Burn-out, mal-être : des sujets encore tabous dans la profession - La Semaine Vétérinaire n° 1588 du 06/06/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1588 du 06/06/2014

Dossier

Auteur(s) : Serge Trouillet

Pourquoi de nombreux vétérinaires ont-ils un sentiment de stress, de mal-être et d’épuisement psychique ou physique qui les pousse à envisager un changement de carrière ou, dans le pire des cas, le suicide ? Plusieurs études lèvent le voile sur un sujet encore largement tabou chez les praticiens. Pourtant, des pistes d’actions existent.

Les études, les thèses et les questionnaires sont de plus en plus nombreux à alimenter les connaissances et le débat sur le stress au travail, le burn-out, le suicide : autant de sujets qui, en France, en particulier chez les vétérinaires, n’ont pas précisément nourri jusque-là une bibliographie très étoffée.

Un questionnaire du régime social des indépendants (RSI), élaboré par Vétos-Entraide, sera prochainement mis en ligne sur le site de l’association (www.vetos-entraide.com). « Le RSI mène des opérations de prévention de manière générale, dans le cadre de la santé au travail chez les professionnels libéraux, dont les vétérinaires, car les salariés bénéficient de la médecine du travail, explique Édith Beaumont (L 82), qui a présidé Vétos-entraide de 2009 à 2013. Il a repensé les différents risques professionnels que pouvait courir le vétérinaire dans l’exercice de son activité : physiques, biologiques, chimiques, allergiques et psychosociaux. C’est dans ce cadre-là que nous avons été amenés à élaborer ce questionnaire, ainsi qu’un document de prévention qui l’accompagne. » Le peu de retours de l’envoi personnalisé de la version papier par le RSI a effectivement conduit l’association à opter pour la mise en ligne sur son propre site.

LES SOURCES DE STRESS

Le stress au travail est régulièrement impliqué dans la littérature comme l’un des facteurs qui conduit à une augmentation de l’incidence du suicide au sein de la profession. Le facteur de risque n’est qu’un marqueur : aucun lien de causalité n’est réellement établi via les études connues sur le sujet. Chez les vétérinaires français, les principales sources de stress inhérentes à la pratique de leur métier correspondent au temps de travail important, aux horaires difficiles et à la difficulté de concilier son exercice et sa vie privée : 67 % des vétérinaires interrogés estiment ne pas avoir le temps de profiter de leur famille. Ils considèrent, par ailleurs, ne pas être suffisamment préparés aux tâches afférentes à la gestion d’une structure vétérinaire.

Les clients constituent une autre source de stress. Ils peuvent être agressifs, exigeants, procéduriers. Même si seulement un petit nombre d’entre eux se plaignent, les conflits sont mal vécus par les praticiens. Ces derniers identifient également les relations professionnelles – des rapports conflictuels jusqu’à l’absence de soutien entre confrères – comme un autre facteur de stress majeur. La concurrence, notamment dans le secteur rural, avec les pharmaciens, les groupements, les techniciens, les entreprises d’aliments ou encore les inséminateurs, est également évoquée.

LES SYMPTÔMES DU BURN-OUT

Un stress chronique trop important est susceptible d’aboutir à un point de rupture nommé syndrome d’épuisement psychique et/ou physique, plus communément appelé burn-out. De nombreuses études établissent un lien étroit entre le stress et/ou le burn-out et le suicide au travail.

Le burn-out rassemble trois symptômes : un état d’épuisement émotionnel mais aussi physique et mental, une déshumanisation ou un cynisme, et une dévalorisation massive de sa compétence. L’ensemble s’accompagne d’une diminution importante de l’efficacité au travail. Pratiquement un vétérinaire sur deux subit dans sa vie professionnelle un épisode suffisamment désagréable pour qu’il l’appelle burn-out.

