La lutte contre le dopage équin sur tous les fronts - La Semaine Vétérinaire n° 1478 du 13/01/2012
La Semaine Vétérinaire n° 1478 du 13/01/2012

Dossier

Auteur(s) : MARINE NEVEUX

Derrière toute affaire de dopage, il convient souvent de trier le bon grain de l’ivraie. Entre emballement médiatique et réelle volonté de tricherie, la réalité est parfois plus nuancée. L’essentiel, pour le vétérinaire, est d’exercer son jugement professionnel pour conseiller au mieux les entraîneurs. Au final, seule une analyse de dépistage peut garantir l’élimination totale de toute substance prohibée avant de concourir.

L’été dernier, le cheval Ranch Wood est déclaré positif à la bétaméthasone : de quoi mettre le feu aux poudres dans le milieu des courses ! Son très médiatique et reconnu entraîneur Pierre Léves­que (Manche), issu d’une famille dévouée au cheval et aux courses, notamment vainqueur du prix d’Amérique, est suspendu pendant un an à la suite de la course de ce cheval déclaré positif sur l’hippodrome de Dozulé (Calvados).

« Dans ce contexte, des propos inacceptables ont été tenus à l’encontre de la profession vétérinaire, et des raisonnements erronés ont été développés par certains », déplore Michel Martin-Sisteron, responsable des affaires juridiques au Conseil supérieur de l’Ordre (CSO), en une de Paris Turf du 1er septembre 2011 (voir photo ci-dessous). Il y a en effet, dans toute affaire de dopage, le risque d’un dérapage médiatique et celui de jeter l’opprobre sur toute une profession, alors que chaque cas mérite d’être disséqué pour évaluer d’où vient la fraude et si elle est avérée.

Le vétérinaire de Pierre Lévesque s’est justifié dans les colonnes de Paris Turf en août 2011 : « La publication du délai de rémanence est de 7 jours dans d’autres pays pour la bétaméthasone (…) Il faudrait que les laboratoires [français ?] préconisent un délai (…). À partir du moment où les 7 jours sont écoulés, on se trouve en queue de traitement, selon les termes employés par les laboratoires, et il n’y a plus de valeur thérapeutique. Il n’y a pas du tout eu dopage, mais seulement de la médication », poursuit-il. Et sur le site france3.fr, un journaliste de déplorer : « Difficile de parler de dopage dans ce cas précis puisque, apparemment, Pierre Lévesque a suivi les consignes de son vétérinaire en administrant cet anti-inflammatoire à son cheval. » Alors, emballement médiatique ?

Ne pas déplacer le débat sur un terrain qui n’est pas le sien

« Il est important, dans cette affaire, de ne pas déplacer le débat sur un terrain qui n’est pas le sien », conclut un courrier de notre confrère Michel Martin-Sisteron, pour le CSO, qui apporte un éclaircissement factuel et pertinent. Et des principes fondamentaux sont rappelés : « L’ensemble des vétérinaires établis en France ont l’obligation d’être inscrits à l’Ordre national, condition indispensable, outre la détention de leur diplôme, à leur habilitation à l’exercice. » « Le vétérinaire est soumis à une obligation de prescription des soins qu’il dispense, tout comme des médicaments à délivrer. Une ordonnance, rédigée conformément aux dispositions du Code de la santé publique, doit être remise au détenteur de l’animal lors de l’intervention et conservée par ce dernier pendant 5 ans. Le prescripteur, quant à lui, doit en garder un exemplaire pendant 10 années ».

Il rappelle aussi l’obligation d’information, et du libre choix par le client de son vétérinaire. En outre, « pour ce qui est de l’élimination des produits utilisés, au regard des réglementations sportives, aucun délai précis ne peut être donné, la durée de cette élimination étant notamment fonction de la molécule concernée, de l’état physiopathologique de l’animal traité et des autres thérapeutiques éventuellement associées ».

Cela dit, il peut toujours être utile de recommander une analyse avant le retour à la compétition.

Un jugement est attendu ultérieurement

L’affaire Pierre Lévesque n’est d’ailleurs pas terminée. Dans Geny Courses du 14 décembre dernier, la Société d’encouragement du cheval français (SECF) faisait paraître, en une du journal, un communiqué prenant acte de l’ordonnance de référé rendue par le tribunal administratif de Paris, le 9 décembre dernier. Cette dernière suspend partiellement les effets de la décision de la Commission supérieure du 4 novembre 2011 concernant le retrait des autorisations d’entraîner et de monter, pour une durée d’un an, prises à l’encontre de Pierre Lévesque. Un jugement sera rendu ultérieurement dans cette affaire. « La SECF s’oblige à ne pas commenter cette ordonnance contre laquelle elle envisage néanmoins de former un recours, la décision de la Commission supérieure du 4 novembre 2011 ayant été prise en conformité avec les dispositions du Code des courses au trot et de son annexe i, qui s’imposent à tout professionnel, et qu’elle a l’obligation légale de faire respecter, dans l’intérêt de la filière dont elle a la responsabilité ».

