Reportage
Auteur(s) : Frédéric Thual
Claude Guintard, professeur d’anatomie comparée à Oniris (Nantes), a réussi à faire rapatrier des ossements de bovins sauvages de l’île Amsterdam, 20 ans avant leur éradication. Depuis, il a fait parler ces vestiges.
Assis derrière une tête de bovin, pied à coulisse en main, Claude Guintard ne se lasse pas d’expliquer l’originalité des bovins de l’île Amsterdam. Pour cet enseignant, spécialiste de l’auroch en France, l’éradication complète de l’animal décidée en 2010 est une aberration : « C’est une illustration de la bêtise humaine… Il s’agissait d’un isolat géographique d’animaux sauvages incomparable. Depuis 1871, les bovins d’Amsterdam se reproduisaient sans aucune intervention humaine. Avec le temps, l’échantillon prenait de la valeur. Il était possible de suivre 40 à 50 générations qui se sont sélectionnées de façon naturelle, avec un sex-ratio de 1 pour 1. Pendant 120 ans, les mâles dominants saillaient les femelles. Ces dernières mettaient bas si elles pouvaient. Si elles ne le pouvaient pas… la sélection naturelle s’exprimait pleinement. »
L’île Amsterdam est un îlot volcanique de 58 km2, balayé par les vents mais au climat tempéré, situé au beau milieu de l’océan Indien. Un confetti émergé à 3 000 km de l’Antarctique, autant de l’Australie, et à 4 000 km de la Réunion. Une première hypothèse suggère que les bovins auraient pu y être déposés par des navigateurs entre le XVIIe et le XVIIIe siècles pour que l’île devienne un lieu de ravitaillement sur la route des baleiniers de l’Antarctique.
La seconde veut qu’en 1871, « le Réunionnais Heurtain débarque en famille pour tenter l’élevage de bovins et la culture de la terre ». Six mois plus tard, il rebrousse chemin, abandonnant sur place les bovins d’Amsterdam : des vaches à la robe polymorphe, tachetée, faussement charbonnée, un peu grise, sans doute issues d’un croisement de tarentaise, de bretonne pie noire et de brunes des Alpes, voire de zébu. « Une population d’animaux non sélectionnés par l’homme qui correspondait au morphotype de la fin du XIXe siècle, d’une hauteur de 1,17 à 1,30 m au garrot et doté de grosses cornes », décrit Claude Guintard.
Profitant des conditions tempérées de l’île, les animaux se sont bien acclimatés. Trop bien, aux yeux des défenseurs des bois de phylicas et des trois espèces d’albatros (d’Amsterdam, à bec jaune et fuligineux à dos sombre) qui nichent sur l’île. Au nom de la sauvegarde de l’écosystème, les autorités des Terres australes et antarctiques françaises (Taff) décident de décimer l’ensemble du cheptel, perçu comme domestique. Plusieurs vagues d’abattage ont lieu à partir de 1987. « Il était possible de simplement contingenter les bovins dans une partie de l’île, martèle Claude Guintard. Aucune espèce ne peut se prévaloir d’être endémique sur ce territoire. Elles sont arrivées d’ailleurs, puisque l’île a émergé il y a 70 000 ans environ. Tout dépend où est placé le curseur. Si l’homme avait laissé l’opportunité aux bovins d’Amsterdam de faire la même chose que les albatros, une espèce totalement originale aurait été obtenue en quelques milliers d’années. Quelle est la différence ? Je suis tout à fait d’accord pour que les bois de phylicas, menacés par l’impact du pâturage, et la nidification de l’albatros d’Amsterdam soient préservés. Néanmoins, le bovin de l’île Amsterdam était également endémique. Il n’en existait nulle part ailleurs sur Terre. Il avait autant de valeurs patrimoniale, génétique, scientifique que les autres espèces. L’homme s’est arrogé le droit de décider que son origine domestique avait moins d’importance qu’une autre sauvage. Il était possible, dans un paysage très anthropisé, de faire des mosaïques. Que faisons-nous actuellement avec les réserves naturelles ? »
En dépit des protestations de scientifiques, l’éradication complète intervient en 2010. Suite à la première série d’abattage, en 1987, Claude Guintard réussit, avec le concours des Taff et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS, Centre d’écologie et de biologie des animaux sauvages de Chizé) à faire rapatrier 91 têtes de bovins, des métacarpes et des métapodes. « En rédigeant ma thèse de doctorat vétérinaire sur l’auroch, je me suis aperçu que peu de bovins sauvages existaient sur Terre, souligne-t-il. Même ceux de Camargue ou les taureaux de combat espagnols sont, en réalité, hypersélectionnés. Sur l’île Amsterdam, j’ai trouvé un isolat géographique ! Étudier ces animaux permettrait de constituer un modèle de référence, en relation avec les études archéozoologiques. Souvent, j’entendais dire : “Rien ne prouve que ce qui se passait au Moyen Âge puisse se retrouver aujourd’hui chez des races très sélectionnées telles que la charolaise, la limousine, la prim’holstein, etc.” Je me suis dit que j’avais la possibilité de contrer cet argument avec une population d’animaux non sélectionnés ! »
Depuis, des milliers de mesures et de nombreuses études ont été réalisées. Le sexage et l’ostéométrie des métapodes, le dimorphisme sexuel à partir de boîtes crâniennes, etc., ont permis de déterminer le sex-ratio, la vitesse de croissance, ainsi que le comportement des animaux. Aujourd’hui, Claude Guintard estime avoir fait le tour de ces os. Il a montré que des lois biologiques pouvaient être transposables aux animaux domestiques. La race d’Amsterdam sert désormais de référentiel. Seule la piste génétique n’est pour l’instant pas exploitée. « Ce sont des ossements produits de manière naturelle, sans détergent, sans lessive, sans traitement dégraissant. Ils contiennent donc de l’ADN. Maintenant que les bovins de l’île Amsterdam ont tous disparu, la seule façon de travailler sur eux serait de faire appel à la génétique et de faire parler l’ADN présent dans les os… » Les bovins d’Amsterdam n’ont peut-être pas dit leur dernier mot.
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