La filière équine en perspectives - La Semaine Vétérinaire n° 1511 du 12/10/2012
La Semaine Vétérinaire n° 1511 du 12/10/2012

Dossier

Auteur(s) : Marine Neveux

Quels sont les enjeux à venir pour la filière équine pour appréhender au mieux ses futures évolutions ? Aujourd’hui, elle est confrontée à des incertitudes face à la crise, à la concurrence internationale, etc. Pour lancer une vaste réflexion et tenter d’apporter des pistes de réponse à l’horizon 2030, un projet commun de prospection a été mené par l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) pendant 2 ans. Résultats et décryptage.

Le périmètre étudié est celui de la filière équine dans toute sa diversité. Or ses différents acteurs n’ont pas toujours des intérêts convergents », a indiqué en introduction Patrick Herpin (Inra)1 lors de la journée de restitution des résultats, le 2 octobre dernier. « Globalement, cette filière surfe sur une croissance depuis une dizaine d’années grâce aux loisirs et à l’attirance des femmes pour le cheval et l’équitation. Elle bénéficie d’une bonne image, constate Françoise Clément (IFCE). Néanmoins, les résultats économiques restent mitigés. »

« Nous avons commencé par analyser l’état des lieux et les facteurs d’évolution, détaille Christine Jez (Inra). Nous avons étudié les évolutions possibles : les tendances lourdes, les incertitudes, les ruptures. De là sont nés des scénarios, transformés en histoires du futur. Il faut regarder la diversité de ces futurs possibles et s’y préparer en conséquence. »

DES ÉVOLUTIONS ET DES RUPTURES

Des évolutions, la filière en a déjà connu ces dernières années, des fissures, voire des ruptures, aussi… Le moteur commun, « c’est celui de la passion », estime Florence Mea (IFCE).

Côté évolutions, la nouvelle donne actuelle est celle du développement touristique, de l’aménagement du territoire. Le cheval est aussi devenu une valeur d’insertion dans la société par le biais de l’équithérapie, de la médiation sociale (il est même présent dans le domaine du coaching en entreprise). Ainsi, les différents usages du cheval se développent, rejoignant un contexte sociétal d’attrait pour le plein air, la nature, le respect du bien-être des animaux. En parallèle, les paris connaissent un essor, alors que les enjeux sont stables sur les hippodromes. Côté ruptures, sont intervenus un recentrage des missions de service public de l’État (formation, sport de haut niveau, recherche, etc.) et une diminution des aides, avec la fusion des Haras nationaux et de l’École nationale d’équitation en 2010. L’étalonnage a été transféré au secteur privé. Des dissensions fiscales et réglementaires ont également eu lieu récemment : en cause, l’harmonisation de la fiscalité à l’échelle européenne, l’interrogation actuelle sur l’évolution du taux de TVA et l’ouverture à la concurrence des jeux en ligne.

DES BESOINS EN RECHERCHE ET LA QUESTION DU FINANCEMENT

Du côté de la recherche, de nouveaux outils révolutionnent la génétique et la génomique, non sans susciter intérêt et crainte mêlés chez les éleveurs. « Une période s’achève, celle de l’encadrement public. Il y aura une nouvelle configuration de l’action publique qui s’organisera de plus en plus à un niveau supranational et sur les plans local et territorial, estime Philippe Perrier-Cornet (Inra). Dans une prospective transverse, la recherche sur le comportement va permettre une meilleure adéquation entre le cheval et l’homme. » « La poursuite de l’amélioration génétique paraît indispensable, mais pas seulement en termes de performance de l’athlète. La recherche pourrait mieux contribuer à intégrer le cheval dans une problématique de développement durable », poursuit-il.

Toutefois, la question du financement de la recherche reste posée… Nathalie Goulet, sénatrice de l’Orne, s’est interrogée sur la mise en œuvre du crédit d’impôt recherche au niveau du cheval. Mutisme des intervenants, et sourires dans la salle… « Quelque part, il existe une source de financement sur le crédit d’impôt recherche, estime Emmanuel Rossier (IFCE). La démarche entreprise auprès de 9 partenaires pour créer la fondation Hippolia est aussi de nature à améliorer les sources de financement. Nous avons la possibilité de développer des dossiers forts avec ces entreprises. »

DES PRÉOCCUPATIONS COMMUNES

Quatre thèmes initiaux ont servi de support pour croiser les différents scénarios :

– l’usage du cheval ;

– les politiques publiques et les réglementations (paris hippiques, fiscalité appliquée aux activités équestres et hippiques, etc.) ;

– l’organisation et les stratégies des producteurs de chevaux (recherche de production de potentiels chevaux d’élite, etc.) ;

– le contexte économique et sociétal.

