Pestivirose des isards et border disease des ovins : démonstration d’une intercontamination - La Semaine Vétérinaire n° 1575 du 07/03/2014
La Semaine Vétérinaire n° 1575 du 07/03/2014

Formation

PRODUCTIONS ANIMALES/OVINS

Auteur(s) : Lorenza Richard

Entre 2000 et 2002, un pestivirus apparenté au virus de la border disease 4 (BDV4), identifié en 2002 par nos confrères François Schelcher (ENV de Toulouse) et Jean-Pierre Alzieu (laboratoire vétérinaire départemental de l’Ariège, LVD 09), provoque des mortalités élevées chez les isards, avec une réduction des effectifs de 30 à 80 % par endroits. La mortalité ralentit ensuite, puis une seconde épizootie est observée en 2010 et 2011, dans les Pyrénées-Orientales, l’Ariège et la Haute-Garonne. Depuis, la maladie est identifiée dans la majeure partie des Pyrénées françaises (à l’exception des Pyrénées-Atlantiques pour le moment) et une grande part du versant espagnol. « Plusieurs souches du virus ont été mises en évidence chez les isards, mais elles sont proches les unes des autres », précise Jean-Pierre Alzieu.

30 à 80 % de mortalités dues au BDV4

À partir de 2003, des investigations sérologiques et virologiques sont menées à l’ENVT et au LVD 09 afin de mieux comprendre l’épidémiologie de la maladie. Ainsi, plus de 2 000 isards malades ou sains, tués à la chasse, ont fait l’objet d’investigations.

Les données issues de l’Ariège depuis 2009 montrent que la circulation virale s’est maintenue chez les isards, car le portage viral, qui varie de 2,5 à 7 % selon les années, est important chez les animaux cliniquement sains tués à la chasse. Les enquêtes virologiques indiquent que les virémies transitoires sont possibles, mais l’hypothèse de la présence d’infectés permanents immunotolérants (IPI) est émise, à l’instar de ce qui est connu chez les espèces domestiques, sans pouvoir être formellement démontrée. En parallèle, les suivis de populations d’isards révèlent que, si la natalité reste dans la moyenne, une proportion anormalement élevée de chevreaux meurent sans atteindre le sevrage (avant quatre mois d’âge). Aucune investigation n’a pu être entreprise sur leurs cadavres, rapidement consommés par les prédateurs en montagne, mais l’hypothèse d’une contamination transplacentaire, provoquant la naissance de chevreaux chétifs ou d’IPI peu viables, n’est pas exclue. En raison de cette mortalité élevée des chevreaux, le taux de renouvellement de la population, de 15 % en temps normal, n’est pas atteint dans certains secteurs et les effectifs ne se reconstituent pas. Face à cette situation, les fédérations départementales de chasseurs ont fortement réduit leurs plans de chasse.

Par ailleurs, constatant que les isards qui vivent dans les bois semblent moins touchés que ceux de haute montagne qui partagent les pâturages d’altitude avec les ovins trans­humants, l’hypothèse d’une circulation interspécifique est émise.

Forte circulation du BDV dans les cheptels ovins ariégeois

En 2011, une grande enquête sérologique est menée en Ariège chez les brebis primipares et les béliers des élevages transhumants, sur la base du volontariat des éleveurs. Ainsi, 6 550 sérologies sont réalisées dans 207 exploitations (92 % des élevages transhumants) et sur 62 estives (69 % du département). Une forte séroprévalence est ainsi mise en évidence, avec 20 à 80 % d’animaux positifs selon les troupeaux, et quasiment aucune estive épargnée. La question qui se pose alors est de savoir si les cycles de circulation virale sont séparés entre les ovins d’une part, et les isards d’autre part, ou s’il existe un cycle en partie commun entre ces deux espèces (voir figure 1).

Afin d’y répondre, un suivi est entrepris sur deux massifs ariégeois comportant une forte population à la fois d’ovins et d’isards. Au printemps 2013, les statuts sérologiques et virologiques (par PCR de mélange de dix animaux) de 490 agnelles encore jamais allées en montagne et issues de 15 troupeaux transhumants volontaires, sont établis. Des PCR individuelles sont entreprises sur les mélanges positifs. La séropositivité varie de 5 et 75 % selon les troupeaux. En outre, sur les 13 cheptels transhumant sur le même massif, 5 se révèlent positifs en PCR, avec trois à cinq individus positifs par élevage. « Nous avons fait un grand pas, car cela indique que la border disease circule en Ariège, comme dans d’autres régions de France, et que les ovins peuvent monter en estive avec le virus », affirme Jean-Pierre Alzieu. Selon lui, il est alors important de rappeler aux éleveurs que la maladie n’est pas à négliger (voir encadré et figure 2).

Une intercontamination avérée entre ovins et isards

Un séquençage de 40 isolats issus d’agnelles et d’isards positifs à la virologie est réalisé. Sur la base des résultats des séquences de la région 5’UTR1, l’ensemble des isolats, ovins et issus d’isards, est classé dans le génotype BDV4. La présence de ce génotype chez les ovins est déjà avérée en Espagne et de manière sporadique en France mais, comme l’explique notre confrère, « l’originalité et le caractère novateur de cette découverte résident dans la démonstration de la forte homologie de certaines souches isolées chez les deux espèces. Nous sommes proches de la certitude qu’il existe des cycles d’infection communs, et les contaminations interspécifiques sont quasi avérées ». Les animaux se contamineraient en partageant les pâturages, les pierres à sel et les points d’eau. Cependant, la part relative de ces contaminations dans l’épidémiologie de la maladie dans les deux espèces demeure inconnue.

Ainsi, la vaccination des ovins est envisagée2. Comme les cycles sont partiellement communs, la contamination des populations d’isards pourrait être réduite (voir figure 3). « À terme – mais cela reste à vérifier –, les populations d’isards vont se régénérer, même si l’espèce garde son cycle propre, avec la présence d’IPI », espère notre confrère. La vaccination des ovins transhumants est envisagée dans deux zones tests dès le printemps 2014 et pour plusieurs années. Afin de vérifier son efficacité dans les cheptels ovins qui participent à ce projet, un suivi sérologique et virologique de ces troupeaux, ciblant chaque année toutes les agnelles nées à la suite de la descente d’estive, sera mis en place.

  • 1 Région non codante de l’ARN en position 5’, relativement conservée chez les pestivirus et dont la séquence permet l’établissement des génotypes.

  • 2 Voir l’article en page 17 de ce numéro. Remerciements à Jean-Pierre Alzieu (LVD 09) et Fabien Corbière (ENVT) pour l’entretien accordé et leur relecture.

DES FOYERS SPORADIQUES AUX LOURDES CONSÉQUENCES

Dans un élevage ariégeois où les avortements et la mortinatalité étaient importants, des organes ont été prélevés chez les agneaux pour rechercher les principales causes infectieuses. La seule qui a pu être caractérisée est la border disease. Les saillies ont été réalisées après la descente d’estive. Sur les 109 agnelages qui ont eu lieu entre janvier et mars, 15 agneaux sont morts (12 % du lot) lors d’avortements tardifs et 16 autres (15 % du lot) entre un et trois mois d’âge, montrant des signes cliniques caractéristiques de la border disease. Les pertes étaient supérieures de 19 % à celles enregistrées lors des agnelages d’automne, où le taux de mortalité observé avait atteint 8 % entre zéro et trois mois d’âge. Lorsque des problèmes se déclarent dans un élevage, la border disease est rarement recherchée. Pourtant, les foyers sporadiques peuvent avoir de lourdes conséquences.

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