié, apporterait toute satisfaction sur ce point au ministre du Redressement productif. Il répondrait en tout cas parfaitement aux propositions des inspecteurs généraux. Les dispositions souhaitées par le Conseil supérieur de l’Ordre, tant sur ce registre que sur celui de la communication (information, publicité), attendent depuis 2009 leur mise en application. Il appartient au ministre de l’Agriculture de faire publier sans délai ce texte qui n’a que trop attendu et dont le retard de mise en œuvre porte un large préjudice d’image à la profession en permettant, depuis cinq ans, toutes les critiques de la Commission européenne et toutes les polémiques stériles.

Les auteurs du rapport craignent une entente anticoncurrentielle des vétérinaires lorsqu’ils constatent des marges brutes élevées. Que répondez-vous à ces remarques ?

P. B. : Le plus inquiétant est de lire les articles qui évoquent 40 % de marge et jugent celles-ci abusives en les isolant du service global rendu par les vétérinaires à un tarif accepté par la plupart des usagers. Nous avons mené le combat sur le découplage. Je remarque cependant une fois de plus une tendance lourde qui consiste à donner une vision partiale de notre activité.

M. B. : Le rapport donne la solution, à savoir la transparence. Elle est proposée par l’Ordre depuis 2009. Il appartient simplement au gouvernement – je le répète – de publier par décret, en Conseil d’État, les modifications déontologiques qui répondent à la demande des inspecteurs et aux propositions de l’Ordre, bien antérieures aux cogitations des inspecteurs.

Le rapport préconise une ouverture totale du capital des sociétés d’exercice libéral à des investisseurs sans lien avec la profession exercée. Ces recommandations n’étaient-elles pas prévisibles au regard de l’Europe ?

M. B. : Ces recommandations étaient parfaitement prévisibles. Nous les avons refusées depuis 2009 en nous fondant sur la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (pharmaciens biologistes et d’officine). La proposition du rapport est inédite, voire révolutionnaire. En effet, elle est assortie pour la première fois de garde-fous novateurs qui méritent, cette fois, un examen. Personne n’avait jamais suggéré de compenser cette ouverture par l’accroissement substantiel des moyens donnés à un ordre professionnel en lui permettant de prendre des mesures qui concerneraient des acteurs qui ne le composent pas car non inscrits au tableau.

P. B. : Cela ferait réagir tout le monde de penser que les agriculteurs, par exemple, détiennent des parts de capital chez les vétérinaires. Cette recommandation fait surtout figure de contre-feux allumés envers la Commission européenne.

Le rapport de l’IGF prône également un renforcement et une extension des pouvoirs disciplinaires et d’inspection de l’Ordre des vétérinaires pour contrôler l’application de la déontologie dans ces sociétés. Comment envisagez-vous concrètement ce renforcement des pouvoirs disciplinaires ?

M. B. : Cette question s’articule pleinement, non seulement avec ma réponse précédente, mais aussi avec une disposition de la loi Ddadue1 dont le texte d’application est à prendre, et surtout avec la réforme de l’Ordre inscrite dans la loi d’avenir. L’Ordre n’est en recherche effrénée ni d’expansion de son pouvoir ni d’extension infinie du champ des personnes sur lesquelles il devrait exercer son autorité. Cependant, il n’est défavorable à rien dès lors qu’il s’agit de garantir l’indépendance déontologique et professionnelle des vétérinaires, au bénéfice de ceux qui font appel aux services de la profession, au bénéfice concomitant de l’image globale des confrères. À cet égard je constate avec l’immense satisfaction d’un président de l’Ordre comblé, de l’aveu même des rapporteurs, que 94 % des clients considéreraient que la profession de vétérinaire rend un service de qualité. S’il s’agit d’améliorer encore et toujours la qualité de celui-ci, je suis à la disposition du gouvernement.

  • Loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable.

Un Attali peut en cacher un autre

L’histoire bégaie souvent. Le 23 janvier 2008, l’année débute sur les chapeaux de roue avec la remise du rapport de la Commission sur la libéralisation de la croissance française, présidée par Jacques Attali. Celui-ci entend mettre un terme aux privilèges des professions réglementées, dont font partie les vétérinaires.

En mars 2010, le président de la République Nicolas Sarkozy propose un second tour de manège à Jacques Attali. Parmi les 316 propositions formulées, certaines parlaient déjà de mettre un terme aux « privilèges » de plusieurs professions réglementées : chauffeurs de taxi, coiffeurs, experts-comptables, notaires et vétérinaires. Parmi les remèdes proposés, il est possible de citer l’ouverture du capital à des investisseurs non vétérinaires (sans pour autant avancer de proportions à cette ouverture), l’assouplissement du numerus clausus et la délégation des actes.

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