No ! we can : les vétérinaires manifestent leur désaccord - La Semaine Vétérinaire n° 1560 du 15/11/2013
La Semaine Vétérinaire n° 1560 du 15/11/2013

Dossier

Auteur(s) : Frédéric Decante

Le car roule silencieusement dans la nuit. Nos deux chauffeurs ont refusé de partir de Paris avant 18 h, car il faut respecter un délai d’au moins 9 h entre notre arrivée et notre départ. Ils se sont relayés toute la nuit précédente pour nous conduire à la manifestation et le feront toute cette nuit pour nous ramener à 700 km de la capitale, dans nos montagnes de Lozère.

La manifestation est terminée. Ce fut un moment fort, intense, jamais vécu et étrangement festif. Tout a commencé 15 jours plus tôt par deux mots, mobilisation générale, puis un slogan, « vétérinaires en colère » : préparation rapide, efficace, déterminée. Le sud du Massif Central sera présent à la manifestation parisienne. Le Cantal et l’Aveyron affrètent un seul car, qui collectera les confrères et les consœurs le long de l’autoroute A75. Une vingtaine d’Aveyronnais et de Cantalous viendront en train. La Lozère, avec ses dix cabinets vétérinaires sur ce territoire le moins peuplé de la métropole, va aussi constituer un car, un petit car, 20 places… il en restera une vide ! Toutes les structures vétérinaires du département suivent le mouvement de grève, tout en assurant un service de gardes dont chacun est responsable. Première question : parmi les associés, qui va y aller ? On en est presque à tirer au sort, mais la demande de La Semaine de couvrir photographiquement la manifestation me donne l’avantage. J’irai, et mon associé sera de garde.

PARTIR DANS LA NUIT

Tout début novembre, avec les relances de factures, un argumentaire est envoyé à nos clients qui sont au courant de notre mouvement et commencent à signer la pétition sur le comptoir. Cela fait bizarre : « On prend rendez-vous pour mercredi ? Ah non, pas mercredi, on fait grève ! » C’est la première fois. Nos auxiliaires sont avec nous, et nous suivent dans le car. Les familles n’ont pas l’habitude : « Tom a pleuré toute la soirée parce que je partais… » Tom a 11 ans. Comment imagine-t-il sa mère en train de manifester à Paris ?

Sous les pavés, ce ne sera pas la plage, mais la montagne. Le car part à 1 h du matin. Le rendez-vous est fixé devant la gare de Marvejols. Il fait doux. Les premiers participants arrivent avec leur équipement de manifestant : certains sont en bottes, les gants de délivrance sont gonflés, les blouses marron sont déjà dans le sac. Dans le car, un bruit court : le syndicat des vétérinaires de la fonction publique appelle à ne pas faire grève, en raison de la préannonce du retrait de l’alinéa 7 de l’article 20 du projet de loi. Il est 1 h du matin. On part quand même. On discute. Il est 3 h, on roule et on discute toujours. Certains tentent vainement de dormir. À 5 h, c’est le silence. Le car fait trois pauses sur l’autoroute. À 7 h, la petite communauté s’ébroue. Les panneaux Paris apparaissent et les premiers embouteillages. Rumeur dans le car : « Et dire qu’ils font ça tous les matins ! » Lozère, 72 000 habitants, trois feux rouges.

LE TON EST DONNÉ

À 9 h, le car nous décharge près de la place Montparnasse. La petite troupe cherche alors un café pour prendre son petit-déjeuner. On croise les Mayennais à l’angle de la rue du Maine et trois membres du Conseil supérieur de l’Ordre, dont Michel Baussier, à l’angle de celle de la Gaîté, qui « repèrent l’hôtel où a lieu, à 9 h 30, la conférence de presse ».

Entre 9 et 10 h, la place devant la gare Montparnasse se remplit. Marée haute ou basse ? D’emblée, c’est certain, ce sera marée haute, car l’esplanade est bondée de vétérinaires. Tout le monde est vêtu d’une blouse (bleue, verte, marron, multicolore) ou d’une casaque de vêlage (l’accouchement de la loi sera difficile) visiblement fort pratique pour manifester, surtout que la pluie devrait être de la partie. Combien de manifestants : 3 000, 5 000, 6 000 ?

Qu’importe le nombre, tout pétille et beaucoup se sont improvisés poètes pour les slogans, où tout est dans la rime : « Marisol, t’aurais pas la vache Foll ? » Poètes et régionalistes : plusieurs drapeaux de régions flottent au-dessus de la foule avec, évidemment, bien en vue, les Corses et les Bretons, ces derniers chapeautés du fameux bonnet rouge. On se dit que certains ne travaillent pas beaucoup en ce moment !

DU BRUIT, MAIS PAS DE LA FUREUR

L’ambiance sonore est assurée par des cornes de brume, de petits cors de chasse et même un cor d’harmonie. La corrida sera le thème. Dans le cortège, un homme n’est ni vétérinaire, ni ASV : il vend des sifflets et a le verbe haut, haranguant la foule d’un « vous êtes en colère, on ne vous entend pas beaucoup manifester ». En fin de journée, il semble avoir fait ses affaires…

Le syndicat a distribué à certains des mégaphones. Mieux vaut ne pas être à côté, car cela fait du bruit. Ils ont été loués à une société très connue qui loue tout. De près, on découvre une étiquette qui garantit que le modèle est pro, testé et contrôlé. Déduction : le syndicat est quand même un peu optimiste sur l’issue, il investit dans la location plutôt que dans l’achat ! Mais ce qui marque le plus ne devrait pas se dire : l’ambiance est à la fête. Non que les manifestants oublient qu’ils sont là pour dire non, mais ils se retrouvent. « Tiens, tu es là ? » On se tombe dans les bras. « Cela fait tellement d’années que l’on ne s’est pas revu… » On s’embrasse. « Comment ça va ? Très bien ! » Alors, pourquoi manifester si tout va bien ?

