Un cas d’abcès précornéen chez un serpent roi de Californie - La Semaine Vétérinaire n° 1553 du 27/09/2013
La Semaine Vétérinaire n° 1553 du 27/09/2013

Formation

NAC

Auteur(s) : Thomas Dulaurent*, Adeline Linsart**, Pierre-François Isard***

Fonctions :
*praticiens au CHV Saint-Martin à Saint-Martin-Bellevue (Haute-Savoie)

Points forts

– L’abcès précornéen est une affection oculaire assez fréquente et toujours grave chez les serpents.

– Elle se manifeste par l’accumulation de pus dans l’espace précornéen, consécutive à l’obturation des voies lacrymales.

– Le traitement conservateur est souvent voué à l’échec et l’énucléation s’impose. Le comblement de la cavité orbitaire est alors primordial.

CAS CLINIQUE

Commémoratifs et anamnèse

Un serpent roi de Californie (Lampropeltis getulus californiae) est présenté en consultation pour une modification d’aspect de l’œil droit, survenue quelques semaines auparavant, sans évolution favorable malgré les soins locaux prodigués par les propriétaires à l’aide de sérum physiologique. Ces derniers ne rapportent pas de modification du comportement du serpent et n’ont pas identifié de facteurs externes susceptibles d’expliquer cette modification d’aspect de l’œil.

Examen clinique et diagnostic

L’examen général met en évidence la présence d’une stomatite modérée. L’état pondéral du serpent est satisfaisant et les propriétaires ne signalent pas d’épisode d’anorexie. L’examen oculaire droit révèle un dessèchement de la lunette, associé à une déformation importante de la surface oculaire et à une augmentation de la vascularisation de la lunette précornéenne. L’espace précornéen semble partiellement rempli de pus (voir photo 1). L’œil gauche est normal (voir photo 2). Le diagnostic avancé est celui d’un abcès précornéen étendu.

Traitement

Devant la nature des signes cliniques, associés à un mauvais pronostic, une énucléation est proposée.

Après l’induction de l’anesthésie par l’administration intracardiaque d’alfaxalone à 10 mg/kg, une sonde est introduite dans la trachée et le relais anesthésique est assuré avec de l’isoflurane (2 à 3 % en entretien, voir photo 3). La surveillance de l’anesthésie est effectuée à l’aide d’un Doppler cardiaque et l’animal est régulièrement ventilé.

Le site opératoire est nettoyé avec de la povidone iodée diluée à 2 %, puis préparé chirurgicalement (voir photo 4). L’œil est retiré délicatement par une dissection progressive à l’aide de ciseaux de Castroviejo (voir photo 5). Une ligature est mise en place dans la cavité orbitaire avec un fil monofilament (Prolène 8-0), afin de limiter les saignements. L’entrée de la cavité orbitaire est refermée par la fixation d’un disque de collagène chirurgical (péricarde de bœuf, Tutopatch®1) suturé aux écailles périorbitaires par des points simples avec le même fil que précédemment. Aucune complication ne survient pendant la phase de réveil.

Le traitement postopératoire consiste en l’administration biquotidienne d’une pommade de chloramphénicol, de vaseline et de vitamine A (Ophtalon®), ainsi qu’en l’administration générale d’enrofloxacine (10 mg/kg par voie intramusculaire dans le premier tiers du corps) pendant deux semaines. L’animal est hospitalisé durant huit semaines afin de surveiller l’assimilation du greffon de collagène.

Suivi

Au cours de l’hospitalisation, le serpent ne montre pas de perte d’appétit ni d’altération comportementale. Le greffon est assimilé peu à peu par les écailles périphériques jusqu’à former un tissu fibreux, compact, comblant complètement l’entrée de la cavité orbitaire au bout de huit semaines. Une fois la cicatrisation terminée, l’animal est rendu à ses propriétaires.

DISCUSSION

Étiologie

L’abcès précornéen est une affection oculaire assez fréquente et toujours grave chez les serpents. Elle se manifeste par l’accumulation de pus dans l’espace précornéen, consécutive à l’obturation des voies lacrymales. Cette obturation peut être due à une inflammation dans le voisinage du canal lacrymal (due à une stomatite, un granulome, une tumeur, une septicémie ou, le plus souvent, à un traumatisme direct sur la lunette ou sa région).

Traitement

Lorsque la prise en charge est précoce, une ouverture chirurgicale de la lunette dans sa région déclive permet l’élimination du pus par gravité. Lors des mues suivantes, une nouvelle lunette saine peut, dans certains cas, se reformer et éliminer les structures précédentes, menant à la guérison. Mais cette évolution n’est pas habituelle, car la lunette lésée est difficilement éliminée par le phénomène de mue, de sorte qu’elle persiste et s’accumule avec la nouvelle lunette. Cela accroît d’autant la probabilité du maintien de l’infection et de l’échec thérapeutique. Lorsque l’infection s’installe durablement, elle finit par s’étendre aux structures oculaires et provoque souvent une panophtalmie.

L’énucléation chez les serpents

Dans le cas présenté, le phénomène infectieux n’est pas strictement cantonné à la lunette, mais implique la cornée et la chambre antérieure. C’est pourquoi l’énucléation est proposée.

Chez les ophidiens, la technique d’énucléation est différente de celle plus couramment utilisée chez les mammifères domestiques, en raison de l’absence de paupières. La difficulté réside dans la nécessité absolue de combler l’entrée de la cavité orbitaire, sous peine de collection de débris et de poussière dans cette dernière et de maintien d’un processus infectieux chronique.

Deux techniques sont décrites : la première consiste à réaliser une plastie impliquant les écailles périphériques, la seconde requiert l’utilisation d’un biomatériau à base de collagène pour combler l’entrée de la cavité. La plastie présente l’inconvénient d’entraîner une ascension de la lèvre supérieure par traction, avec une modification évidente du faciès de l’animal et une éventuelle gêne pour la préhension des proies.

Dans deux études récentes, l’utilisation d’un greffon de sous-muqueuse intestinale de porc a donné satisfaction. Dans le cas présenté ici, le greffon de collagène utilisé est obtenu via une purification de péricarde de bœuf par un procédé industriel. Le résultat cosmétique et fonctionnel s’avère satisfaisant.

  • 1 Entreprise Tutogen, à Metz.

Références

  • Douet JY, Molaret S. Énucléation d’un python molure. Informations Ophtalmologiques Vétérinaires, 2e trimestre 2009, pp. 11-13.
  • Kern TJ. Exotic animal ophthalmology. In : Veterinary Ophthalmology, vol. II, 4th edition (ed. Gelatt KN) Blackwell Publishing, Ames, 2007; pp. 1370-1405.
  • Millichamp NJ. Diseases of the eye and ocular adnexa in reptiles, J. Am. Vet. Med. Assoc. 1983; 183: pp. 1205-1212.
  • Rival F. Les serpents. In : Rival F. (eds). Atlas d’ophtalmologie des nouveaux animaux de compagnie, 2007, pp. 194-213.
  • Zwart P, Verwer MA, De Vries GA et coll. Fungal infection of the eyes of the snake Epicrates chenchria maurus : enucleation under halothane narcosis, J. Small Anim. Pract. 1973; 14: pp. 773-779.
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