IL A MARCHÉ SUR LA DUNE

Il est 6 heures ce matin-là, il fait à peine jour et Éric Lerche (A 89) est mal réveillé. Le coureur de Marcq-en-Barœul (Nord) ronchonne. Encore une étape. 15 km, et c’est terminé. « J’en ai plein le dos », grogne ce vétérinaire canin et équin.

« Je me plains mais, en fait, j’aime me dire que je peux encore faire des choses hors du commun à mon âge. » Il marque un silence, puis reprend : « C’est un truc de malade cette course. 40 à 50 °C la journée, 6 la nuit… »

Éric Lerche a raison, il faut être un peu fou, un peu « majnoun » comme disent les Bédouins, pour vouloir souffrir autant dans un lieu où l’on vient habituellement prendre du plaisir. À moins que cette souffrance-là, ces pieds en sang, ce ventre qui crie famine, cette bouche déshydratée, ces crampes qui bloquent les mollets, ces yeux qui piquent, cette peau qui brûle sous le soleil, ne renforcent encore le plaisir de se perdre pendant 6 jours dans les sables du désert, seul et autosuffisant.

« Ici, tu as le droit de souffrir, mais tu le gardes pour toi », résume celui qui s’est mis à courir durant ses années d’études à l’école d’Alfort. Le Marathon des sables dans toute sa splendeur, toute sa grandeur. Ce pourquoi ils sont tous venus et se sont battus : le dépassement de soi. Ici, « nous sommes tous dans la même galère. Le premier comme le dernier… Tout le monde, quasiment à même le sol, avec les pierres et les trous ».

Le bal des survivants

Le Jordanien Salameh Al Aqrah est le grand vainqueur de cette 27^e édition, avec un temps de 19 heures et 59 minutes. Derrière lui, les autres, comme Éric Lerche et son dossard 131, 440^e de l’épreuve en 46 heures et des poussières. Sur son visage, le bonheur, la douleur, la souffrance, la délivrance, la rédemption, la contemplation. Juste le plaisir de courir, de « se lancer un défi » et d’aller « puiser au fond de soi-même, lâche, plein d’émotion ». Derrière lui, un Anglais franchit l’arche d’arrivée. Il est en larmes, il est au bout. Mais il a terminé. Sans rien lâcher.