Vétérinaire de montagne, un lien intime avec l’élevage - La Semaine Vétérinaire n° 1586 du 23/05/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1586 du 23/05/2014

Dossier

Auteur(s) : Stéphanie Padiolleau

La montagne représente 25 % du territoire français. Près de 50 % des moutons et 25 % des vaches allaitantes y vivent en permanence ou temporairement, pour moins de 10 % des confrères. Culture locale, production particulière, contraintes géographiques et climatiques : quelles sont les conséquences pour la pratique vétérinaire ?

Le quart du territoire français est situé en montagne, telle que celle-ci est définie par la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985, dite “montagne” (voir encadré). 16,7 % des communes françaises, réparties sur 40 départements, sont implantées dans ces zones, dont 614 en haute montagne. Trois départements y sont intégralement situés : les Hautes-Alpes, la Lozère et le Cantal, une séance de l’Académie vétérinaire de France y étant consacrée en 2013. Selon les données de l’annuaire Roy, un peu plus de 1 500 vétérinaires (moins de 10 % des praticiens), pour 460 structures, exercent dans une commune montagnarde. S’y ajoutent ceux dont une partie de la clientèle s’y trouve. Ce sont en majorité des hommes (58 %), et les deux tiers sont diplômés des écoles de Lyon et de Toulouse (voir figure 1).

Un vétérinaire ne s’installe pas dans ces massifs par hasard : beaucoup sont issus des régions montagneuses et reviennent y exercer. Leur attrait est indéniable : qualité de vie et des produits locaux, beauté des paysages, etc. Cependant, dans tous les cas, la montagne impose son rythme et ses contraintes. Le développement des axes routiers, stimulé par l’attrait des sports d’hiver et d’été, en a facilité le désenclavement. La loi “montagne” est un cadre destiné à favoriser l’essor et la préservation de ces territoires. La persistance de l’élevage en est un maillon important, qui permet l’entretien des paysages autant qu’il participe à l’économie locale. Un système d’aides spécifiques au secteur montagnard existe pour soutenir l’activité agricole : indemnité compensatoire des handicaps naturels (ICHN), aides à la mécanisation et à l’installation, etc., et, récemment, une orientation nationale de la Politique agricole commune (PAC) en faveur de l’élevage montagnard.

Toutefois, les exploitations agricoles de montagne, de taille équivalente à la moyenne nationale, souffrent d’une rentabilité moindre que celles des plaines. Selon les économistes de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et de l’Institut de l’élevage, le maintien de l’élevage en zone de montagne est étroitement lié au développement des appellations d’origine et de qualité. 18 des 29 fromages qui possèdent une appellation d’origine protégée (AOP) en 2013 sont fabriqués en montagne ou avec du lait de montagne. 35 % des exploitations dont un produit au minimum bénéficie d’une garantie qualité – Label rouge, AOP ou indication géographique protégée (IGP) – se trouvent en zone de montagne.

La valorisation des productions de ces régions s’effectue conjointement avec le reste de l’économie locale (artisanat, tourisme, etc.), dans une démarche globale qui profite à tous. Faire rimer l’Aubrac avec les couteaux et l’aligot par exemple, a redonné du souffle à la race et à l’utilisation des plateaux du même nom. Dans le Jura, la promotion des fromages (comté, mont d’or, morbier), produits avec une charte stricte et largement médiatisés, sert à merveille l’élevage laitier, qui a progressé de 10 % depuis 1988. Tous les massifs évoluent à leur rythme et pas tous dans le même sens (voir figure 2), selon leur culture propre et les possibilités de développement locales.

UNE PRÉSENCE VÉTÉRINAIRE LIÉE À L’ÉLEVAGE

La pratique vétérinaire est corrélée aux nombreux animaux qui vivent ou séjournent en montagne. Selon le recensement agricole de 2010, 17 % des vaches laitières, 23 % de celles allaitantes, 48 % des brebis et 23 % des chèvres sont élevées dans ces zones. Ces dernières comptent un vétérinaire pour 3 300 bovins adultes (6 100 dans le Cantal), versus 2 600 en moyenne en France. Le salariat concerne 44 % des praticiens montagnards. Il est davantage présent que dans le reste de la France (28 %) en raison de l’aspect saisonnier d’une partie de l’activité : période des vêlages et de la prophylaxie en rurale, saison touristique pour l’activité canine. Avec 1,86 associé par structures en moyenne, les entreprises vétérinaires ont une taille légèrement supérieure à la moyenne française (1,6), même si 120 confrères exercent seuls dans leur cabinet. Cette pratique tend d’ailleurs à diminuer. Le développement de l’urbanisme et de la clientèle saisonnière favorise l’essor de l’activité destinée aux animaux de compagnie. Ainsi, le tiers des confrères libéraux ont un exercice exclusivement canin. Dans certaines structures mixtes, celui-ci permet de compenser une baisse d’activité rurale, et ainsi de maintenir une présence vétérinaire.

