La toxémie de gestation chez la brebis - La Semaine Vétérinaire n° 1506 du 07/09/2012
La Semaine Vétérinaire n° 1506 du 07/09/2012

Formation

PRODUCTIONS ANIMALES/OVINS

Auteur(s) : KARIM ADJOU

La toxémie de gestation est due à un déficit du métabolisme glucidi­que de la brebis au cours du dernier mois de gestation. Les cas sont généralement sporadiques, mais dans le cadre d’une mauvaise conduite du troupeau ou lors d’un stress (maladie, manipulations, froid, etc.) provoquant une anorexie transitoire avant l’agnelage, le taux de prévalence peut atteindre 30 %.

FACTEURS DE PRÉDISPOSITION

→ Le nombre de fœtus et leur taille : un seul gros fœtus peut déclencher l’affection.

→ L’état d’engraissement de la mère : la maladie touche généralement les brebis très gras­ses, mais peut affecter des animaux très maigres.

→ L’âge de la brebis : les animaux âgés y sont plus sensibles.

Associées ou non, l’hypocalcémie puerpérale et la toxémie constituent 90 % des troubles nerveux observés autour de l’agnelage (voir tableau).

Le mécanisme de la toxémie de gestation conduit à une cétose : pratiquement tout ce qui se rapporte à cette affection est valable pour d’autres étiolo­gies plus rares. En effet, même si la brebis laitière y est beaucoup moins sensible que la vache laitière, une cétose de lactation, par exemple, peut se déclencher lors d’un stress chez un animal qui produit beaucoup de lait (la demande en lactose des fœtus remplaçant alors celle en glucose).

PATHOGÉNIE

Le déséquilibre énergétique est dû à l’association de multiples causes (voir figure).

→ La demande en énergie (glucose) augmente considérablement (+ 30 à 40 %), car 80 % de la croissance des fœtus se situe dans les 4 dernières semaines.

→ La capacité d’ingestion diminue : encombrement spatial de l’utérus gravide dans l’abdomen qui comprime le rumen, et parfois un stress, qui provoque une diminution de la prise alimentaire, ou une diarrhée qui diminue l’absorption des nutriments.

Chez les ruminants, les glucides ingérés étant, pour l’essentiel, transformés en acides gras volatils (acétate > butyrate > propionate) dans le rumen, le glucose nécessaire à l’organisme est fourni par la néoglucogenèse hépatique (à partir du propionate). Toute diminution de l’activité hépatique est donc néfaste à la production d’énergie sous forme de glucose.

→ La lipomobilisation périphérique réflexe massive (par action de l’adrénaline et du glucagon) submerge les capacités d’utilisation du foie (par épuisement du stock d’apolipo­protéine) qui est alors obligé de stocker le glycérol en excès dans les hépatocytes, ce qui finit par provoquer la dégénérescence graisseuse de l’organe.

→ L’atteinte hépatique peut encore être aggravée par une parasitose qui, en plus, contribuera à l’apparition d’une diarrhée.

→ Un régime pauvre en protéines (précurseurs de l’apolipoprotéine) ou en choline (précurseur des phospholipides) ne permet pas au foie de synthétiser les very low density lipoproteins (VLDL) comme il le devrait pour exporter la surcharge en triglycérides (glycérol).

→ À l’inverse, un régime trop riche dans les périodes précédentes (brebis grasses) entraîne une diminution des capacités métaboliques des cellules hépatiques, par la baisse du nombre des mitochondries et de la surface du réticulum endoplasmique granuleux.

Tout cela se termine par un manque de glucose (cellulaire et neuronal) et d’énergie (ATP, acétylcoenzyme A) qui désamorce le cycle de Krebs. Il en résulte une accumulation des corps cétoniques (acéto-acétate, Β-hydroxybutarate, acétone). Ceux-ci deviennent toxiques à forte dose et leur augmentation peut engendrer une acidose métabolique sévère. Surtout, le déficit important du glucose disponible constitue un facteur déclenchant de la souffrance neuronale, donc des troubles nerveux inhérents.

