Chaînes de cliniques : à la recherche d’un nouveau modèle - La Semaine Vétérinaire n° 1541 du 24/05/2013
La Semaine Vétérinaire n° 1541 du 24/05/2013

Dossier

Auteur(s) : Frédéric Thual

Le phénomène est balbutiant. Ils ne sont encore qu’une poignée à s’aventurer sur le chemin de la constitution d’une chaîne de cliniques vétérinaires, tandis que l’Ordre veille aux dérives, notamment financières. Zoom sur les premiers pas d’une nouvelle forme d’exercice, pleine d’incertitudes, mais qui pourrait répondre aux besoins d’évolution de la profession.

Attendu depuis onze ans, le décret d’application des sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL) est paru le 13 décembre 2012. Une bouffée d’oxygène pour les uns, autant qu’une pilule difficile à avaler pour les autres. La décision devrait toutefois redynamiser une profession vétérinaire en quête de renouveau. Ces fameuses holdings, autorisées à revêtir la forme d’une société à responsabilité limitée (SARL), d’une société anonyme (SA), d’une société par action simplifiée (SAS) ou d’une société en commandites par actions (SCA), pourront donner une nouvelle capacité d’investissement et d’organisation aux structures vétérinaires. Avec les exigences en matière de détention de capital et de droits de vote définies par la loi.

DES CHAÎNES DE CLINIQUES ENCORE PEU PRISÉES

Si l’application de la directive “services” et la question du développement des chaînes de cliniques hantent de nombreux professionnels, les partisans de cette innovation se comptent, pour le moment, sur les doigts de la main.

Depuis quelques années déjà, les plus audacieux ont pris le taureau par les cornes et fondé leurs structures : sous la forme de sociétés d’exercice libéral par actions simplifiée (Selas) et de SEL filiales pour Family Vets, de Selas pour Monveto – qui n’a pas souhaité s’exprimer dans ce dossier –, ou encore de SAS pour Vet One. Quitte, pour certains, à griller les étapes et à s’attirer les foudres de la profession, à l’instar du fondateur de Merry Vets, décédé en janvier dernier (voir encadré), dont la société créée à Londres bénéficie de statuts britanniques.

Si les vétérinaires sont encore loin des modèles de franchises et autres affiliations développées dans les secteurs de l’habillement ou de la restauration, la mutualisation des plateaux techniques, des achats, de la formation, etc., engagée depuis plusieurs années, reflète la volonté et le besoin de se regrouper. C’est notamment le cas en rurale, avec la multiplication de groupement d’intérêt économique (GIE). Néanmoins, les praticiens canins sont-ils prêts à aller plus loin ? En 2012, dans une enquête menée par La Semaine vétérinaire, un tiers des vétérinaires interrogés se disaient regroupés et 26 % envisageaient de le faire. Sous quelle forme ? Dans cet échantillon, seuls 2,3 % affirmaient pouvoir rejoindre une chaîne, mais presque 20 % reconnaissaient être prêts à lui vendre leur cabinet pour devenir gérant salarié. Ils étaient presque autant à faire part de leur incertitude.

« De toute façon, le modèle unique, avec une clinique/un vétérinaire, a vécu. On le voit en rurale, avec les regroupements de dix ou quinze vétérinaires, indique Jean-Jacques Bynen, praticien à Beaune (Côte-d’Or), à la tête d’une clinique et de trois structures satellites. Il y a de la place pour des modèles économiques différents. Et chaîne n’est pas synonyme de low-cost. Pour qu’elles déstabilisent le secteur, il faudrait qu’elles coiffent plus de 25 % du marché. On a dit, il y a trois ou quatre ans, que les chaînes allaient arriver en masse. Que se passe-t-il, aujourd’hui Des frémissements ! Mais de nouveaux modèles sont à inventer. Toutes proportions gardées, avec une structure centrale et trois cliniques, je suis déjà dans une autre logique. Les chaînes vont permettre de rationaliser la gestion. On l’a vu avec les GIE, mais ils sont inadaptés. » Face à un monde économique et sociologique en pleine évolution et aux incidences de la féminisation de la profession, Jean-Jacques Bynen ne s’interdit pas de réfléchir à ce nouveau mode d’exercice. « Même si l’on dépasse de loin le simple métier de vétérinaire pour aller vers celui de chef d’entreprise », dit-il.