Ce phénomène s’explique par un envahissement de la sphère privée par le travail beaucoup plus important chez les vétérinaires, notamment bovins et mixtes, que chez d’autres professions. Une latitude décisionnelle suffisante, une forte implication ainsi qu’un haut niveau d’engagement et de satisfaction dans son travail sont de nature à atténuer les effets du stress. Il n’empêche. Même si les vétérinaires sont majoritairement satisfaits d’exercer leur métier, la lassitude, voire le dégoût de la pratique qui résulte d’un stress permanent incitent 20 % d’entre eux environ à envisager un changement de carrière.

LES TROUBLES LIÉS AU MAL-ÊTRE

Dans les différents pays étudiés, plus d’un vétérinaire sur dix interrogés avoue avoir traversé un épisode dépressif. La dépression est également un facteur avéré de suicide. Les différentes situations de stress sont susceptibles de déclencher une addiction médicamenteuse ou alcoolique, laquelle est pointée comme un réel problème lié au mal-être dans la profession. La corrélation entre la toxicomanie et le risque suicidaire y est bien établie, et chacun de ces phénomènes favorise l’existence de l’autre. La stigmatisation des troubles psychologiques et la facilité d’automédication n’incitent pas non plus les vétérinaires à rechercher de l’aide.

Ces troubles, chez les vétérinaires, sont-ils préexistants à leur pratique ? De nombreux éléments apparaissent en faveur d’une corrélation entre le perfectionnisme imposé socialement, l’autocritique, la peur de l’échec, de l’erreur, le doute concernant l’action – autant de caractéristiques physiologiques particulières identifiées chez des étudiants dans une étude américaine –, et le comportement suicidaire.

D’autres travaux témoignent d’une souffrance psychologique plus importante chez les femmes, ainsi que chez les jeunes diplômés. Chez ces derniers, la peur de l’erreur médicale et le manque de soutien et de supervision de leurs aînés sont notamment en cause.

DES RISQUES ÉLEVÉS

Le suicide est fortement lié aux désordres mentaux, mais pas uniquement. L’isolement social, les problèmes financiers, l’accès et la maîtrise des agents médicamenteux, ainsi que l’impact de l’euthanasie sont également à prendre en compte. Avec une vie sociale sacrifiée sur l’autel de son exercice et une absence de confraternité dans la profession, dans certains cas, le vétérinaire est exposé à l’isolement. Le sentiment d’injustice et le manque de reconnaissance, avec un revenu jugé insuffisant en regard de la formation suivie et de l’investissement fourni quotidiennement, participent à la vulnérabilité psychologique des praticiens.

Par ailleurs, il existe une corrélation entre l’accès aux moyens létaux et le risque suicidaire. Cela rend les praticiens plus vulnérables à l’instant de crise, même si, bien entendu, ce facteur n’est pas le seul à intervenir dans le phénomène suicidaire. Différents auteurs évoquent l’utilisation de T61® et de pentobarbital dans les tentatives d’autolyse comme un usage non exceptionnel, en particulier chez les vétérinaires. Enfin, les consultations d’euthanasie, qui font partie du quotidien du praticien, mettent en jeu des émotions intenses susceptibles de l’affecter. Une souffrance psychologique peut naître de ces euthanasies répétées. S’ensuit parfois une désensibilisation à la mort susceptible de lever les inhibitions relatives au suicide. Ce dernier peut alors apparaître comme une solution rationnelle aux propres problèmes du vétérinaire.

LE RÔLE ESSENTIEL DE L’ENTOURAGE

La crise suicidaire n’est pas un processus irréversible. À tous les stades de son développement, une intervention, même minime, peut avoir une influence majeure. Si la prise en charge relève du système de santé, le rôle de l’entourage est essentiel dans la détection et le traitement. En effet, il convient d’abord de repérer le risque suicidaire le plus tôt possible. En particulier lorsque la fatigue, l’irritabilité ou l’isolement se mue en désespoir et en souffrance intense. Une rupture conjugale, une difficulté professionnelle ou tout autre événement négatif sont autant d’éléments de vulnérabilité susceptibles de constituer la goutte qui fait déborder le vase. La présence d’associations, telles que Vétos-entraide (voir encadré), ainsi que l’établissement d’une relation de confiance et d’une démarche bienveillante par l’entourage, permettent un meilleur rétablissement sur le long terme.

