Saignée directe et abattage - La Semaine Vétérinaire n° 1506 du 07/09/2012
La Semaine Vétérinaire n° 1506 du 07/09/2012

Dossier

Auteur(s) : ÉRIC DROMIGNY

FACTEURS TECHNOLOGIQUES ET BIOLOGIQUES DES RETARDS D’ANOXIE CÉRÉBRALE

Dans l’abattage par saignée directe, tout repose sur la brèche vasculaire béante créée au couteau par une jugulation franche. Il s’ensuit une anoxie cérébrale brutale, qui conduit rapidement à la mort du cerveau, tout en respectant l’activité cardiaque. Toutefois, un retard d’anoxie peut être observé dans 3 circonstances technologiques et biologiques majeures (voir figure 1) : une brèche vasculaire limitée à cause d’une mise en œuvre précaire, de faux anévrismes qui entravent l’écoulement du sang, des flux sanguins compensatoires (vertébraux ou spléniques).

Ces 3 circonstances de saignée insuffisante sont détaillées ici, avec la magnitude du risque de retard d’anoxie associé, de façon à disposer d’éléments d’appréciation de la perte de conscience des animaux saignés directement.

Saignée directe précaire

Cette saignée correspond à des conditions technologiques sommaires, liées aux installations, à l’opérateur et à la procédure, qui réduisent fortement l’efficacité de l’incision des carotides et des jugulaires et l’importance de la plaie de saignée (voir figure 2).

Ces conditions technologiques sommaires sont de différents ordres :

– des installations inexistantes (abattage précaire à la ferme, d’urgence, chez un particulier, dans la nature), vétustes ou inadaptées (matériel hors gabarit, contention incomplète par berce ou barres, saignée en continu en restrainer, pas d’extension de la tête, peau du cou des bovins distendue) ;

– une contention insuffisante (suspension de l’animal à vif, pattes ligotées, contention manuelle) ;

– un couteau de jugulation inadapté (lame courte, émoussée, ébréchée) ;

– un opérateur non qualifié ou occasionnel (geste de jugulation partiel, court, hésitant, multiple, cisaillé, superficiel, unilatéral ou uniquement sur les carotides) ;

– un animal malade ou en misère physiologique.

La saignée directe précaire représente donc un risque majeur de limitation de l’hémorragie.

Rétention sanguine par faux anévrismes

L’expression « faux anévrismes » recouvre un ensemble d’entraves spontanées à l’hémorragie carotidienne par la réduction du calibre artériel : simples vasospasmes annulaires, hématomes encapsulés sous la forme d’un simple cerclage de l’artère ou de multiples hernies, avec infiltration sanguine de l’adventice et rétraction possible de l’artère dans le tissu de connexion périphérique, caillots plaquettaires, voire anévrismes vrais.

Les faux anévrismes les plus larges (diamètre supérieur à 3 cm) entraîneraient une oblitération de l’artère, mais la plupart provoquent un ralentissement modéré de l’hémorragie. Ces faux anévrismes ont une origine inconnue. Ils apparaissent chez 1 à 30 % des animaux (abattage rituel) et sont observés surtout chez les bovins. Ils arrêtent la saignée d’une carotide en moyenne en 21 secondes, en moins de 45 secondes chez 29 % des animaux et en 1 minute chez 6 %.

Les faux anévrismes représentent un risque de ralentissement modéré de l’hémorragie dont la magnitude est bien inférieure à celle d’une jugulation précaire, en raison de leur fréquence, de leur taille variable et de leur délai d’apparition fluctuant.

Facteurs de compensation d’hémorragie

→ Perfusion vertébrale et plexus des bovins

Une fois l’artère carotide sectionnée, l’hémorragie peut être modérément compensée par un flux sanguin vertébral de l’encéphale grâce à la présence, chez les bovins, d’un plexus basi-occipital.

→ Contraction de la rate

Une seconde hémorragie spontanée peut être observée, vraisemblablement due à la contraction splénique et à une vasoconstriction secondaire à la saignée directe (Gregory et coll., 2010).

Ainsi, comme tout phénomène biologique, l’anoxie consécutive à la saignée directe connaît de larges variations d’intensité spontanées, fortement majorées par des conditions technologiques précaires : l’association de retards de saignée de différentes origines correspond alors à un risque important de conscience résiduelle chez l’animal abattu.

DÉLAIS DE PERTE DE CONSCIENCE ET RISQUES D’AGONIE

De la saignée directe parfaitement maîtrisée à la maltraitance animale avec souffrance, détresse et agitation de l’animal abattu, il peut n’y avoir qu’un pas.

Pour évaluer le ressenti de l’animal abattu, une méthode scientifiquement approuvée est utilisée, au moyen d’indicateurs indirects de l’hypoxie cérébrale. Les chercheurs ne sont pas unanimes : les délais observés de perte d’activité cérébrale peuvent être très courts (inférieurs à 30 secondes), très longs (plusieurs minutes), ou encore variables dans un lot d’animaux.

C’est pourquoi seront présentées en premier lieu les principales anomalies cons­tatées lors de saignée directe, pour déboucher, dans une deuxième partie, sur une analyse des risques d’agonie par une saignée directe.

Anomalies des indicateurs indirects de l’hypoxie par saignée directe

Les études du délai de perte de conscience après la saignée directe ont produit des résultats variables, voire contradictoires, qui dépendent de l’indicateur utilisé et des conditions expérimentales.

Toutefois, on peut révéler une insuffisance de l’hypoxie cérébrale, caractéristique de la saignée directe, au travers des anomalies observées pour ses indicateurs indirects (perte de posture, pression artérielle, EEG).

