La phagothérapie, porteuse d’espoirs à concrétiser - La Semaine Vétérinaire n° 1579 du 04/04/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1579 du 04/04/2014

Lutte contre les infections

Dossier

Auteur(s) : Frédéric Decante

L’actualité relative à l’antibiorésistance remet au goût du jour d’anciennes techniques médicales de lutte contre les infections jugées, il y a encore quelques années, désuètes. La phagothérapie, découverte bien avant les antibiotiques, consiste en l’utilisation de virus ciblés contre les bactéries.

En 1896, l’Anglais Hankin met en évidence une action bactéricide sur le vibrion cholérique d’une substance présente dans les eaux du Gange et filtrable par la porcelaine. Son compatriote Twort confirme ce phénomène en 1915. Le Français D’Hérelle, à partir de 1917, donne ses lettres de noblesse à la phagothérapie, dont le nom apparaît à cette époque à partir des mots grecs baktêria (“bâton”, les premières bactéries observées ayant cette forme) et phagein (“manger”). Félix D’Hérelle, pour sa découverte, se fonde sur l’observation d’un agent qui effectue la lyse bactérienne. Transmissible in vitro, celui-ci est retrouvé dans les fèces de patients atteints de dysenteries mais qui en guérissent. Bien avant l’arrivée des antibiotiques, D’Hérelle découvre un moyen de lutter contre les bactéries, même si la présence d’un agent vivant responsable de cette lyse est fortement discutée. En effet, certains scientifiques de l’époque attribuent cette destruction à la diffusion d’une protéine. Rapidement, Félix D’Hérelle cherche à appliquer sa trouvaille à la lutte contre les maladies animales bactériennes via le modèle de la salmonellose aviaire, en administrant une solution de bactériophages sélectionnés à partir d’animaux malades. Il obtient un excellent taux de guérison, et double son expérience sur le modèle animal en travaillant sur la pasteurellose des buffles à Saïgon.

Dans les années 20, la phagothérapie commence à être appliquée chez l’homme. La technique se généralise avec une certaine inconstance dans les résultats. La nature virale des bactériophages reste encore à préciser, mais différents laboratoires à travers l’Europe commencent à commercialiser des cocktails de phages, à travers des solutions de qualité et de stabilité variables. Jusque dans les années 40, le caractère viral est controversé : certains y voient une activité enzymatique et/ou protéique, susceptible de créer des réactions anaphylactiques. En 1943, le Russe Ruska met en évidence via la microscopie électronique la nature virale des bactériophages.

La géopolitique et les antibiotiques sonnent le glas de la phagothérapie en Occident

Pendant cette période et depuis les années 30, les Américains ont mis au point les antibiotiques à la suite des travaux de Flemming et de la découverte de la pénicilline. Si ce dernier comprend rapidement l’éventualité des résistances, les autorités médicales occidentales résistent mal à l’attrait de la production industrielle de molécules à l’action si radicale. Quand la Deuxième Guerre mondiale éclate, l’antibiothérapie et la phagothérapie balbutiantes ont toutes deux besoin de terrains d’expérimentation. La guerre et ses blessés offrent cette possibilité. L’heure est à la stratégie et à la planification : le bloc de l’Ouest choisit la voie de l’antibiothérapie ; l’Allemagne et le bloc de l’Est parient sur la phagothérapie. Les soldats germaniques disposent dans leur paquetage de solutions de phages pour soigner leurs blessures. De l’autre côté, les Américains misent sur les sulfamides et les pénicillines. La fin de la guerre scinde le continent européen en deux parties. Les Allemands de l’Ouest stoppent la production de phages, les alliés américains poursuivent le développement des antibiotiques, l’Union soviétique bâtit un mur en guise de frontière ! Derrière celui-ci, le bloc de l’Est poursuit ses recherches sur la phagothérapie, publie ses travaux de façon autonome et ne communique pas avec le bloc de l’Ouest. Après la guerre, D’Hérelle voit petit à petit disparaître le recours à la phagothérapie et s’éteint lui-même en 1949 dans une quasi-indifférence générale. La phagothérapie est prescrite jusque dans les années 70. Les phages restent tout de même d’excellents modèles viraux en science fondamentale.

Un retour imprévu… à prévoir

Aujourd’hui, la problématique majeure de l’antiobiorésistance et l’absence de perspectives pour faire naître de nouvelles classes de molécules antibiotiques permettent à des patients désespérés, confrontés à une impasse thérapeutique, de croire à la guérison via la phagothérapie. Lors d’infections cutanées chroniques, nosocomiales, de mucoviscidoses avancées, certains malades se rendent même en Géorgie, où la phagothérapie est banalisée, pour recevoir des cocktails de phages dans l’espoir de résoudre leurs problèmes majeurs d’infection chronique. Des associations de patients se créent pour promouvoir cette pratique et la voir autorisée en France. Certains médecins mettent en place des consultations spécialisées, non pour prescrire de la phagothérapie, mais pour savoir si la maladie qui leur est présentée relève bien de cette indication. Les associations misent sur des autorisations futures en constatant qu’il se développe un véritable tourisme médical, avec des prix de voyage qui ne cessent d’augmenter. Parallèlement, en France, une première expérimentation menée chez des grands brûlés commence à laisser penser que les lignes bougent1.

  • 1 Voir La Semaine vétérinaire n° 1574 du 28/2/2014.

Pour en savoir plus

→ « Gestion des plaies chez les équidés », Pratique vétérinaire équine, numéro spécial 2012.

→ Le Point vétérinaire n° 342, janvier 2014.

→ Avis du 15/2/2013 sur l’utilisation de l’oxyde de zinc disponible à l’adresse : www.anses.fr/sites/default/files/documents/ALAN2012sa0067Ra.pdf

→ Anne-Sophie Michel : « À la découverte des peptides antimicrobiens », thèse de pharmacie, université de Lorraine, 2010.

→ Élodie Guinoiseau : « Molécules antibactériennes issues d’huiles essentielles : séparation, identification et mode d’action », thèse de biochimie et biologie moléculaire, Corte 2010.

→ I. Leperlier et coll. « Traitement des mammites cliniques et subcliniques par des huiles essentielles en application cutanée », Bulletin des GTV, n° 68, mars 2013.

→ La Semaine vétérinaire, dossier « La phytothérapie : une pratique traditionnelle en pleine redécouverte », n° 1564 du 13/12/2013.

→ Magali Berger-Savin : « La phagothérapie : historique et potentielle utilisation contre les infections à bactéries multirésistantes », thèse vétérinaire, Alfort 2014.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr