Rétrospective et prospective de l’exercice vétérinaire

La Vétérinaire française a fait beaucoup de chemin depuis nos années 70 dans les murs de “l’ancienne école” de Lyon.

Les ENV, accusées d’incapacité à produire des fantassins ruraux, ont fait l’objet de mariages forcés avec des formations agronomiques, cousinage lointain dont le seul point commun est de relever du ministère de l’Agriculture ou de ses avatars successifs. Un rapprochement avec les sciences médicales (médecine, biologie, informatique médicale, imagerie, pharmacie, etc.) aurait vraiment eu du sens, en supposant que les administrations concernées acceptent le principe d’un “remembrement”. De Gaulle y a laissé sa présidence, la profession vétérinaire peut bien y perdre son âme !

Et qu’importe si la succession des initiatives visant à promouvoir les vocations rurales a toujours échoué sur une évidence : rien ne peut contraindre un professionnel (en dehors du statut de fonctionnaire) à exercer un métier pénible et dangereux dans certaines zones sans l’accès à une aisance et à un cadre de vie motivants pour lui et sa famille.

Nous sommes entrés dans la profession à une époque où l’empirisme régnait en maître, mais un vent nouveau était déjà perceptible, né des progrès de la médecine humaine et nourri de l’avancée (déjà prise par les confrères américains en termes d’équipement et d’applications vétérinaires) de ces nouvelles connaissances.

Ce chemin a été franchi très rapidement, et la Vétérinaire “à la française” a, jusqu’ici, réalisé un équilibre entre le bon sens et la technicité dont bien des systèmes de santé pourraient s’inspirer…

Privilégiant le modèle libéral au modèle commercial, la profession a conservé une certaine cohérence, héritière de la confraternité gravée sur les frontispices.

La libre circulation des diplômes, qui réduit le champ des paradigmes communs, l’intensification de la concurrence en tant que mécanisme de destruction de valeur au profit à court terme du consommateur, et l’évolution des mentalités chez les générations montantes, habituées aux temps de travail contingentés et aux responsabilités fractionnées, sont toutefois de puissants facteurs d’entropie !

La profession résistera-t-elle, là où d’autres ont disparu dans les trappes de l’histoire sociétale ? Disquaires, libraires, épiciers, quincailliers, bouchers et charcutiers de proximité ont disparu des bourgades, où ne prospèrent que les agents immobiliers et les guichets de banque. L’obsession du moindre coût a flétri le tissu économique local au profit de la grande distribution, et maintenant de la téléconsommation. Ne subsistent que des commerces “de dépannage” dont la survie repose souvent sur des conditions de travail inacceptables en regard des standards sociaux actuels, ou ceux qui ont su différencier leur offre en préservant leur valeur ajoutée.

Après le secteur commercial, c’est maintenant le tour des services… Le sirocco de la directive “services” desséchera-t-il la belle fille qu’est restée la Vétérinaire française, en installant une politique de l’offre qui s’impose au marché même si elle est ineffective, voire fallacieuse, au lieu de la politique de la disponibilité et du service effectivement rendu, jusqu’ici préservée par le Code de déontologie ? Ou au contraire facilitera-t-elle la mise sur le marché d’offres novatrices, complémentaires du maillage vétérinaire actuel, et apportant des synergies profitables ?

Force est de constater que, dans le secteur des commerces, ces méthodes de mise en concurrence sont appliquées depuis plusieurs décennies. Si elles ont assuré la prospérité de quelques franchiseurs, elles ont détruit ou prolétarisé le maillage de proximité, et assujetti les affiliés.

J’ai choisi la voie vétérinaire en raison de la liberté absolue de choix et d’évolution de carrières qu’elle offrait à l’époque, et que la médecine humaine ne permettait déjà plus. Cette liberté absolue s’est déjà passablement cloisonnée, chaque “courant” tendant à exiger des prérogatives partisanes et à revendiquer un retour obligé sur des investissements intellectuels qui deviennent des enjeux moins ludiques qu’au XX^e siècle. C’est sans doute le vent de l’histoire qui fait pousser les barbelés dans les plaines vierges, mais en abandonnant sa transversalité, la Vétérinaire perdra sans doute sa singularité et les capacités d’adaptation qui ont fait sa force et sa valeur auprès des entreprises.

J’espère de tout cœur que notre profession restera un métier de dilettantes performants, capables du meilleur sans se prendre trop au sérieux. La science vétérinaire est un verre trop délicat pour que l’on prétende y graver des certitudes marmoréennes. J’espère profondément que la Vétérinaire du xxie siècle sera encore une affaire de vétérinaires au service de leur public et de la société, et non de spéculateurs et de fonds de pension.

Très confraternellement, je souhaite un bon 1 500^e numéro à La Semaine Vétérinaire, qui a accompagné ce cheminement.