La meilleure solution consiste encore à prévenir le risque. Cela peut passer par la diminution de l’impact de la surcharge de travail, en rationalisant son organisation ou en se résignant à en faire un peu moins ; par la lutte contre l’isolement, en se rapprochant voire en intégrant les instances professionnelles ou syndicales, en optant pour le tutorat auprès de jeunes diplômés ou en évoquant sans honte ses problèmes ; par une information plus complète des clients, afin de corriger leurs attentes parfois irréalistes ou leurs a priori sur le coût réel du traitement proposé ; par une meilleure gestion de l’euthanasie, en limitant le poids de la responsabilité grâce au travail en équipe ; etc.

L’AFFAIRE DE TOUS

Virginie Malvaso1 prend soin de mentionner dans sa thèse les biais du système de recueil des données de mortalité chez les vétérinaires : leur inclusion dans la catégorie “cadres et professions intellectuelles supérieures”, une autre cause de mort qui masque parfois un suicide, les causes de décès inconnues, la justesse de la déclaration à telle catégorie socioprofessionnelle. Pour autant, l’étude de données alternatives, qui porte aussi bien sur les actifs du secteur de la santé que sur les chefs d’entreprise (des catégories auxquelles appartiennent la majorité des praticiens vétérinaires), ainsi que la similarité des facteurs de risques d’un pays à l’autre lui font suggérer une forte prévalence du suicide chez les vétérinaires français. Celle-ci est étayée, entre mille raisons, sur une suspicion corroborée, selon elle, par le sentiment général de la population vétérinaire.

Reste à médiatiser ce sujet tabou, dans l’espoir de voir diminuer l’impact du suicide. Celui des vétérinaires est l’affaire des instances publiques, des médecins, de l’entourage, mais surtout du corps des vétérinaires qui détient le pouvoir de limiter ce fléau. « La confraternité est la clé de l’amélioration de la condition du vétérinaire, indique la jeune diplômée en guise de conclusion. Il est de la responsabilité de chacun de prévenir ce risque en repérant les premiers signes chez ses pairs, en agissant en conséquence mais, surtout, en incitant les instances de santé gouvernementales à se préoccuper enfin de la question suicidaire, encore trop souvent négligée. »

  • 1 « Le suicide dans la profession vétérinaire : étude, gestion et prévention », thèse soutenue en décembre 2013 à Lyon.

  • 2 Document auquel ont contribué Édith Beaumont (L 82), Thierry Jourdan (A 89) et Aelis Martin (T 02).

  • 3 contact@vetos-entraide.com. Appel à l’aide : ecouter@vetos-entraide.com et 0972224344.

NE PLUS ÊTRE DANS LE DÉNI

Gil Wittke (A 88) membre de l’association Vétos-entraide, s’emploie lui aussi à nourrir cette réflexion. Ancien praticien libéral devenu psychologue et coach, il a décidé d’accompagner ses confrères en souffrance dans une activité d’orientation professionnelle et de bilans de compétences. Son questionnaire sur la volonté de changement des vétérinaires, mis en ligne sur la page Evolpro du site de Vétos-entraide, a recueilli 168 réponses qu’il lui reste à exploiter : « À travers 18 questions, nous avons défini huit profils, pour chacun desquels nous proposons des pistes concrètes d’action », précise-t-il.

Gil Wittke encadre également plusieurs thèses d’étudiants sur ce sujet. Pour celles relatives aux risques psychosociaux, 500 réponses d’auxiliaires vétérinaires et autant de vétérinaires ont été recueillies : « C’est une moisson très prometteuse. J’attends également beaucoup d’une thèse sur l’identité professionnelle du vétérinaire : a-t-elle une spécificité ? Comporte-t-elle des facteurs de risque, ou des facteurs qui font que les gens ont la plus grande difficulté à admettre le changement, même s’ils en ont plus qu’assez ? Le temps est venu d’arrêter d’être dans le déni », conclut-il.