→ Long délai de perte de posture

D’après Gregory et coll., la perte de posture (effondrement de l’animal) après la saignée directe s’observe en général dans les secondes qui suivent la jugulation (20 secondes en moyenne), mais ce délai peut dépasser 30, voire 60 secondes (8 % des animaux).

Clairement, le délai de perte de posture est plus long chez les bovins que chez les moutons (Blackmore, 1984) et il dépasse 5 minutes lors de jugulation imparfaite (Anil, McKinstry, Gregory et coll., 1995 ; Blackmore, 1984).

Toute saignée directe réalisée dans des conditions précaires sera donc suspecte d’être associée à une insuffisance d’hypoxie cérébrale et à une certaine persistance de la conscience de l’animal abattu, en particulier chez les bovins.

→ Perte de posture répétée

Chez des animaux non contenus après la saignée directe, la perte de posture peut être répétée après une première perte de posture puis un relever spontané de l’animal, ce qui signerait une contraction splénique, une certaine restauration de la pression artérielle, et peut-être un caractère phasique de la perte de conscience (Gregory et coll., 2010).

→ Défaut de chute de pression artérielle

La pression artérielle systémique chute brutalement chez tous les animaux après la saignée (voir figure 3, courbe 1), mais avec parfois des ralentissements, voire des plateaux ou des pics (courbe 2) surtout en cas de faux anévrismes (courbe 3) :

→ Flux vertébral compensatoire

Un flux vertébral compensatoire est observé chez les bovins après la jugulation (voir figure 4), plus important lors de faux anévrismes.

Ce flux vertébral résiduel du cerveau est parfois observé (passage de colorant) chez le veau jusqu’à 100 secondes (section bilatérale) ou 53 secondes (unilatérale), mais pas du tout chez le mouton (Blackman et coll., 1986). Il expliquerait, chez le veau, des électro-encéphalogrammes (EEG) non isoélectriques avant 2 à 3 minutes, voire 5, alors que les EEG du mouton sont isoélectriques en 10 à 70 secondes (Newhook et Blackmore, 1982).

Toutefois, le flux vertébral est peu abondant au-delà de 30 secondes : il est incertain que le flux de sang oxygéné vertébral du cerveau permette à un bovin de regagner une conscience claire après l’hypoxie brutale due à une saignée directe experte, sauf en cas de jugulation inexperte : ne couper qu’une artère allongerait de 3 fois la durée de conscience résiduelle chez le veau (Anil, McKinstry, Gregory et coll., 1995), et de 30 secondes chez le mouton (activité EEG prolongée, Newhook et Blackmore, 1982).

Cela signifie qu’une saignée directe précaire correspond à un risque majeur de retard d’inconscience, en particulier chez les bovins.

Analyse des risques d’agonie par la saignée directe

Le pire des scénarios correspond à une agonie de l’animal abattu par insuffisance du choc hypoxique du cerveau. Par ordre de probabilité croissante, l’agonie risque de survenir (voir figure 5) en cas de :

→ saignée directe clandestine, hors de l’abattoir, sur un animal qui se débat, ligoté ou suspendu vivant : faux abattage familial à la ferme (suspension à la fourche du tracteur), méchoui, boucherie clandestine, abattage rituel clandestin (douleur de saignée très prolongée et répétée, stimulations des nerfs sectionnés);

→ saignée directe abusive pour raison de cadence dans un abattoir avec saignée classique (carotides, cœur) sans étourdissement, et avec une contention non rituelle, donc insuffisante (agonie probable surtout sur bovins et si faux anévrismes);

→ saignée directe inexperte dans un abattoir pratiquant l’abattage rituel : contention en restrainer en continu, jugulation incomplète ou réitérée, veau dans un piège pour gros bovins (conscience prolongée, agonie peu probable, mais favorisée par compensation);

→ saignée directe experte : risques de brève récupération de conscience, en particulier chez les bovins.

En conclusion, le pire des scénarios correspond à une agonie de l’animal abattu en raison d’une incurie et d’une saignée directe bâclée, en particulier chez les bovins. La bien-traitance reposera donc sur la maîtrise des procédures d’abattage rituel telles qu’elles sont indiquées dans la réglementation.

RÉGLEMENTATION ET MAÎTRISE DE LA MISE À MORT

Dispositions réglementaires

La saignée directe est encadrée par :

– le “paquet hygiène” ;

– le règlement 1099/200l et la directive 93/119 sur la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort ;

– le décret et l’arrêté ministériels du 28 décembre 2011, ainsi que la note de service DGAL/SDSSA 2012-8056 qui précise les conditions d’entrée en application de ces 2 textes au 1er juillet 2012.

Seuls des établissements d’abattage qui détiennent l’autorisation à déroger à l’obligation d’étourdissement des animaux peuvent procéder à la saignée directe (voir figure 6).

Options de maîtrise

Les options de maîtrise suivantes sont proposées :

– tapis d’avancée vers la saignée directe (Grandin, 1996) ;

– jugulation en regard de la vertèbre C1 plutôt que C3 ;

– ponction du cœur chez les bovins (Leigh et Delany, 1987) ;

– électronarcose antérieure à la jugulation, assommement postjugulation.

Mesurer la perte de conscience et de sensibilité d’un animal est une opération complexe qui nécessite de suivre une méthode scientifiquement approuvée, au moyen d’indicateurs indirects. Toute douleur, peur ou agitation évitable doit leur être épargnée, alors que de nombreuses méthodes de mise à mort sont douloureuses pour les animaux. Cela exige une mise à mort rapide.

Des équipes de chercheurs (comme Gregory et coll.) ont tenté de mesurer la perte de conscience et de sensibilité d’un animal au moyen d’indicateurs tels que la chute de la pression artérielle ou le temps de perte de posture. L’objectif est de répondre aux nécessités de la bien-traitance moderne.

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