« Les scénarios obtenus consistent à forcer le trait, ils s’inscrivent dans des relations sociales homme-cheval différentes de l’un à l’autre, ce ne sont pas les mêmes personnes ni les mêmes chevaux », détaille Philippe Perrier-Cornet.

Les 4 scénarios conduisent ainsi à des disparités au niveau des effectifs équins, des besoins de formation en termes d’emplois, de géolocalisation des équidés, etc.

« Mais, au-delà de ces variations, les préoccupations sont communes. » La première d’entre elles est la recherche d’une meilleure adéquation entre les chevaux et ceux qui les exploitent. La deuxième est la volonté d’une réelle efficacité économique de la filière, sa nécessaire compétitivité par rapport à l’étranger. La troisième préoccupation a trait aux enjeux environnementaux qui traversent les 4 scénarios, les équidés bénéficiant d’un avantage comparatif. La quatrième regroupe les questions relatives à la santé et au bien-être animal, avec une demande accrue de médicalisation, de gestion sanitaire, de prise en compte des chevaux âgés.

QUATRE SCÉNARIOS CONSTRUITS

Le premier scénario (« Tous à cheval ») explore une possible poursuite des activités équestres et hippiques, et la manière d’aller plus loin dans la satisfaction de la population vis-à-vis du cheval. « Ce choix considère que l’État est financièrement désengagé de la filière », précise Christine Jez. Le maintien du financement des courses s’effectue grâce aux prélèvements sur les enjeux. Le cheval constitue, dans ce scénario, un support de loisirs. Il appartient au domaine marchand. « L’utilisation du cheval dans le champ du social, thérapeutique et environnemental, est ici peu développée (sauf des activités rentables sans subventions). » Ce scénario prévoit l’essor des chevaux de loisirs bon marché et faciles à manipuler. Les effectifs augmentent fortement, de même que la segmentation entre le loisir, le sport et les courses. Les importations de chevaux augmentent, en plus d’un approvisionnement national. « Les emplois connaissent une croissance au niveau des salariés et des travailleurs indépendants. »

Le deuxième scénario (« Le cheval des élites ») repose sur l’exploration d’une dégradation de la crise économique. L’équitation retrouve une fonction de distinction sociale. « Les chevaux de trait n’ont plus de débouchés dans ce scénario. » Les difficultés économiques favorisent les jeux d’argent. Pour améliorer la rentabilité économique, on assiste à une concentration et à une professionnalisation de l’élevage. Les activités opèrent un recentrage dans les zones touristiques fréquentées par les élites. « Cela pourrait aussi entraîner une intégration des élevages dans les zones à moindre pression foncière. »

Le troisième scénario (« Le cheval citoyen ») voit le développement du cheval au service de la société. Les collectivités s’approprient le cheval comme un patrimoine, une ressource. « Ici, nous avons envisagé un retour du monopole de l’État sur les paris hippiques », précise Christine Jez. L’équitation pour tous, des paris éthiques, des chevaux qui entretiennent des espaces naturels, réalisent des travaux agricoles, interviennent dans les services communaux à la personne, l’hippothérapie, l’éducation et la réinsertion (prison, etc.) sont des usages fortement encouragés. Ce scénario connaîtrait un développement plus ou moins fort selon les régions.

Le quatrième scénario (« Le cheval compagnon ») voit le passage de l’exploitation du cheval à la tendance du “prendre soin”, la recherche du bien-être de l’animal. « Dans ce scénario, l’État est régulateur, mais il est désengagé sur un plan financier, il libéralise les paris hippiques. » Il y a un renforcement des réglementations en compétition, pour les détenteurs et pour les éleveurs. Le cheval devient un compagnon de vie avant tout, mais aussi d’aventures. Ce scénario voit l’intégration de nombreux chevaux inactifs, en fin de carrière, qui entretiennent des espaces en herbe. Dans ce contexte intervient alors l’interdiction de la consommation de viande de cheval. La population équine vieillit et se renouvelle lentement. Il s’agit de chevaux “coup de cœur”, choisis selon leur esthétique, leur tempérament, etc. Les emplois liés à l’enseignement et à l’équitation sont en baisse.

ET S’IL S’AGISSAIT SURTOUT DE FAIRE COLLER L’OFFRE À LA DEMANDE ?