DIAGNOSTIC

Dans les 2 formes, un nez sensible pourra détecter une légère odeur aromatique de “pomme reinette” et une simple analyse urinaire, à l’aide d’une bandelette, révélera une cétonurie. L’analyse sanguine mettra en évidence la cétonémie plus tardivement (aux alentours de 1 mmol/l de Β-hydroxybutyrate).

L’hypoglycémie (20 à 40 mg/dl) n’est pas constante (particulièrement chez la brebis grasse) et il est même possible d’observer une hyperglycémie lors de la phase terminale (fuite du glucose des hépatocytes nécrosés).

Le taux de fructosamine (124 µmol/l au lieu de 172 µmol/l) est un indicateur plus fiable et plus précoce de la carence en glucose. Une lymphopénie et une neutrophilie sont parfois notées.

Le syndrome humoral correspond à une déshydratation (hématocrite atteignant 35 %), une souffrance rénale (créatinine supérieure à 20 mg/l), une acidose (bicarbonate inférieur à 15 mmol/l) et souvent une hypocalcémie (jusqu’à 1,5 mmol/l). L’augmentation des enzymes hépatiques et musculaires (SGOT, PAL, LDH, CPK) peut également signer une souffrance de ces organes.

L’examen nécropsique révèle un utérus volumineux (souvent avec plusieurs fœtus), une importante surcharge graisseuse (bien visible sur l’épiploon) et une dégénérescence graisseuse du cœur, des reins et surtout du foie (stéatose).

TRAITEMENT ET PRÉVENTION

Une fois le déséquilibre en place, seule la suppression de la spoliation fœtale permet la guérison de la brebis. Selon l’urgence, il convient donc de pratiquer une césarienne ou de déclencher médicalement la mise bas.

Le traitement médical vise à aider le rétablissement de l’équilibre énergétique. Il fait appel aux corticoïdes (qui augmentent fortement la néoglucogenèse) en association avec un apport de glucose à 5 %. Le glucose hypertonique est inutile, car immédiatement éliminé dans les urines. Il est aussi possible de recourir au propionate (100 à 200 g) ou au propylène glycol (100 à 500 g/j) par voie orale.

En complément, l’animal peut être perfusé avec du Ringer lactate pour réduire l’acidose et la déshydratation, en association avec un apport d’acétyl-méthionine et d’acide nicotini­que comme facteur lipotrope, de vitamine PP comme inhibiteur de la lipolyse, et de vitamine B12 comme précurseur dans le cycle de Krebs.

La prévention de cet accident nutritionnel repose sur le maintien des brebis dans un état d’embonpoint optimal. La ration est à restreindre lors du tarissement (seulement après la fécondation), puis est augmentée très progressivement à partir de 6 semaines ante partum pour atteindre un flushing les 2 dernières semaines, afin d’habituer la brebis aux concentrés et pour stimuler son appétit.

Références

  • → Bezille P. (1995) Toxémie de gestation et hypocalcémie chez la brebis. Point Vét., 27 (numéro spécial) : 101-105.
  • → Brugère-Picoux J. (2004) Maladies des moutons. 2e éd. Paris, éd. France Agricole, 285 p.
  • → Pearson E.G., Maas J. (2002) hepatic lipidosis. In : Smith B.P., ed. Large Animal Internal Medicine. 3rd ed. St Louis : Mosby : 810-816.

SYMPTÔMES DE LA TOXÉMIE

L’expression de l’affection la plus fréquente est la forme dite en “hypo” : les premiers signes sont frustes, la brebis se met à l’écart du troupeau, elle boit beaucoup mais mange peu, elle est de plus en plus abattue (tête basse, oreilles tombantes, voir photo 1). Sont parfois observés une amaurose, du ptyalisme (voir photo 2), des tremblements des membres, des difficultés respiratoires. Puis l’animal reste en décubitus et tombe dans un coma parfois accompagné de convulsions jusqu’à sa mort en quelques jours.

Dans la forme dite en “hyper”, beaucoup plus rare, l’animal porte la tête en opisthotonos, fonce dans les obstacles, il bave et grince des dents, sa tête et ses lèvres tremblent. Lui aussi mourra en 2 à 5 jours à la suite d’un coma entrecoupé de crises convulsives.

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