Conduite à tenir lors d’épiphora chez le lapin - La Semaine Vétérinaire n° 1593 du 11/07/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1593 du 11/07/2014

Formation

NAC

Auteur(s) : JULIEN GOIN

Fonctions : assistant hospitalier au service “animaux d’espèces inhabituelles”, Oniris (Nantes).

L’épiphora est un écoulement anormal et abondant de larmes sur les joues, secondaire à un drainage insuffisant des voies lacrymales. Il représente un motif de consultation fréquent chez le lapin de compagnie. Il est secondaire à une obstruction des voies lacrymales, dont la cause principale est une dacryocystite d’origine dentaire. D’autres causes, plus rares, sont également possibles : infection primaire à Pasteurella multocida, lithiase ou tumeur du canal nasolacrymal, masse cutanée compressive de type tumeur primitive ou métastatique (voir photos 1 et 2). La prise en charge comprend différentes étapes incontournables.

1 → DIAGNOSTIQUER CLINIQUEMENT L’ÉPIPHORA

Le diagnostic de l’épiphora est facilement établi à l’issue de l’examen clinique : la présence d’un écoulement lacrymal abondant est constaté en regard du canthus interne de l’œil, ce qui entraîne une souillure des poils situés dans cette région (voir photo 3). Ceux-ci paraissent collés. Une dermatite secondaire locale est possible, éventuellement associée à une surinfection bactérienne (Pasteurella multocida, Prevotella spp., Streptococcus spp., etc.). Dans ce cas, l’épiphora peut devenir purulent et la pression du canthus médial entraîner l’évacuation de pus par le point lacrymal (voir photo 4). Une conjonctivite, une kératite ou un ulcère cornéen sont parfois associés.

2 → RÉALISER UN EXAMEN OPHTALMOLOGIQUE

Un examen ophtalmologique est réalisé afin d’explorer une éventuelle origine oculaire à l’écoulement constaté. Les causes habituelles d’irritation oculaire sont explorées : corps étranger (épillet, par exemple), ectropion, entropion, blépharite, conjonctivite allergique, irritative ou bactérienne, kératite, ulcère cornéen, etc. (voir photo 5). L’examen ophtalmologique du lapin suit les mêmes étapes que celui des carnivores domestiques, avec l’observation :

→ de la symétrie entre les deux globes oculaires (recherche de buphtalmie ou d’exophtalmie) ;

→ des annexes oculaires (paupières, conjonctive, appareil lacrymal) ;

→ du segment antérieur (cornée, chambre antérieure, uvée, cristallin) ;

→ du segment postérieur (vitré, rétine).

→ Les réflexes oculaires sont vérifiés.

Les examens complémentaires sont également identiques :

→ ophtalmoscopie du fond d’œil après l’instillation d’un mydriatique (tropicamide à 0,5 %) ;

→ test de Schirmer (valeur usuelle : 5,3 ± 2,96 mm/min) ;

→ test à la fluorescéine pour la recherche d’un ulcère cornéen, mesure de la pression intra-oculaire (valeur usuelle : 15 à 23 mmHg), etc.

En l’absence de lésion oculaire significative, l’étape suivante est envisagée.

3 EFFECTUER UN EXAMEN DENTAIRE

Un examen dentaire visuel, direct ou à l’aide d’un endoscope rigide, est effectué sous anesthésie générale pour rechercher d’éventuelles anomalies des couronnes dentaires. Une sédation peut être pratiquée par injection d’un mélange de médétomidine (100 à 120 µg/kg) et de kétamine (5 mg/kg) par voie sous-cutanée ou intramusculaire, suivie d’une anesthésie gazeuse à l’isoflurane ou au sévoflurane par la mise en place d’un masque de petit diamètre au niveau des narines. La cavité buccale est ouverte à l’aide d’un pas-d’âne adapté.

Les couronnes dentaires sont examinées à la recherche de signes de malocclusion : élongation, déviation, spicules (voir photo 6). La langue, les gencives et la face interne des joues sont observées pour détecter des lésions secondaires d’ulcération ou d’abcédation. Une dacryocystite d’origine dentaire ne peut être écartée sur la base d’un examen dentaire visuel normal : une dent est susceptible de présenter un aspect externe normal, tout en ayant une racine anormale. La visualisation d’une malocclusion est uniquement un critère d’orientation diagnostique. Dans tous les cas, l’étape suivante (dacryocystographie) est à réaliser.

4 PRATIQUER UNE DACRYOCYSTOGRAPHIE

La dacryocystographie est l’examen radiographique des voies lacrymales après l’injection d’un produit de contraste. Elle est pratiquée sous anesthésie générale, en raison du risque de stress et de douleur potentiels qu’elle représente et de la nécessité d’obtenir des clichés radiographiques de bonne qualité. La paupière inférieure est éversée à l’aide d’une pression du pouce, et le point lacrymal est visualisé en regard du canthus interne (voir photo 7).