DES MODÈLES ÉCONOMIQUES AUX FORMES FLOUES

Faute d’une définition précise et face à une notion protéiforme, le Conseil supérieur de l’Ordre des vétérinaires (CSOV) préfère se référer au Code de déontologie qui définit l’exercice en groupe. Quitte à déplorer l’obsolescence de textes datant de 2003, une époque où il n’était pas question de ce type d’exercice. « Notre code était déjà, de toute façon, en décalage avec la directive “services”. Nous avons bien conscience qu’il faut ouvrir la communication des vétérinaires. Donc les choses vont “bouger”. Mais l’Ordre n’a pas à décider d’un choix de modèle d’exercice, il doit mettre un cadre à une profession réglementée », rappelle Jacques Guérin, vice-président du CSOV. Merry Vets, Family Vets, Monveto, Vetocom ou Vet One ont déjà pris position. Avec chacun ses spécificités. « Le modèle économique reste à créer, concède Pierre-Marie Cadot, président d’Ergone, une association de vétérinaires dont l’objectif est le partage et l’échange d’expériences. L’avenir dira lequel des schémas de développement adoptés est le plus pertinent. Car la gestion de l’humain, du back et du front office se révèle difficile. »

Pour cette vétérinaire salariée à Paris, qui cumule plusieurs expériences dans diverses enseignes, « la multiplication des cliniques fait qu’il est beaucoup plus facile de trouver des remplacements, des contrats à durée déterminée, etc. Depuis cinq ans, je ne passe plus aucune annonce. Pour le remplaçant salarié, l’autre avantage est de pouvoir bénéficier du réseau. Un doute sur une radio, on passe un coup de fil, et en dix minutes, c’est réglé. Nous bénéficions de logiciels partagés entre les cliniques, ce qui représente un gain de temps et est rassurant pour le client. Nous avons accès à du matériel et des équipements récents et performants, des formations, des séminaires, etc. », relève-t-elle. Et d’ajouter : « Mais attention, d’une structure à l’autre, selon l’organisation, l’implication des dirigeants ou la politique commerciale agressive imposée par le groupe, la situation peut rapidement tourner au cauchemar. »

GARDER LA MÉDECINE DE PROXIMITÉ

Un modèle qui ne suscite toujours pas l’engouement. « On peut comprendre que des vétérinaires soient tentés par cette expérience, mais les chaînes pourront-elles respecter l’indépendance du vétérinaire et son pouvoir de décision C’est le bémol que je mets à cette initiative. Et je conseille aux praticiens de bien réfléchir avant de s’engager, d’autant que les concepts présentés demeurent un peu flous. Quelles sont leurs valeurs ? Leur philosophie ? La stratégie ? Je l’ignore », estime Rémi Gellé, ex-président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL). Il préconise davantage aux entrepreneurs de se regrouper, plutôt que de rejoindre un modèle préétabli où leur capacité managériale pourrait être remise en cause. « Le regroupement devient tendance. Pour ceux qui ont l’idée de concevoir ou d’intégrer une chaîne, il peut constituer un préalable. Mais, en trois ans, nous avons eu une seule question sur un projet de chaîne », constate Rémi Gellé, également animateur de Resovet, un club créé il y a trois ans pour évaluer les clientèles, accompagner le développement de cabinets vétérinaires et faire face à une nouvelle concurrence dont les contours demeurent mal dessinés.

C’est l’une des craintes affichées par Jacques Guérin : « Ce que j’aimerais percevoir, c’est le projet d’entreprise qu’il y a derrière ces chaînes. Est-ce un projet métier Si l’on imagine ce que peut être la chaîne de soins vétérinaires, la complémentarité entre des structures d’excellence, des plateaux techniques, et la nécessaire médecine généraliste de proximité, alors je me réjouis que les vétérinaires réfléchissent en groupe pour trouver des solutions. Y compris celles pour financer ces investissements. Mais si concevoir des chaînes, c’est vouloir communiquer pour faire du prix, du tarif low-cost, pour que finalement, au sein de ces chaînes, un investisseur tire les marrons du feu et fasse trimer une jeune génération de vétérinaires, cela me gêne davantage ! »

ÉVITER LA PRESSION DES ACTIONNAIRES

En garde-fou de la profession, l’Ordre souhaite que les vétérinaires en exercice, au sein d’une SEL fille, soient détenteurs de la majorité du capital et des droits de vote, soit directement, soit via une holding. « C’est une idée majeure pour nous, si l’on veut que les professionnels en exercice dans la société soient dépourvus de toute pression d’un actionnariat extérieur », rappelle Jacques Guérin, à l’heure où les fonds d’investissements commencent à s’intéresser à la filière. « Nous commençons à en discuter, reconnaît Alexandre Boutin, directeur de la formation et de l’ingénierie patrimoniale chez Fiducee, un réseau indépendant de gestion patrimoniale spécialisé auprès de professionnels de santé. En termes de visibilité, le milieu médical présente une démographie compliquée. Alors, est-ce que des sociétés financières vont investir dans ce domaine ? Difficile à dire, c’est encore assez flou… » Selon Michaël Silber, fondateur du groupe Family Vets, les investisseurs y sont attentifs. « Ce que nous demandons et revendiquons, c’est que 51 % du capital et des droits de vote soient détenus par des vétérinaires acteurs dans la société. Il s’agit, pour nous, d’une garantie de l’indépendance du professionnel », insiste Jacques Guérin. Un moyen d’éviter aussi les “déconnexions” entre des vétérinaires en activité et des actionnaires. Car si les débuts sont timides, à en croire l’agence de communication Creads spécialisée dans la recherche de noms d’enseigne par le biais d’internautes, trois ou quatre clients ont d’ores et déjà lancé une requête pour déterminer l’appellation de leur future chaîne de cliniques vétérinaires. Le train est en marche.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr