L’émergence du virus Schmallenberg en Europe - La Semaine Vétérinaire n° 1489 du 30/03/2012
La Semaine Vétérinaire n° 1489 du 30/03/2012

Dossier

Auteur(s) : STÉPHANIE PADIOLLEAU

En novembre dernier, l’institut Friedrich Loeffler annonçait sa découverte d’un virus inconnu en Europe. Virus émergent, à transmission vectorielle, le Schmallenberg est depuis mis en évidence du Danemark à l’Espagne, et au Royaume-Uni. Les recherches lancées depuis les premiers cas sont coordonnées à l’échelon national et européen, car tout reste à découvrir.

En novembre dernier, l’institut Friedrich Loeffler (FLI) annon­çait sa découverte d’un virus inconnu sur le sol européen, après des cas inexpliqués de fièvre, diarrhée et chutes de la production observés chez des vaches laitières, notamment dans la région de Schmallenberg, en Allemagne.

« La méthode utilisée pour sa mise en évidence cons­titue une première, souligne Gilles Salvat, directeur de la santé animale et du bien-être animal à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Une analyse métagénomique sur les animaux malades a permis d’identifier un génome viral caractéristique des ortho­bunyavirus. Ensuite, le FLI a mis au point une RT-PCR, puis effectué un isolement du virus. C’est intéressant, car cela montre que nous disposons désormais de moyens techniques plus puissants pour détecter rapidement une émergence. »

Depuis, conséquence du virus Schmallenberg, les malformations chez les nouveau-nés se sont multipliées, touchant essentiellement des ovins, mais aussi des caprins et des bovins, et 8 pays d’Europe ont confirmé sa présence sur leur territoire.

ORIGINE : INCONNUE, MAIS…

L’émergence du virus Schmallenberg rappelle celle de la fièvre catarrhale ovine (FCO) : même zone initiale concernée, même mode connu de transmission vectorielle. « L’hypothèse d’un virus importé par le biais d’un vecteur est la plus probable, explique Gilles Salvat. D’autant qu’il n’y a pas de virus connu de cette famille sur le sol européen. C’est toutefois difficile à confirmer, car des virus peu ou non pathogènes peuvent passer inaperçus. »

Les Pays-Bas sont le premier pays d’Europe pour le fret maritime (voir carte en page 29), avec plus de 538 millions de tonnes gérées dans l’ensemble de ses ports en 2010. Dans le top 20 des ports européens en 2010, Rotterdam (Pays-Bas) arrive en tête devant Anvers (Belgique) et Hambourg (Allemagne), suivi de loin par Marseille, avec respectivement 395, 160, 104 et 82 millions de tonnes. Par cette porte ouverte aux échanges mondiaux, le risque de voir arriver des hôtes, des vecteurs ou des germes indésirables est élevé. Il semble impossible de se prémunir totalement contre les insectes. Certains éléments sont en faveur d’une origine extra-européenne : c’est la première fois que des signes cliniques imputables à un orthobunyavirus sont observés sur le territoire européen ; l’épizootie a débuté à peu près dans la même zone que celle où s’était déclarée la FCO, et l’évolution suit les mêmes voies de diffusion, bien que plus rapides. L’hypothèse d’un virus local est cependant également explorée, dans la mesure où le virus Schmallenberg est inconnu ailleurs dans le monde. L’existence de foyers en Italie et en Espagne, à peine quelques mois après les premiers cas en Allemagne et aux Pays-Bas, soulève d’ailleurs de nombreuses questions.

Le foyer italien pourrait éventuellement s’expliquer par les importations de bovins vivants provenant d’une zone atteinte. Le cas d’une vache importée des Pays-Bas en janvier, et qui a mis bas un veau malformé, fait l’objet d’investigations malgré des résultats négatifs à la polymerase chain reaction (PCR). De même que celui de vaches également originaires des Pays-Bas, mais importées plus tôt, en juin 2011, et qui ont présenté des signes cliniques proches de ceux observés chez les bovins adultes infectés par le virus.