« Améliorer les performances des chevaux, le bien-être, lutter contre le dopage sont aussi des éléments à prendre en compte. Avec la fondation Hippolia, nous avons l’opportunité de fédérer la recherche. Notre rôle englobe la performance et la recherche », souligne Laurence Meunier (présidente du pôle Hippolia). Pour Paul Essartial (président de la Fédération nationale des conseils des chevaux), « demain, nous allons vers une régionalisation, avec sa diversité, qu’on le veuille ou non. Les régions seront proches de leurs socioprofessionnels ». Selon Serge Lecomte (président de la Fédération française d’équitation), « le cheval est culturel, c’est notre histoire. Nous avons une obligation d’éduquer nos jeunes au cheval et à l’approche de la nature ».

Pour Sylvie Brunel (professeur des universités à Paris), « la société française n’est pas prête au retour du cheval tel qu’il est en train de s’effectuer. Se pose aujourd’hui la question de la cohabitation avec les autres activités. Le deuxième problème est celui de la représentativité des cavaliers de loisirs. Et le troisième écueil est de savoir ce que recouvrent les termes “cheval de loisir français” et “vieux cheval”. »

« Les collectivités territoriales et le cheval existent depuis longtemps, constate Gérard Larcher (sénateur et maire de Rambouillet). Le cheval du début du xxe siècle est militaire, aristocratique et agricole. Le cheval du début du xxie siècle est sportif, de loisir et agricole. Ils ont en commun cet aspect agricole. » Et de poursuivre : « Le cheval hors sol de demain posera un vrai problème, car cet animal est avant tout lié à une production agricole, à un territoire. Dans le futur, le cheval peut être chassé des zones périurbaines par la pression foncière. » Pour notre confrère, si l’État était très présent dans la filière équine au début du xxe siècle, il est aujourd’hui absent. « Entre “cheval citoyen” et “tous à cheval”, je crois que le scénario de demain sera une combinaison des deux. » Gérard Larcher invite aussi l’auditoire, réceptif à ce genre de message, à la vigilance, pour ne pas passer du respect du cheval à l’amour du cheval, avec un risque d’anthropomorphisme. En outre, dans une filière particulièrement atomisée, l’interprofession apparaît selon lui comme une nécessité.

« Nous ne pouvons pas faire l’économie de l’affect autour du cheval, rétorque Sylvie Brunel. Il manque en France un cheval français de loisirs. Il ne doit plus y avoir de fracture conceptuelle entre la France du Nord et du Sud. » Pour Serge Lecomte, « l’avenir passe par la transformation du piéton en cavalier. »

Au final, les experts s’accordent à reconnaître que LA solution sera sans doute un mélange de ces différents scénarios. Une des carences à combler (ou un point à approfondir dans cette enquête ?) est de poser ces questions aussi à l’usager, au pratiquant, au grand public finalement. D’ailleurs, le mot de la fin revient à Jean-Pierre Digard (anthropologue et ethnologue au Centre national de la recherche scientifique), qui analyse ainsi les scénarios et les échanges : « La démarche est trop marketing. Il faut faire coller l’offre à la demande… »

Composition des équipes de travail

Comité de pilotage :

Françoise Clément, directrice des connaissances et de l’innovation, Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) ; Patrick Herpin, directeur de recherche, Institut national de la recherche agronomique (Inra).

Équipe projet :

Christine Jez, chef de projet, délégation à l’expertise, à la prospective et aux études (Inra) ; Bernard Coudurier, chargé de mission, direction scientifique Agriculture (Inra) ; Marion Cressent, adjointe au responsable du service recherche et innovation (IFCE) ; Florence Mea, directrice territoriale Ile-de-France, Centre, Normandie (IFCE) ;

Groupe de travail :

Jean-Louis Andréani, gérant des éditions du Trotteur ailé ; Emmanuelle Bour-Poitrinal, du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), ministère de l’Agriculture, de l’Agro-alimentaire et de la Forêt (Maaf) ; Jean-Louis Bourdy-Dubois, dirigeant des écuries de la Tour Vidale ; Frédéric Chauvel, du pôle de compétitivité Hippolia ; Inès Ferte, dirigeante du poney club d’Avençon ; Jean-Yves Gauchot, président de l’Association vétérinaire équine française (Avef) ; François Hausherr, du Centre de ressources, d’expertise et de performances sportives (Cresp Sud-Est) ; Édith Heurgon, directrice du centre culturel international de Cerisy ; Pierre Julienne, président du Groupement pour l’amélioration de l’élevage du trotteur français (GAET) ; Léa Lansade, de l’Inra ; Pierre Lekeux, de la fondation Hippolia ; Gaëtan Mahon, du pôle de compétitivité Equi-ressources ; William Martin-Rosset, de l’Inra ; Bernard Morhain, de l’Institut de l’élevage.

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