Malgré des politiques locales en faveur de l’élevage, qui pourraient avoir un impact positif sur l’activité vétérinaire, la rentabilité des interventions en rurale est plus réduite qu’en plaine, où les cheptels sont sédentaires, mieux organisés, et disposent de davantage de moyens de contention. En montagne il faut composer avec des temps de trajets parfois longs, des durées d’intervention plus importantes (infrastructures moins adaptées, main-d’œuvre réduite, morcellement des parcelles).

Le revenu autrefois lié à l’exercice du mandat sanitaire n’est plus attractif, d’autant que la prise en compte par les services de l’État et les organisations agricoles des contraintes relatives à la montagne est insuffisante, voire absente, et varie selon les régions. Le passage de la fièvre catarrhale ovine en a été un exemple flagrant, avec d’importantes différences parmi les montants de la participation des pouvoirs publics dans les vaccinations collectives obligatoires, de nature à décourager les confrères qui ont une faible activité rurale. Le recrutement et, surtout, l’installation à long terme de nouveaux confrères, est globalement difficile chez les ruraux. Le maillage vétérinaire est plus lâche en montagne qu’ailleurs. Pourtant, la situation épidémiologique particulière induite par la pratique de l’estive requerrait justement un filet plus dense.

L’ESTIVE, UNE PRATIQUE ANCESTRALE ET UN CAUCHEMAR SANITAIRE

L’utilisation des pâturages et des parcours, privés ou publics, en montagne est une tradition dont l’utilité est double : elle permet d’assurer l’alimentation des herbivores pendant quatre à cinq mois et d’entretenir les paysages. Les fourrages sont de bonne qualité nutritionnelle, avec une bonne disponibilité, en général peu ou pas exposés aux produits phytosanitaires (30 % des surfaces agricoles de montagnes n’ont jamais reçu d’engrais et 29 % de pesticides). Le temps que les animaux pâturent hors des exploitations offre la possibilité aux éleveurs d’effectuer un vide sanitaire pendant les mois d’été et libère la main-d’œuvre, bien que le temps passé en intérieur en automne et hiver soit plus long que pour les cheptels de plaines. Pour une exploitation de taille comparable, un éleveur de montagne peut se permettre d’avoir un effectif plus élevé qu’en plaine. L’estive est pratiquée pour tous les herbivores : les vaches, les moutons, les chèvres, mais aussi les chevaux de trait. Ceux-ci sont très prisés pour l’entretien des alpages et leur élevage, à l’exception des régions Bretagne et Normandie, qui se concentrent en zone de montagne (voir carte ci-contre).

Les principaux inconvénients sont liés à la taille des estives et aux risques sanitaires. Il est difficile de surveiller les animaux correctement. La prise en charge des individus malades est, par ailleurs, plus tardive et plus malaisée qu’en plaine, avec un temps de trajet nettement plus élevé et des moyens de contention moins confortables. La présence de parcs de rassemblement et de couloirs de contention est un point positif. Encore faut-il que les animaux puissent y être conduits.

Le mélange d’animaux d’espèces et de statuts sanitaires différents constitue un autre problème : seules les maladies listées dans les dangers sanitaires font l’objet d’une réglementation spécifique imposée à tous. Pour le reste, la situation est moins homogène et favorable aux affections de groupe. Les animaux à l’estive sont comme les enfants en colonie de vacances : ils échangent en toute liberté des agents pathogènes et parasitaires. La plupart des affections rencontrées chez les herbivores en estive sont comparables avec celles des élevages sédentaires, mais les dominantes pathologiques n’ont ni la même fréquence ni la même importance. Les maladies de groupe, à caractère épizootique parfois explosif (grippes) ou plus insidieux (gales), sont les plus importantes. Le suivi épidémiologique est difficile, et le contact avec la faune sauvage accroît les risques de transmission de maladies entre les foyers sauvages et domestiques. Le cas du foyer de brucellose en Haute-Savoie en est un bon exemple.