DIFFUSION RAPIDE EN EUROPE

Indépendamment d’une maladie “achetée”, la rapidité de diffusion du virus reste impressionnante pour une affection vectorielle. Les premiers cas sur des bovins adultes sont observés en fin d’été aux Pays-Bas et en Allemagne, le Danemark atteste la présence du virus dans des Culicoides piégés en octobre, et les premiers cas sont confirmés en janvier par la France (donc une infection vers novembre), ce qui suggère que ce virus a parcouru le même trajet que celui de la fièvre catarrhale ovine en moins de 4 mois, au lieu de 2, voire 3 saisons d’activité vectorielle. D’un autre côté, le passage du virus n’étant révélé qu’à la mise bas des femelles infectées plusieurs mois auparavant, il est difficile d’en suivre la piste avec certitude en l’absence de tests sérologiques utilisables à grande échelle.

Par analogie avec les autres virus du sérogroupe Simbu, les Culicoides ont été d’emblée suspectés d’être les vecteurs du Schmallenberg. Au cours d’une première évaluation, en février dernier, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) a utilisé les modélisations déterminées au cours d’études sur la FCO, en plus de données climatiques, pour fournir une estimation de la zone de diffusion de ce virus.

Avant même d’observer des cas sur son territoire, le Department for Environment, Food and Rural Affairs (Defra) a déterminé une zone à risque sur le sol anglais, via l’analyse des vents sur la période supposée du passage viral sur le continent et la modélisation à partir des travaux effectués sur les Culicoides. Le virus leur a donné raison : la région où sont mis en évidence les foyers anglais se superpose à la zone à risque, à quelques exceptions près. Le Centre d’étude et de recherches vétérinaires et agrochimiques (Coda-Cerva, Belgique) a identifié le virus chez 3 espèces ou groupes d’espèces de ces insectes (C. obsoletus, C. dewulfi et C. pulicaris) répandues en Europe et également impliquées dans la transmission de la FCO. Reste à savoir si ce sont les seuls vecteurs du Schmallenberg ou s’il y en a d’autres, si la maladie peut se transmettre d’animal à animal, ou si la compétence vectorielle explique seule la prévalence élevée du virus.

L’institut central vétérinaire de Wageningen (Pays-Bas) a en effet effectué une enquête sérologique par séroneutralisation sur plus 1 000 sérums, issus de femelles ayant eu un produit atteint, de vaches ayant présenté des signes cliniques l’été dernier, ainsi que de l’effectif complet de 4 exploitations où le passage du virus a été confirmé par PCR. La prévalence globale est estimée à 70 %. Dans les troupeaux atteints, même en présence de peu d’animaux visiblement infectés, elle varie de 70 à 100 %. À titre comparatif, en 2007, la prévalence intratroupeau de la fièvre catarrhale en Belgique était d’environ 40 à 50 % dans les zones les plus touchées.

UNE COLLABORATION NATIONALE ET EUROPÉENNE

Pour le moment, les confirmations de cas sont effectuées par PCR dans les 57 laboratoires d’analyses français qui en ont reçu l’agrément. L’Anses devrait avoir validé un ou des tests sérologiques dans environ 2 semaines. « Les enquêtes épidémiologiques lancées en première intention permettent d’obtenir une description clinique. Des enquêtes plus ciblées seront lancées dès que nous disposerons de tests Elisa : il s’agira de déterminer la prévalence intratroupeau, de savoir si les élevages limitrophes des foyers sont également atteints ou pas, de préciser les modalités de transmission, la durée de vie des anticorps neutralisants. » La liste détaillée par Gilles Salvat est longue. « Par exemple, le virus est retrouvé massivement dans le cerveau des avortons, mais très peu dans la rate ou le sang. Et puis il y a la question de ces agneaux nés sains en apparence en même temps que des agneaux morts malformés, il faudra savoir s’ils sont porteurs, virotolérants ou non. »