Gérer les aspects techniques, mais aussi médiatiques

Les réactions ont fusé dans tous les sens sur les sites des parieurs. Cet exemple, qui a fait l’objet d’une tempête médiatique en raison de la célébrité et de la popularité de l’entraîneur, souligne l’importance du sujet, mais aussi sa complexité. « Comment défendre un multirécidiviste qui travaille avec un vétérinaire sulfureux ? Il y a un règlement, soit il le respecte, soit il change de métier », écrivait un internaute. « Il faut plus de contrôles et des sanctions efficaces, exigeait un autre. À l’heure de la puce électronique ou de la carte à puce, pourquoi les prescriptions de chaque individu ou animal ne sont-elles pas enregistrées, associées à une interdiction de présentation, laissant ainsi du temps au recouvrement sans médication pour le cheval ? »

Les taux de positivité élevés lors des dernières olympiades soulignent encore, si cela était nécessaire, l’importance du sujet et sa délicate gestion. Car il intègre des facettes variées.

Seule une analyse de dépistage garantit l’élimination totale de la substance

Un des aspects est scientifique et pose aussi la question de la finalité. Car derrière ces cas de dopage émerge, bien entendu, la notion de fraude vis-à-vis des parieurs, mais aussi celle du bien-être des chevaux. C’est pour cela que sont distinguées, globalement, 2 catégories de substances : celles totalement interdites et celles prohibées. Les premières (stéroïdes anabolisants, facteurs de croissance, substances agissant sur l’érythropoïèse, transporteurs d’oxygène synthétiques) ne doivent jamais être présentes et relèvent d’une volonté de tricherie. Dans cette situation, la philosophie est de mettre en évidence l’exposition à ces substances en utilisant les techniques analytiques les plus performantes. Les secondes peuvent être prescrites par le vétérinaire sur ordonnance, en respectant les règles de prescription, mais elles sont prohibées lors des épreuves. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’empêcher l’usage médical de ces substances, en détectant longtemps après la fin du traitement des traces résiduelles d’exposition, mais plutôt de garantir, qu’au moment de la compétition, le cheval n’était pas sous l’effet d’une substance médicamenteuse.

Pour les substances thérapeutiques, des limites de screening analytique sont établies et harmonisées au niveau européen, en se fondant sur une approche dite pharmacocinétique/pharmacodynamique (PK/PD). Ce modèle, développé par Pierre-Louis Toutain (professeur à l’école de Toulouse), permet de déterminer, pour ces substances, des concentrations plasmatiques et urinaires dites inefficaces (sans signification biologique).

Dans ce cadre, l’European Horserace Scientific Liaison Committee (EHSLC) publie, à la suite d’études expérimentales, des temps de détection1 pour un certain nombre de substances thérapeutiques. Ils sont établis pour un médicament donné, à une concentration et pour une voie d’administration données, et ne doivent pas être assimilés à des temps d’attente avant une compétition.

Pierre-Louis Toutain, en utilisant une simulation de Monte Carlo (méthode probabiliste), estime qu’il faut multiplier par 2 environ le temps de détection pour obtenir un temps d’attente et prendre en compte le risque de variabilité biologique due aux faibles échantillons utilisés pour ces travaux (en moyenne 6 chevaux par étude). Le praticien doit, bien entendu, exercer son jugement professionnel pour conseiller au mieux l’entraîneur en tenant compte des doses employées, du mode d’administration, de l’état physiologique du cheval, de ses conditions d’entretien, de l’utilisation concomitante de plusieurs traitements, etc. En tout état de cause, seule une analyse de dépistage peut garantir l’élimination totale de la substance avant de concourir, à proposer à tout entraîneur en cas de doute.

  • 1 Ces temps de détection sont consultables sur le site web de l’EHSLC ou de la FNCF.

RAPPELS DE LA RÉGLEMENTATION DES CODES DES COURSES

En trot et en galop, les chevaux doivent être négatifs à compter de la déclaration de partant (de 48 à 72 heures avant la course). Les délais d’élimination des substances sont donc à estimer à partir de la date de cette déclaration, et non de celle de la course.

Le Code des courses au trot exige, de plus, qu’aucune substance prohibée ne soit administrée au cheval à partir de son engagement (généralement 7 jours avant la course).

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