L’ADN pour remonter aux origines de l’ivoire saisi - La Semaine Vétérinaire n° 1515 du 09/11/2012
La Semaine Vétérinaire n° 1515 du 09/11/2012

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FAUNE SAUVAGE

Auteur(s) : Stéphanie Bourgeois

Un rapport de la Convention internationale sur le commerce des espèces protégées (Cites) de 2012 montre que, malgré l’interdiction du commerce de l’ivoire en 1989, il est aujour­d’hui d’une ampleur alarmante. Le nombre et le volume des saisies supérieures à 800 kg n’ont fait que croître depuis 20 ans, principalement à destination de la Chine, devenue le premier consommateur d’ivoire illégal au monde, devant le Japon. Le prix de l’ivoire brut y est passé de 150 à 750 $/kg en moins de 10 ans, tandis que les prix de vente au détail explosent.

Le commerce légal, une mesure inefficace contre le braconnage

Officiellement, toutes les populations d’éléphants d’Afrique (Loxodonta africana) sont classées en annexe I des espèces protégées, sauf au Botswana, en Namibie et au Zimbabwe, déclassés en annexe II en 1997, de même que l’Afrique du Sud en 2000, une décision qui a autorisé la reprise d’un commerce légal de l’ivoire. Ces mesures ont cependant échoué à faire baisser la demande et le prix de l’ivoire, tandis que le marché noir reste florissant.

Le braconnage des éléphants est en constante augmentation en Afrique depuis 2006, avec des taux records enregistrés en 2011. Si l’Afrique centrale demeure la région la plus touchée par ces massacres, l’Afrique de l’Est est devenue le centre actuel du commerce illégal et de l’exportation de l’ivoire à destination de l’Asie.

L’ADN, une conservation remarquable dans l’ivoire

La stratégie clé pour lutter contre le trafic de l’ivoire passe par l’identification des régions d’approvisionnement, afin d’y renforcer la lutte anti-braconnage. La surveillance et l’évaluation de l’intensité du braconnage sont souvent difficiles, surtout dans les milieux forestiers où les massacres d’éléphants peuvent passer complètement inaperçus.

Dans ce cadre, la génétique est devenue un outil précieux : des études montrent la possibilité d’extraire de l’ADN à partir de l’ivoire, de développer des méthodes statistiques pour retrouver la région d’origine d’un éléphant à partir de son génotype, puis d’établir des bases de données de la diversité allélique à l’échelle du continent africain.

L’ADN est extrait de l’ivoire réduit en poudre, provenant de n’importe quelle partie d’une défense, même vieille de 20 ans. L’ivoire est composé principalement de dentine, un tissu calcifié produit par les odontoblastes. Ces cellules de la pulpe dentaire, munies de prolongement dans les canalicules dentinaires, sont probablement la source de l’ADN isolé dans les défenses. Celui-ci est ensuite comparé avec des génotypes connus d’éléphants pour identifier son origine géographique. Des centaines d’échantillons, obtenus à partir de matières fécales ou de biopsies de peau, ont permis d’étudier la diversité génétique des éléphants africains. Des bases de données de la fréquence et de la distribution de marqueurs microsatellites, à travers l’aire de répartition des éléphants de savane et de forêt, ont pu être constituées.

Un outil puissant pour remonter les filières

À partir de l’étude de la différenciation génétique des éléphants africains, qui croît avec la distance, une méthode statistique de lissage spatial extrapole la source d’un échantillon d’ivoire provenant d’une région pour laquelle il n’y a pas encore de génotype de référence disponible. Elle peut également être utilisée pour déterminer l’origine d’un stock d’ivoire :

> en 2002, 500 défenses acheminées depuis l’Afrique du Sud vers Singapour (la plus grande saisie d’ivoire depuis 1989) ont pu être identifiées comme provenant d’éléphants de Zambie ;

> en 2006, la saisie de 40 défenses dans le double fond d’un container, puis la découverte de fragments d’ivoire dans 2 autres containers vides 1 mois plus tard, ont montré l’existence d’une filière d’origine gabonaise, transitant par le Cameroun à destination de Hong Kong.

Contrairement à l’idée reçue selon laquelle les trafiquants rassemblent de grands stocks d’ivoire en fonction de la disponibilité auprès des braconniers de diverses régions, ces études montrent qu’il existe des filières organisées dans l’exploitation intense d’une zone particulière, pour répondre à la forte demande. Les investigations pour remonter les filières du trafic d’ivoire sont difficiles et coûteuses, et les informations s’arrêtent généralement au lieu d’embarquement. La découverte de l’origine réelle de l’ivoire aurait été impossible sans les analyses génétiques.

Les perspectives dans la lutte contre le braconnage

Les conclusions de ces études justifient un renforcement des mesures de lutte contre le braconnage à la source, en ciblant les zones fortement exploitées par les trafiquants internationaux. Les pays les plus concernés par le braconnage, et ceux qui abritent des éléphants de forêt pour lesquels la surveillance est particulièrement difficile, devraient faire l’objet d’un effort de génotypage de leurs populations d’éléphants, afin d’augmenter la précision géographique.

Il est actuellement possible d’estimer la source de l’ivoire à 400 km près environ, ce qui est remarquable à l’échelle d’un continent, mais mériterait d’être amélioré pour renforcer efficacement les mesures de lutte anti-braconnage au niveau d’un pays. Ces méthodes pourraient aussi être appliquées à d’autres espèces pour lutter contre le trafic de produits issus de la faune sauvage, y compris d’animaux vivants.

Sources :

Wasser S.K. et coll. « Assigning African elephant DNA to geographic region of origin: applications to the ivory trade », PNAS, 2004;101:14847-14852.

Wasser S.K. et coll. « Using DNA to track the origin of the largest ivory seizure since the 1989 trade ban », PNAS, 2007;104:4228-4233.

Wasser S.K. et coll. « Combating the illegal trade in African elephant ivory with DNA forensics », Conserv. Biol. 2008;22:1065-1071.

Wittemyer G. et coll. « Poaching policy: rising ivory prices threaten éléphants », Nature, 2011;476:282-283.

Cites. July 2012. Technical report SC62 Doc. 46.1 (Rev.1).

Actualisation CITES : http://www.cites.org/eng/com/SC/62/index.php SC62 Doc. 46.1 et 2.

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