Dans toutes ces recherches à venir, le rôle de structures telles que le Réseau français pour la santé animale (RFSA), qui a déjà fait ses preuves, et de la toute jeune plateforme de surveillance épidémiologique née des États généraux du sanitaire, est primordial. « La plate-forme offre un espace de dialogue entre chercheurs, mais aussi avec les décideurs, puisque la DGAL en est l’un des membres fondateurs avec l’Anses, GDS France, la SNGTV, l’Adilva et Coop de France, précise Gilles Salvat. C’est très important. Avec l’arrivée de ce virus, elle a déjà prouvé son efficacité pour coordonner les actions de chacun, notamment pour les enquêtes épidémiologiques, nous avons d’emblée disposé de questionnaires nationaux, validés par les partenaires de la plateforme, en toute transparence. Dans le même temps, le RFSA a rapidement organisé des réunions pour définir les priorités de recherche, qui ont été transmises à la Commission européenne. Les recherches sont partagées entre tous les organismes de recherche, au plan national, mais également au niveau européen. Tout est mis en commun. »

Le virus Schmallenberg crée une situation sanitaire difficile à vivre pour les éleveurs, déjà durement touchés auparavant par la fièvre catarrhale ovine ou la fièvre aphteuse. Il offre cependant l’occasion à l’Europe de montrer les enseignements tirés de ces crises sanitaires passées.

SIGNALEMENT OU IDENTITÉ

> Nom : virus de Schmallenberg

> Famille : Bunyaviridae

> Genre : orthobunyavirus

> Sérogroupe : Simbu

> Description : virus à ARN négatif, enveloppé.

Génome constitué de 3 brins d’ARN : 1 segment S (short) similaire à 97 % à celui du virus Shamonda ; 1 segment M (medium), analogue à 71 % avec le virus Aino ; et un segment L (long) dont 69 % sont similaires à celui du virus Akabane.

> Virus voisins :

– Akabane sévit en Asie et en Australie. Isolé au Japon en 1975 au cours d’une épizootie, il a entraîné la perte de près de 40 000 veaux ;

– Aino est connu en Australie et en Asie. Il a occasionné une épizootie au Japon en 1995 ;

– Shamonda a été isolé au Nigéria en 1965. C’est le moins documenté.

Ces 3 virus ont pour vecteurs des moucherons de la famille des Culicoides, et engendrent des malformations chez les fœtus lors d’infections des mères pendant la gestation.

> Espèces cibles : ruminants. Non zoonotique. Cependant, des anticorps dirigés contre le virus Aino ont été mis en évidence chez l’homme, sans maladie clinique. Des réactions croisées avec d’autres orthobunyavirus sont suspectées.

CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES

Il est évidemment trop tôt pour évaluer les conséquences économiques du virus Schmallenberg. Les pertes directes, liées à la mortalité des nouveau-nés et celles des mères à la suite de dystocies, varient considérablement d’un lot ou d’une exploitation à l’autre : les élevages les plus touchés annoncent 100 % de pertes pour les agneaux ou les chevreaux, même si la moyenne observée en Europe est inférieure. Le ministre de l’Agriculture a encouragé les professionnels de l’élevage à mettre en place des fonds de mutualisation sanitaire.

À la différence de l’épizootie de fièvre catarrhale ovine, aucune restriction des échanges commerciaux n’est prévue, la Commission européenne jugeant infondée la mise en place de barrières sanitaires.

Le seul ralentissement économique vient de pays qui ferment leurs frontières aux importations provenant de l’Union européenne : animaux vivants (Canada, par exemple) et/ou sperme et embryons de ruminants (Mexique). Les raisons avancées sont strictement sanitaires, ou légèrement politiques. Ainsi, la Russie a fermé ses frontières aux ruminants des 3 premiers pays touchés fin janvier, puis à ceux de toute l’Union, ainsi que, curieusement, aux porcs, pourtant épargnés par le virus Schmallenberg. La Biélorussie l’a rejointe le 23 mars dernier.

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