Un cathéter souple plastique de petit diamètre (cathéter violet 26 G, par exemple) y est introduit délicatement, en direction rostro-médiale (voir photo 8). Un produit de contraste iodé est injecté lentement, à raison de 0,5 ml en moyenne. Des clichés radiographiques sont pris directement après l’injection (face et profil du crâne). En temps normal, le produit de contraste est éliminé directement. Lors de dacryocystite d’origine dentaire, il stagne et permet alors de localiser la région d’obstruction, ainsi que d’éventuelles zones de dilatation (voir photos 9 et 10).

5 INSTAURER UN TRAITEMENT ADAPTÉ

→ Un flushing des voies lacrymales est réalisé par l’injection de sérum physiologique stérile via le cathéter. Ce rinçage est suivi par l’administration de quelques gouttes d’un collyre ophtalmique antibiotique, et éventuellement corticoïde en l’absence d’ulcère cornéen. Lorsque le flushing est effectif, le liquide de rinçage sort au niveau de la narine associée (voir photo 11). Dans ce cas, ce geste technique est à la fois thérapeutique (débouchage des voies lacrymales) et diagnostique (récupération possible du liquide de rinçage et de pus pour une analyse bactériologique). Lorsque le flushing est ineffectif, il ne faut pas forcer, sous peine d’entraîner une rupture des voies lacrymales.

→ La tonte du canthus médial est importante, car elle contribue à assurer une bonne hygiène locale et à prévenir le risque de dermatite secondaire. Elle facilite également l’application d’une pommade cutanée antibiotique et cicatrisante, si besoin.

→ La prescription d’un traitement anti-inflammatoire et antibiotique, par voies locale et générale, est indiquée. Un collyre à base de gentamicine ou de chloramphénicol est approprié, et sera évacué via les voies lacrymales. Par voie générale, le méloxicam (0,3 mg/kg/j per os) est un anti-inflammatoire indiqué, associé à un antibiotique tel que l’enrofloxacine (10 mg/kg deux fois par jour per os), la marbofloxacine (5 mg/kg deux fois par jour per os) ou la pénicilline G (40 000 à 60 000 UI/kg par voie sous-cutanée ou intramusculaire).

→ Le traitement de l’affection dentaire associée varie selon sa nature. Lors de malocclusion dentaire, un parage est réalisé (coupe, limage) jusqu’au rétablissement d’un plan d’occlusion le plus physiologique possible. Cela peut favoriser la bonne reprise de la pousse dentaire, ?et limiter ainsi le risque de répercussion sur la racine. Lors d’abcès dentaire, le traitement repose sur le débridement et le curetage de celui-ci, et l’extraction des dents associées.

La décision thérapeutique est plus difficile lorsque le problème est uniquement lié à la croissance anormale d’une ou de plusieurs racines dentaires, sans autre lésion associée (aspect externe normal des dents, absence d’abcès de la racine). Ce cas est fréquent chez le lapin nain, dont la sélection sur des critères de petite taille participe à l’apparition de troubles dentaires (encombrement dentaire favorisé par un museau court). Il faut alors choisir entre l’extraction de la dent responsable pour corriger l’épiphora, et la préservation de celle-ci avec une prise en charge médicale de l’épiphora chronique, avec un risque ultérieur potentiel d’aggravation. Le consentement éclairé du propriétaire est nécessaire.

Lors de dacryocystite chronique, une rupture ou une sténose irréversible des voies lacrymales est possible, ce qui entraîne l’évolution de l’épiphora vers la chronicité malgré le traitement.

RAPPELS ANATOMIQUES

Les voies lacrymales du lapin sont constituées du point lacrymal (situé dans la paupière inférieure, en regard du canthus interne), d’un court canalicule lacrymal, d’un sac lacrymal assez large et d’un canal nasolacrymal.

Ce dernier entre dans l’os lacrymal par un petit foramen lacrymal. Il chemine dans l’os maxillaire, puis se recourbe et se rétrécit au niveau des racines des incisives. Il débouche enfin au niveau du nez, par un petit orifice difficilement visualisable, situé à quelques millimètres de la jonction cutanéo-muqueuse. Le canal nasolacrymal présente donc deux zones de courbure et de rétrécissement. La première (foramen lacrymal) est située en regard des racines des prémolaires maxillaires et la seconde en regard des racines des incisives maxillaires (voir photo 2). Une atteinte de ces racines dentaires (croissance anormale, infection, abcédation) entraîne l’obstruction partielle ou totale du canal, à l’origine d’une dacryocystite secondaire.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr