La peur chez les carnivores domestiques - La Semaine Vétérinaire n° 1485 du 02/03/2012
La Semaine Vétérinaire n° 1485 du 02/03/2012

Formation

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : GERARD MULLER*, JEANNE-MARIE BONNET**, VINCENT COUPRY***

Fonctions :
*diplomate ECBVM, praticien à Lille (Nord).
**professeur à VetAgro Sup, unité de physiologie, pharmacodynamie et thérapeutique. Article tiré d’une conférence présentée au congrès Zoopsy 2011.

La peur est une émotion déclenchée par la perception d’un stimulus reconnu comme représentant un danger. Son “rôle” est de permettre à l’organisme de faire face à un environnement aversif.

MÉCANISMES

Réaction comportementale

Il y a d’abord arrêt de l’activité en cours, orientation vers la source menaçante, apparition de mimiques faciales et d’attitudes corporelles semblables quels que soient l’espèce, la race et l’âge. Cette expression de la peur est reconnaissable et communicative entre individus d’espèces différentes.

Puis vient une réponse comportementale qui varie selon l’espèce, l’expérience, l’objet de la peur : fuite, défense, freezing, soumission active qui résulte d’un apprentissage et qui est observée chez le chien lors de phobie sociale, comme pour “séduire” l’objet (vivant) de sa peur en adoptant une position basse ou des comportements infantiles exagérés.

Réponse physiologique

Lors de la perception d’un stimulus engendrant la peur, l’information suit 2 voies neuro-hormonales.

→ La voie courte, rapide, dans laquelle l’information est transmise au thalamus puis à l’amygdale, déclenche une réponse émotionnelle inconsciente. Une activation de l’axe hypothalamo-hypophysaire est observée, avec une véritable décharge hormonale. Le système orthosympathique est aussi activé, ce qui explique la majorité des sensations associées à la peur : tremblements, sudation, bouche pâteuse ou hypersialorrhée, miction, défécation, voire choc vagal avec syncope et mort… Ces réponses émotionnelles sont émises avant même que l’individu ait pris conscience de la situation.

→ La voie longue, plus lente, consciente, fait transiter l’information par le cortex préfrontal qui régule la réaction de peur et conduit à une réponse comportementale adaptée. L’hippocampe a une fonction de mémorisation de l’information et d’adaptation de la réaction au contexte, alors que l’amygdale joue le rôle d’une mémoire viscérale responsable de l’anticipation. Une stimulation des synthèses synaptiques conduit à la mémorisation des réactions émotionnelles et à l’orientation des réponses. Ainsi, par exemple, la seule vue d’un lieu peut engendrer la peur, même en l’absence de danger. Une balance permanente, sous le contrôle du locus cerelus, existe entre amygdale et cortex préfrontal, créant un équilibre chez l’individu sain. Le cortex préfrontal contrôle les réactions amygdaliennes au stress. L’individu s’adapte à l’environnement et aux stress qu’il génère. Parfois, une nouvelle “période critique” est observée, au cours de laquelle la capacité adaptative du cerveau est poussée au maximum. C’est le cas notamment lorsqu’un animal adulte est introduit dans un nouvel environnement, par exemple lors d’une adoption.

CONSÉQUENCES SUR LE COMPORTEMENT

D’une façon générale, lors de stress, le locus cerelus poursuit l’activation de l’amygdale jusqu’à l’apparition d’une réponse comportementale apaisante. Cependant, si celle-ci est impossible, une activité substitutive peut créer un moindre apaisement.

D’autres réactions sont possibles comme la désensibilisation : l’individu se désintéresse du stimulus. Cette attitude est la plus pertinente, mais elle dépend de la capacité régulatrice du cortex préfrontal et de l’adaptabilité de la réponse amygdalienne.

La dépression est aussi une réponse à la répétition des stress. L’anxiété est la réponse la plus fréquente. Chez l’individu anxieux, le cortex cérébral préfrontal perd ses capacités régulatrices et l’équilibre est rompu au profit de l’amygdale. L’activation est permanente, sans qu’il y ait besoin de stimulations externes. L’anxiété peut être définie comme l’existence de réactions émotionnelles analogues à la peur en l’absence de stimulus phobogène. Si la peur déclenche une déferlante neuro-hormonale de courte durée, l’anxiété conduit à une répétition de cet envahissement, avec une chronicité péjorative pour le bon fonctionnement de l’organisme et un panel de troubles : hyper-vigilance, irritation, troubles du sommeil, etc. L’anxiété est donc un état pathologique qui ne peut disparaître spontanément. La mémorisation limbique de cet état persiste et favorise une rechute.

