Mars 2012, le massacre des éléphants continue

L’année 2011 est la plus meurtrière pour les éléphants depuis 20 ans. En Tanzanie, leur population a chuté de près de 42 % ces 3 dernières années. La hausse importante du braconnage et du commerce de l’ivoire répond à une demande croissante, essentiellement dans les pays asiatiques : la Chine et la Thaïlande sont les destinations finales de la plupart des produits du marché illégal de l’ivoire, avec la Malaisie comme plaque tournante.

Des chiffres alarmants. Pour 2011, le réseau Traffic indique que 23 t d’ivoire ont été saisies, soit au moins 2 500 animaux tués en Afrique. Au Cameroun, la population des éléphants est passée de 27 600 en 1997 à 15 400 en 2007.

Le massacre continue… En mars 2012, de vastes opérations de braconnage ont réduit de moitié la population d’éléphants de Bouba Ndjidda, le plus grand et le plus riche des parcs nationaux du Cameroun, situé au nord du pays. Des troupeaux entiers ont été abattus, sans même distinguer les femelles et les jeunes. Les braconniers, originaires du Tchad et du Soudan, se seraient vantés auprès des populations locales d’avoir abattu 650 éléphants, un chiffre considéré comme plausible. La réponse tardive du gouvernement et des autorités chargées de la protection de la faune leur a permis d’agir pendant 10 semaines sans être inquiétés.

Une antique fascination pour l’ivoire.

Depuis la première représentation sculptée connue – un petit cheval, trouvé à Vogelherd en Allemagne, gravé dans une défense de mammouth, daté de 35 000 ans – les hommes ont toujours été fascinés par la beauté et les pouvoirs supposés de l’ivoire. Les derniers éléphants d’Afrique du Nord ont été tués pour satisfaire cette attirance à l’époque romaine, au II^e siècle avant Jésus-Christ. Les aires de répartition des 2 principales espèces actuelles d’éléphants se sont fortement réduites en quelques millénaires : Elephas (actuel éléphant d’Asie) dominait les écosystèmes d’une grande partie de l’Afrique, pénétrant jusqu’en Chine et au Moyen-Orient, tandis que Loxodonta (actuel éléphant d’Afrique) occupait toute l’Afrique.

Une extinction annoncée… Certaines menaces qui pèsent sur les éléphants sont directes : le braconnage pour leur ivoire, la perte de l’habitat au profit des agriculteurs (même s’il existe des projets de conservation participatifs sensibilisant et prônant la cohabitation), la pollution, le changement climatique, etc. D’autres sont plus insidieuses. Les adultes mâles sont la cible prioritaire des braconniers, car leurs défenses sont les plus grandes. Leur nombre diminue donc rapidement. Comme l’œstrus des femelles ne dure que 4 à 5 jours pendant les 3 ou 4 cycles fertiles annuels, la probabilité d’une reproduction s’amoindrit radicalement. Les femelles adultes sont ensuite visées par le braconnage, qu’elles allaitent ou non des éléphanteaux. Comme les troupeaux ont une organisation matriarcale, la disparition des femelles âgées, véritables guides pour leur groupe, a des répercussions importantes sur l’adaptabilité à l’environnement des survivants. La rupture des liens de reproduction et des liens sociaux induit, à moyen terme, un effondrement de la population.

Pourquoi il importe de protéger l’éléphant. Les recherches sur les éléphants, en sciences comportementales, en neurophysiologie et en anatomie, montrent qu’ils possèdent aussi bien une intelligence pragmatique qu’émotionnelle. Ils sont capables d’empathie, de compassion, d’altruisme, mais aussi d’automédication, de jeux, de simulations, d’imitations, d’utilisation outils, d’art, de conscience de soi, de rites funéraires, etc. Aux yeux de ceux qui les côtoient, de simples raisons éthiques sont suffisantes pour inciter à protéger ces êtres hautement sensibles.

Les éléphants ont un rôle fondamental dans leur écosystème. Outre la dissémination des graines dans leurs fèces, la destruction des arbres par les éléphants dans la savane boisée permet aux buissons de survivre, et la destruction de ces derniers dans une savane buissonneuse crée de l’espace pour la prairie. Ainsi, l’éléphant est un acteur clé du façonnage de la mosaïque d’habitats qui permet aux autres espèces de prospérer.

L’éléphant n’est pas seulement une espèce en danger, ni un étendard des conservateurs : son rôle essentiel a été occulté par le commerce de l’ivoire, mais la survie de bien d’autres espèces qui constituent la diversité de la faune africaine dépend de sa sauvegarde.

Il représente notre volonté (ou non) de préserver la nature. Si nous sommes incapables de sauver de l’extinction le plus grand des mammifères terrestres, comment pourrons-nous préserver les autres espèces et, à moyen ou long terme, nous sauver nous-mêmes ?