Les affections rencontrées chez les bovins sont, par ordre de fréquence, les maladies respiratoires, les boiteries, les troubles digestifs (liés à l’herbe ou la coccidiose), les affections parasitaires (babésiose, besnoitiose, parasitisme général). Chez les ovins, les plaies (d’origine traumatique ou causées par morsures) arrivent largement en tête. Elles sont suivies par les myiases, les boiteries infectieuses (panaris, piétin, fourchet), le parasitisme et les infections respiratoires. Chez les équidés, les plaies constituent également une problématique dominante. Viennent ensuite les affections respiratoires, les boiteries et le parasitisme.

L’IMPACT DES PRÉDATEURS

Les populations de grands carnivores, tels que le lynx, l’ours et le loup, progressent, ainsi que le poids des attaques. Au-delà des divergences d’opinions concernant le maintien en liberté des prédateurs, ces animaux ont un impact non négligeable sur les élevages, et pas uniquement en montagne. En plus des conséquences directes des attaques de troupeaux, dont le coût généré par la mortalité est pris en charge par l’État, une part non négligeable des pertes se manifeste de manière indirecte : avortements, état d’engraissement moins bon à cause du stress, blessures diverses.

Lors d’attaques de troupeaux ovins, le seuil de 0,7 agneau produit dans l’année, nécessaire pour bénéficier des primes, n’est de ce fait pas toujours atteint et participe à une moindre rentabilité de l’élevage de montagne. La Fédération des associations de chasseurs français vient d’intégrer la plateforme de la Commission européenne sur la gestion des grands carnivores sauvages, car leur prolifération ne se limite pas à la France et leur gestion demande une approche globale.

Pour en savoir plus

> Christophe Roy, « Place du vétérinaire en montagne », Académie vétérinaire de France, séance du 17 avril 2013 et Inra Prod. Anim., 2014, 27 (1), 41-48.

> J. P. Alzieu, J. Brugères-Picaoux et C. Brard, « Particularités pathologiques des ruminants domestiques en estive », Académie vétérinaire de France, séance du 17 avril 2013 et Inra Prod. Anim., 2014, 27 (1), 31-40.

> Bruno Martin, « Panorama de l’élevage de montagne », Académie vétérinaire de France, séance du 17 avril 2013.

> Inra productions animales, 2014, volume 1.

> Rapport de la commission européenne « zones de montagnes en Europe », 2004.

DÉFINITION DE LA MONTAGNE FRANÇAISE

La zone de montagne est définie en France par la loi relative au développement et à la protection de la montagne, dite loi « montagne » (loi n° 85-30 du 9 janvier 1985). « La République française reconnaît la montagne comme un ensemble de territoires dont le développement équitable et durable constitue un objectif d’intérêt national en raison de leur rôle économique, social, environnemental, paysager, sanitaire et culturel. Le développement équitable et durable de la montagne s’entend comme une dynamique de progrès initiée, portée et maîtrisée par les populations de montagne et appuyée par la collectivité nationale, qui doit permettre à ces territoires d’accéder à des niveaux et conditions de vie comparables à ceux des autres régions et offrir à la société des services, produits, espaces, ressources naturelles de haute qualité (…).

Les zones de montagne se caractérisent par des handicaps significatifs entraînant des conditions de vie plus difficiles et restreignant l’exercice de certaines activités économiques. Elles comprennent, en métropole, les communes ou parties de communes caractérisées par une limitation considérable des possibilités d’utilisation des terres et un accroissement important des coûts des travaux dus :

– soit à l’existence, en raison de l’altitude, de conditions climatiques très difficiles se traduisant par une période de végétation sensiblement raccourcie ;

– soit à la présence, à une altitude moindre, dans la majeure partie du territoire, de fortes pentes telles que la mécanisation ne soit pas possible ou nécessite l’utilisation d’un matériel particulier très onéreux ;

– soit à la combinaison de ces deux facteurs lorsque l’importance du handicap, résultant de chacun d’eux pris séparément, est moins accentuée ; dans ce cas, le handicap résultant de cette combinaison doit être équivalent à celui qui découle des situations visées aux paragraphes 1° et 2° ci-dessus. »

Concrètement, les zones de montagne ainsi définies se situent à une altitude supérieure à 700 m (600 dans les Vosges, 800 en zone méditerranéenne), et/ou présentent une pente moyenne supérieure à 20 %. Six massifs sont ainsi délimités : les Pyrénées, la Corse, le Massif vosgien, le Massif central, le Jura, les Alpes du nord et les Alpes du sud regroupées en un seul massif alpin (décret du 16/01/2004, voir carte).

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