LES PISTES DE PRÉVENTION ET DE PROTECTION

Qu’est-ce que le stress au travail et comment se traduit-il ? Quels sont les principaux facteurs de risque de ce stress ? Comment, à la lumière des recherches actuelles, proposer des pistes d’amélioration des conditions de travail collectivement et individuellement ? Ces questions trouvent des propositions de réponse dans un document2 consultable sur le site Vetos-entraide.com. Rappelant que le principal danger du stress au travail est l’isolement et que la principale protection est le soutien social, celui-ci s’appuie sur six axes de risques psychosociaux. Pour chacun d’entre eux, il est possible d’élaborer des pistes de prévention et de protection.

Ces axes ont été proposés en octobre 2009 par un collège d’experts, qui a compilé l’ensemble des études épidémiologiques et statistiques relatives à ces risques. Considérés comme des indicateurs provisoires de facteurs de risques psychosociaux au travail, ils servent aujourd’hui de référence aux psychologues du travail. Il s’agit de l’exigence au travail (axe n° 1), de celles émotionnelles (n° 2), de l’autonomie et des marges de manœuvre (n° 3), des rapports sociaux et de la relation au travail (n° 4), du conflit de valeur (n° 5) et de l’insécurité de l’emploi (n° 6). Par exemple, à partir de cette réflexion collective qui a conduit à la proposition de pistes concrètes d’amélioration pour chacun de ces axes, le document définit ainsi le profil du manager idéal (axe n° 4).

« Celui-ci :

→ donne du sens au travail ;

→ organise [ce dernier] : il fixe les objectifs et les priorités, gère les urgences, adapte les objectifs aux moyens, définit les délais ;

→ précise les résultats attendus, les évalue pour faire les ajustements nécessaires ;

→ reconnaît les efforts (compliments, rémunération) ;

→ accepte le dialogue ;

→ est capable de déléguer ;

→ assume ses responsabilités et ne se décharge pas de [celles-ci] sur ses subordonnés ;

→ accompagne les équipes et les personnes : il les informe, veille à leur formation, les invite à contacter les personnes-ressources qui peuvent les aider (médecine du travail, médecin personnel, assistantes sociales), joue le rôle de référent, gère les tensions, etc. »

DES APPELS DE FEMMES ET DE JEUNES DIPLÔMÉS

L’association Vétos-entraide, créée fin 2002, a initialement mis en place un espace d’écoute pour les vétérinaires en souffrance3. Les échanges se font alors anonymement par courriel. Par la suite, la prévention du suicide s’élargit à la promotion du bien-être dans la profession : création du site internet (Vetos-entraide.com), mise à la disposition des confrères d’éléments leur permettant de faire face à des situations difficiles (décès d’un proche, burn-out), livre blanc sur la continuité des soins (une source importante d’anxiété dans la profession), ouvrages sur le vétérinaire et l’argent, sur la première installation, sur l’euthanasie, etc. L’ouverture d’un numéro d’écoute complète ensuite le dispositif. « Une dizaine d’écoutants se relaient 24 heures sur 24 et répondent anonymement à une cinquantaine de demandes d’aide chaque année, indique Artagnan Zilber (A 86), président de Vétos-entraide. Nous ne réglons pas les problèmes des personnes qui nous sollicitent. Nous leur apportons une aide psychologique, avec des vétérinaires bénévoles formés à cet exercice. Le portrait type de l’appelant est plutôt une femme, seule, d’une quarantaine d’années. Pour autant, nous constatons un déplacement des appels vers les jeunes générations. Cela nous incite à mieux nous faire connaître dans les écoles vétérinaires. »

La communication est un axe essentiel de la démarche de l’association : « Plus les praticiens sauront que nous existons, mieux ils relayeront l’information, souligne Artagnan Zilber. Par ailleurs, cela vise à faciliter le recrutement des adhérents et, le cas échéant, des écoutants dont le protocole d’intégration est rigoureux. Nous souhaitons que les adhérents soient plus nombreux. Notre source de financement est assurée d’une part par leurs cotisations, d’autre part par les dons de mécènes, qui constituent la majorité de notre budget. Nous aimerions inverser la tendance. »

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