La météorisation spumeuse et gazeuse chez les caprins - La Semaine Vétérinaire n° 1522 du 11/01/2013
La Semaine Vétérinaire n° 1522 du 11/01/2013

Formation

PETITS RUMINANTS

Auteur(s) : Karim Adjou

Fonctions : maître de conférences, service de pathologie médicale du bétail à l’ENV d’Alfort

Le tympanisme ruminal, ou météorisation, doit être considéré comme une urgence médicale chez les caprins comme dans toutes les espèces de ruminants. Il est cependant moins fréquent que chez les bovins ou les ovins. La météorisation spumeuse (primaire ou nutritionnelle) est plus rare que la météorisation gazeuse (secondaire).

ÉTIOPATHOGÉNIE

La production de gaz est le résultat normal de l’activité fermentaire du rumen. Le gaz gagne le sac dorsal de celui-ci avant d’être rejeté par les processus de rumination et d’éructation.

La météorisation spumeuse a pour origine l’alimentation. Lors d’une consommation excessive de légumineuses ou de céréales trop finement écrasées, les bulles de gaz ne peuvent pas atteindre le sac dorsal du rumen et restent piégées au sein de son contenu liquidien, avec lequel elles forment une mousse stable. Les facteurs qui contribuent à sa formation sont complexes. Cette mousse n’est pas évacuée par le mécanisme d’éructation et, au fur et à mesure que le gaz est piégé, le rumen se distend. Cela est parfois fatal à l’animal, en raison des effets néfastes sur les systèmes respiratoire et cardiovasculaire (diminution du débit cardiaque, augmentation de la pression artérielle et des résistances périphériques dues au blocage du retour veineux par le rumen distendu).

La météorisation gazeuse ou secondaire se produit quand le gaz accumulé normalement dans le sac dorsal du rumen ne peut être évacué en raison d’obstructions extraruminales des voies de sortie. Quand le gaz libre n’est pas expulsé, il s’ensuit une distension du rumen dont les conséquences sont identiques à celles d’une météorisation spumeuse.

ÉPIDÉMIOLOGIE

La météorisation est décrite chez les caprins partout dans le monde. Toutes les chèvres qui possèdent un rumen mature fonctionnellement y sont exposées.

Météorisation spumeuse

Des régimes nutritionnels non adaptés prédisposent à la météorisation spumeuse : l’ingestion de légumineuses luxuriantes (l’alfalfa ou le trèfle), le changement de pâturage sans transition avec un retour sur une pâture riche et souvent verte, ou encore la consommation de résidus de haies ou de tontes de pelouses.

Une saisonnalité est observée, avec une prévalence plus importante au printemps. La distribution soudaine de céréales ou de concentrés prédispose à cette affection. L’accès à des champs de blé provoque une augmentation des cas en automne.

Météorisation gazeuse

Elle apparaît de manière sporadique chez les caprins, le plus souvent à la suite d’un bouchon œsophagien. Des morceaux de pomme ou de carotte constituent des corps étrangers fréquents. Un blocage du bol alimentaire est aussi observé, plus particulièrement chez des animaux malades, faibles, ou qui n’ont pas un accès suffisant à la boisson. Des abcès internes au niveau de l’abdomen ou du médiastin, dus à une lymphadénite caséeuse ou à une autre maladie, peuvent également provoquer une météorisation secondaire, par une compression au niveau du cardia ou de l’œsophage.

SYMPTÔMES

La météorisation spumeuse apparaît en quelques heures. De nombreux cas sont identifiés après la découverte d’animaux morts subitement au pâturage. En début d’évolution, les individus atteints semblent anxieux, inconfortables, et cessent de se nourrir. Le signe le plus caractéristique est une distension progressive de l’abdomen, particulièrement du côté gauche, juste sous les lombaires. Le creux du flanc se bombe. La percussion de cette zone révèle un tympanisme et un bruit caractéristique semblable au son d’un tambour. Au fur et à mesure que la distension ruminale progresse, les animaux manifestent de plus en plus d’inconfort, ils piétinent, émettent des vocalises, salivent, urinent fréquemment et leur démarche est anormale. Des signes caractéristiques de douleur abdominale sont observés. Sans intervention, les animaux atteints se couchent, avec une respiration marquée, difficile, et ils meurent dans l’heure qui suit.

Les signes cliniques de la météorisation gazeuse sont similaires. La salivation est plus abondante si l’obstruction de l’œsophage est haute et complète, car la salive ne peut pas atteindre le rumen. Quand l’obstruction n’est pas totale ou lorsque la pression gazeuse devient suffisamment importante, le gaz peut être rejeté de manière intermittente. Dans ce cas, la distension abdominale et le tympanisme sont moins sévères. Certains cas sont consécutifs à un ballonnement chronique qui ne met pas la vie de l’animal en jeu immédiatement.

DIAGNOSTIC

La météorisation est facilement confirmée par l’examen clinique de l’animal. Il convient de déterminer sa nature, afin de décider du traitement et de la marche à suivre. Le diagnostic est plus délicat à établir quand les animaux sont retrouvés morts. Comme la météorisation peut être une modification post-mortem normale, il est important d’écarter toutes les autres causes de mort subite en tenant compte des circonstances de la découverte de l’animal.