La foule est en liesse, les panneaux portés haut, beaucoup font dans la caricature, le trait ou le verbe : « Marissolectomie », « les vétérinaires ont la rage », etc. Certains sont gonflés à l’hélium, comme quelques ballons jaunes et les casaques de vêlage transformées en mannequins aux bras articulés de gants de fouille.

Les étudiants sont massivement présents. Ils semblent concernés par le débat et brandissent de nombreuses banderoles. Certains s’irritent plus que les autres d’être mitraillés avec un peu d’insistance. Ils sont pourtant là pour communiquer… Souvent, ils portent un slogan fardé sur le visage.

UN SENTIMENT D’UNANIMITÉ PROFESSIONNELLE

Les officiels sont là aussi : Ordre, syndicat, SNGTV, Avef, Afvac, SNVCO. Mais également les politiques, sénateurs ou députés, un maire du Cantal drapé dans son écharpe tricolore. Pendant que sur le pavé de Montparnasse la fronde se cristallise, les officiels s’agrègent dans la rue du Départ (cela ne s’invente pas…) vidée de ses voitures par le service d’ordre.

Le cortège s’ébranle. Les blouses volent au vent et le slogan porté haut, « non à un monde sans vétérinaires », claque. Une consigne court parmi les manifestants : il faut s’écarter les uns des autres en marchant pour faire du volume. Première manifestation de la profession, tout est à apprendre. La place Montparnasse déverse un flot continu de blouses. La longueur du cortège est difficile à évaluer : quand sa tête disparaît dans le boulevard du Montparnasse, des praticiens mécontents arrivent encore depuis le parvis de la gare. Tout cela fait beaucoup de bruit, mais rien ne fait peur. Les badauds regardent, demandent parfois les raisons de la colère. Aucun magasin n’a fermé boutique et certains restaurent même les vétérinaires, dont la colère creuse l’appétit. Le mouvement est bien une manifestation pour l’emploi ! Les journalistes sont présents : les photographes surtout au départ du cortège, les télévisions jusqu’à la fin. Les officiels y passent, certains sont dans le cortège, avec en arrière-plan les Invalides, un comble pour des soignants en grève ! Régulièrement, dans le serpent du cortège, les étudiants portent une grande banderole qui occupe une bonne part de la largeur du boulevard.

Puis la foule quitte le boulevard des Invalides et s’engouffre dans la rue d’Estrée, passe devant la clinique vétérinaire de la Croix (tout est dans le symbole…) avant d’arriver devant le ministère des Affaires sociales et de la Santé. Il est midi, le temps du sitting avec un sandwich à la main distribué par les organisateur et un café. De nombreux participants sortent le pique-nique du sac, se posent et trinquent une bouteille à la main. On discute beaucoup pendant qu’un groupe d’étudiants (et d’autres) continuent à scander des slogans dans les mégaphones, devant les gardes mobiles immobiles. L’ambiance reste bon enfant. D’un coup, une sorte de ola se fait entendre. Sur une fourgonnette, une silhouette, qui de loin paraît frêle, se hisse, micro en main. Pierre Buisson, président du SNVEL, prend la parole. Il domine la mêlée. Peut-être plane-t-il de voir combien la mobilisation a réussi ! Je suis loin. Je n’entends rien sauf, parfois, des applaudissements, parfois, des cris de réprobation. Le discours de notre confrère circule rapidement par courriel et il est possible d’en lire la version écrite sur les téléphones : « Vous l’avez fait… » Vient le tour de Jean-Yves Gauchot, président de l’Avef, qui siffle la fin de la partie les bras en croix : « Les cars, par là ! Les trains, par là… » La dispersion de la manifestation se fait alors lentement, même s’il est demandé de libérer plus rapidement la place. Les cafés et les restaurants sont envahis. On va prendre un pot ensemble, cela fait si longtemps que l’on ne s’est pas vu, on s’échange les adresses mail et les numéros de portable. Dans la rue, un sans-abri ramasse les casaques de vêlage : perplexe, il se demande à quoi cela sert, mais sait à quoi cela pourra lui servir. Il en cherche d’autres, intactes, dans les poubelles.

LE SOUVENIR D’UNE REVENDICATION UNANIMEMENT PARTAGÉE

18 h, le car peut repartir pour le Massif Central. On se compte. Tout le monde est là, dans le calme. On sort de là comme après une belle réunion de famille, une sorte de cousinade, heureux de s’être croisés. De nombreux témoignages disent la même chose : « C’est comme si avaient lieu le même jour, au même endroit, le congrès du syndicat, de l’Avef, de l’Afvac, de la SNGTV et de l’Ordre, le tout dans une ambiance de réunion de promotion ! » Les jambes sont lourdes, les voix éraillées, l’audition déficiente. Le représentant syndical du département relit au micro le discours de Pierre Buisson à partir d’un smartphone. Le bus file dans la nuit, seul au milieu d’une autoroute vide avec, sur la vitre du fond, une affiche A3 placardée : « Voulez-vous vraiment d’un monde sans vétérinaires ? »

Retrouvez le diaporama complet sur http://youtu.be/Lr6JQdHPSqO

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