Lorsqu’un animal a peur, il met en œuvre des mécanismes de protection. Tout d’abord, il existe ceux de défense. L’évitement se renforce rapidement, car il est satisfaisant pour l’animal comme pour les propriétaires. Mais il n’est pas toujours possible et l’agression en est la solution alternative, tout aussi favorable à court terme pour l’animal… moins pour les maîtres.

Il existe également des mécanismes de compensation qui permettent de diminuer la peur avec, en premier lieu, l’hyperattachement secondaire. Lors d’un traumatisme important, l’apparition d’une nouvelle période sensible est observée, au cours de laquelle l’animal crée un attachement avec les individus proches. Celui-ci offre à l’animal un apaisement stabilisant, à l’instar d’un psychotrope. Malheureusement, l’absence du ou des objets d’attachement entraîne souvent une détresse.

Autre mécanisme de compensation, l’apparition d’activités substitutives, comme le léchage, la boulimie, etc., qui provoquent au départ la sécrétion d’opioïdes apaisants et stimulants des centres du plaisir. Puis le signal d’arrêt et la signification du comportement disparaissent.

Ces mécanismes mis en place peuvent aboutir à la création d’un équilibre plus ou moins stable, comme un hyperattachement sans manifestation d’anxiété lors de séparation, voire conduire à la guérison, comme lors d’anxiété de déritualisation chez le chien, l’hyperattachement jouant le rôle d’une béquille ponctuelle. Cependant, ils peuvent aussi évoluer négativement, l’hyperattachement se transformant en prison affective, avec un animal incapable de séparation, des activités substitutives conduisant à l’obésité ou à des lésions cutanées.

TRAITEMENT

Thérapie comportementale

La thérapie comportementale a pour objectif de provoquer, chez l’animal, un changement de stratégie face à l’objet de sa peur. Dans les meilleurs cas, cela peut conduire à une habituation et à la disparition de la peur. Par exemple, la désensibilisation est l’exposition régulière et contrôlée de l’animal à l’objet de sa peur à des doses croissantes. Le contre-conditionnement a pour objectif de créer, chez l’animal, un conflit entre la peur et une motivation supérieure à celle-ci. L’introduction d’un stimulus disruptif permet d’interrompre la stratégie de fuite ou d’évitement en réorientant le comportement de l’animal vers une activité apaisante.

Il est aussi possible d’apaiser un chien en lui fournissant un cadre structurant : prévisibilité des événements, cohérence de la communication et compétence des propriétaires dans la compréhension de leur animal, cohérence de la place au sein du groupe, amplification de l’intérêt de l’animal pour le propriétaire et réciproquement, créations de renforcements et de rituels positifs. Chez le chat, cela passe par la création d’un environnement apaisant, stable, mais aussi par l’apport d’activités stimulantes.

Thérapie médicamenteuse

Il est parfois utile, voire nécessaire, d’associer à la thérapie comportementale une prescription médicale. Le choix de la molécule tient compte de l’habitude du prescripteur, des symptômes, de la cohérence avec la demande et la thérapie, de la capacité d’observance des propriétaires, etc.

Il existe de nombreuses molécules. Dans le cadre de la phobie de l’orage, le propranolol ou l’alprazolam sont utilisés. Lors des troubles de panique chez le vieux chien, la sélégiline est une molécule de choix (effet anxiolytique et amélioration des performances cognitives et de concentration). La clomipramine est intéressante par ses effets anxiolytiques et son efficacité sur la douleur neurogène associée au léchage, en phase postopératoire, etc. Pour la phobie sociale du chien, mieux vaut utiliser la fluoxétine, la molécule du contrôle par excellence. Chez le chat, la phobie sociale est traitée avec de l’α-casozépine.

La prescription d’une molécule est un choix parfois difficile et les critères de décision s’appuient sur un modèle imparfait. Il ne faut donc pas hésiter à changer de médicament en cas d’échec, mais sans oublier qu’un tel traitement demande du temps pour agir.

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