DIAGNOSTIC NÉCROPSIQUE

En raison de la nature aiguë de la météorisation, les tests diagnostiques de laboratoire ne sont pas performants. Lorsque l’évolution est fatale sans aucune détection, le diagnostic est établi post-mortem.

Après une météorisation spumeuse, la distension du rumen est évidente sur un cadavre frais et de grandes quantités de mousse sont observées dans la cavité ruminale. Lors de météorisation gazeuse, la distension ruminale peut être présente, mais le rumen ne contient pas de mousse. Une inspection attentive du tractus digestif et des structures adjacentes, à partir de la bouche et jusqu’aux préestomacs, permet parfois d’identifier la cause de l’obstruction secondaire qui a provoqué une météorisation gazeuse.

Le diagnostic devient plus difficile lorsque les animaux sont morts depuis un certain temps. Une distension ruminale est généralement observée, dont la seule cause est le fonctionnement normal du rumen, car sa flore reste active après la mort de l’animal et les gaz s’accumulent dans le cadavre. Cela est particulièrement vrai sous un climat chaud où l’activité fermentaire est alors maximale. La mousse peut également disparaître avec le temps, et il est alors possible de confondre une météorisation spumeuse avec une météorisation gazeuse.

L’examen minutieux de la carcasse permet d’établir la présence ou l’absence de météorisation ante mortem. Dans le cas de tympanisme, une congestion importante des tissus de la partie antérieure du corps est notée ou, au contraire, une pâleur des tissus situés dans sa partie postérieure. Cela résulte des changements vasculaires induits par la distension du rumen.

TRAITEMENT

Une intervention rapide est essentielle. Le simple passage d’un tube au niveau de l’œsophage jusqu’à l’estomac, souvent efficace dans le cas d’une météorisation gazeuse, n’est pas un moyen suffisant dans celui d’une météorisation spumeuse. La mousse bouche rapidement le conduit et la vidange devient impossible. Il faut d’abord la neutraliser. Administrer des huiles de cuisine ou minérales per os, à la dose de 100 à 200 cm3, est généralement efficace. L’huile de lin est à proscrire chez les caprins, car elle provoque des indigestions. De nombreux produits tensio-actifs sont commercialisés, généralement actifs pour dégrader la mousse et dont les résultats sont visibles après quelques minutes. Le doctylsulfosuccinate de sodium (administré à la dose de 15 à 30 ml) ou des gels à base de silicone sont efficaces. Quand de nombreux animaux sont atteints et que le temps d’intervention est compté, ces composés peuvent être directement injectés dans le rumen au moyen d’une aiguille de 18 gauges piquée dans la fosse para­lombaire gauche. Ce mode d’administration est plus facile à mettre en œuvre que le tube intra-œsophagien.

Un exercice forcé aide ensuite à la dégradation de la mousse et à l’expulsion des gaz en excès. Si les animaux sont couchés, les rouler ou masser la zone du rumen améliore la répartition de l’huile en son sein et accélère la dégradation de la mousse. Un tube intra-œsophagien peut être utilisé après cette dégradation, afin de faciliter l’expulsion des gaz.

La mise en place d’un trocart du rumen, au niveau de la fosse paralombaire gauche, est à envisager dans les cas critiques de météorisation (voir figure ci-dessus). Cependant, ce traitement invasif ne doit être instauré que dans les stades terminaux de météorisation, en raison des effets secondaires induits (péritonite et dysfonctionnement ruminal pendant quelques jours). De plus, il est efficace seulement lors de météorisation gazeuse. En cas de météorisation spumeuse, les mousses bouchent rapidement le trocart. Les animaux “trocardés” doivent bénéficier d’une antibiothérapie à large spectre pendant quatre à cinq jours afin de diminuer les séquelles de la péritonite.

PRÉVENTION

La prévention de cette affection repose sur des mesures hygiéniques, mais surtout sur un rationnement des animaux. Tout changement alimentaire doit être précédé d’une transition. Ainsi, les individus mis en pâture le sont sur de courtes périodes dans un premier temps, pour ne pas provoquer de changement brusque. La surconsommation de fourrages verts est ainsi évitée. Il est conseillé de procéder de la même façon pour les animaux qui pâturent dans les champs de blé après la moisson. Cependant, quand la ration repose sur la consommation de fourrages verts, il convient d’apporter des fourrages secs afin de prévenir la surconsommation de verdure. Les concentrés distribués ne doivent pas être broyés trop fin ni être introduits dans l’alimentation du jour au lendemain. Face à la prédisposition de certaines espèces, il est possible d’ajouter des huiles aux concentrés. Cet ajout d’huile de maïs, par exemple, diminue le potentiel de météorisation de la ration sans pour autant provoquer une prise de poids chez les animaux.

Pour en savoir plus

> Min B.R., Pinchak W.E., Mathews D., Fulford JD., 2007 : « In vitro rumen fermentation and in vivo bloat dynamics of steers grazing winter wheat to corn oil supplementation », A. Feed Sci. Tech. 133, 192-205.

> Smith M.C., Sherman D.M., 2007 : « Digestive system » In Goat medicine, 2nd ed., Ames, Blackwell Publishing, 469 p.

> Pugh D.G., 2002 : « Sheep and goat medicine ». 1st edition WB Saunders Compagny. 74 p.

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