La vie, la mort et la taupe

Face à l’emprise croissante des démences séniles dans notre société, il est permis de s’émerveiller de ces cinéastes nonagénaires qui continuent de proposer des films d’une jeunesse créative dont la plupart de leurs cadets ne sont déjà plus capables. Hélas, autour de l’illustre centenaire Manoel de Oliveira, l’aréopage se rétrécit. En France, après Éric Rohmer et Chris Marker, c’est au tour d’Alain Resnais de disparaître. Non sans avoir eu l’élégance de livrer un dernier film. Il est tentant de chercher, dans un ultime opus, le testament ou le chef-d’œuvre. Ce n’est pas le cas ici. Le cinéaste travaillait déjà sur un nouveau projet et Aimer, boire et chanter s’inscrira parmi les films mineurs dans sa filmographie. Néanmoins, il n’est pas interdit de goûter sa liberté formelle. Après Smoking/No Smoking et Cœurs, Alain Resnais adapte une troisième pièce du Britannique Alan Ayckbourn : l’intimité de trois couples est bouleversée par le comportement étrange d’un ami commun dont ils viennent d’apprendre que les jours sont comptés.

Hanté par la mort, le film n’en est pas moins un hymne à la vie et à la légèreté. Mais à la manière formaliste du cinéaste : l’émotion résulte, comme au théâtre, d’une mise en scène de l’artifice. Le mélange des formes (cinéma, théâtre, bande dessinée), les décors de papier, le jeu et le montage appuyés l’affirment ici avec une radicalité neuve. Et comme souvent chez Resnais, l’énigmatique est porté par la figure animale, une taupe qui surgit furtivement de terre et rit de toute cette comédie.

Aimer, boire et chanter d’Alain Resnais avec Sabine Azéma, Hippolyte Girardot, Caroline Silhol, Michel Vuillermoz, Sandrine Kiberlain et André Dussollier, 1 h 48, sortie le 26 mars 2014.