Contribution de la génomique à l’avenir de l’élevage bovin - La Semaine Vétérinaire n° 1474 du 09/12/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1474 du 09/12/2011

Dossier

Auteur(s) : SERGE TROUILLET

La génomique étudie la structure et la fonction d’un grand nombre de gènes simultanément. Pour cela, elle s’appuie sur des technologies de pointe (techniques à haut débit pour l’analyse, bio-informatique pour le traitement des données). En effet, de nombreuses disciplines (sélection génomique, phénotypage animal, nutrigénomique, génomique fonctionnelle, métagénomique, métabolomique, épigénétique, etc.) ouvrent des perspectives prometteuses. Éclairage.

La sélection génomique est, sans conteste, la discipline de la génomique pour laquelle les applications concrètes sont les plus développées actuellement. Elle est beaucoup plus efficace et plus précise que la sélection génétique classique, car elle ne fait pas d’hypothèses statistiques sur les gènes et leurs effets, mais intègre l’information de l’ensemble du génome au travers de marqueurs. Pour autant, la précision de la sélection génomique dépend de la population de référence, qui a pour objet d’établir les relations entre le génotype et le phénotype des animaux, avec l’idée qu’elles sont extrapolables au reste de la population. Elle est d’autant plus élevée que l’effectif est de taille suffisante ou que l’héritabilité du caractère est forte.

Grâce à ces relations sur la population de référence, plus besoin, donc, de phénotyper les animaux à sélectionner qui n’en font pas partie. Faciles à réaliser et au coût maîtrisé, les génotypes suffisent. Ensuite, les relations génotype/phénotype, mises au point sur la population de référence, sont appliquées. Les avantages sont évidents : prédiction de la valeur génétique dès la naissance (voire chez l’embryon) ; sélection précoce et donc moins coûteuse ; sélection identique chez les mâles et les femelles ; progrès génétique plus équilibré entre les caractères ; possibilité de sélectionner de nouveaux caractères ; etc.

Pour une véritable politique stratégique de l’élevage français, voire européen

Pour Didier Boichard, directeur de recherche à l’Inra de Jouy-en-Josas, « l’impact de cet outil est favorable sur la diversité génétique dès lors que l’on utilise un plus grand nombre de reproducteurs efficaces ». Autre défi, à ses yeux, celui de la combinaison des races : « La démarche multiraciale consiste à évaluer un reproducteur à partir des populations de référence de toutes les races. Elle permet d’optimiser l’utilisation des populations de référence, d’étendre la sélection génomique aux autres races d’effectif plus limité et de sélectionner des caractères difficiles ou coûteux à mesurer. »

Cela est rendu possible grâce à l’utilisation d’une puce HD (haute densité : 777 000 marqueurs) qui autorise, par son ultraprécision, l’application des relations de prédiction génétique d’une race à l’autre. Là encore, le bénéfice est évident. Une véritable politique stratégique de l’élevage peut être engagée au niveau français, voire européen. L’addition des cheptels devient un gage d’indépendance. En race holstein, la population de référence de 22 000 taureaux a été construite dans le cadre du consortium EuroGenomics ; le projet Gembal (génomique multirace des bovins allaitants et laitiers), quant à lui, rassemble 5 000 animaux de toutes les races laitières et allaitantes françaises.

Des gènes biomarqueurs pour la qualité des produits ou pour l’état physiologique des animaux

La sélection génomique bouleverse donc l’organisation du monde de l’élevage par la remise en cause des schémas de sélection. La génomique fonctionnelle, de son côté, ne dispose encore que de peu d’outils diagnostiques. Mais ses perspectives sont pour le moins prometteuses. Cette discipline étudie en effet comment l’information génétique, dont l’ADN est le support, est utilisée par les cellules vivantes pour déterminer in fine les caractéristiques des animaux. « Nous avons l’habitude d’utiliser l’image suivante : l’ADN est une encyclopédie dans laquelle chaque cellule vivante commence par faire une copie de sa recette, un transcrit, pour fabriquer ses plats, les protéines, qui assurent l’immense majorité des fonctions cellulaires, explique Jean-François Hocquette (voir interview). En étudiant tous les transcrits, les protéines, les métabolites2 dans les tissus, les scientifiques ont pour objectif de détecter des gènes potentiellement intéressants qui peuvent, par exemple, être des biomarqueurs pour la qualité des produits ou pour l’état physiologique des animaux. »

Des ruminants orientés au plus tôt vers les systèmes d’élevage les mieux adaptés

On voit l’intérêt de la compréhension des processus physiologiques, issus notamment de la transformation des aliments. Il deviendra ainsi possible d’optimiser l’alimentation des animaux, de produire du lait et de la viande de meilleure qualité. L’Inra développe à cet égard des outils, dans le cadre du groupement d’intérêt scientifique Agenae, avec le soutien financier d’Apis-Gène (consortium regroupant tous les professionnels du secteur des ruminants en France), notamment afin d’analyser en routine l’expression des gènes et les quantités de protéines dans le muscle qui sont en rapport avec la tendreté de la viande.

Le but est également de limiter les rejets de méthane et d’azote dans l’environnement. Par ailleurs, en analysant l’urine, avec les techniques de métabolomique2, un diagnostic précoce sera possible, par exemple de l’exposition ou non aux mycotoxines ingérées par l’animal, offrant une plus grande latitude pour réagir de manière pertinente. De même, grâce à une meilleure identification des gènes reliés au stress et au bien-être animal, les animaux les plus sereins pourront être sélectionnés. Les relations sociales entre eux, ainsi que l’interaction avec l’éleveur, en seront facilitées. « En conséquence, conclut Jean-François Hocquette, sur la base de tout ce que l’on peut mesurer avec la génomique fonctionnelle, nous serons en mesure de choisir les animaux les plus robustes, les plus dociles, les plus fertiles, ceux qui ont l’efficacité alimentaire la plus élevée, etc., mais aussi de les orienter au plus tôt vers les systèmes d’élevage qui leur sont le mieux adaptés. »

Une discipline récente, l’épigénétique, au potentiel prometteur

Autre discipline porteuse de promesses pour l’élevage, l’épigénétique n’en est encore qu’au stade de la recherche finalisée. Elle consiste à analyser les changements héritables de l’activité génomique, sans modification du patrimoine génétique nucléaire. Sa portée est prometteuse. En effet, ces processus moléculaires héritables, qui sont qualifiés de marques épigénétiques, participent à la construction du phénotype : « Il est démontré aujourd’hui, souligne Hélène Jammes, directeur de recherche à l’Inra de Jouy-en-Josas, que la plasticité des marques épigénétiques assure une réponse aux variations de l’environnement, et que leur robustesse en perpétue les effets en modifiant l’expression des gènes. »

Le potentiel génétique est une chose, son expression en est une autre. Celle-ci ne peut être assurée et reste sous l’influence de l’environnement (conduites d’élevage, nutrition, période de sécheresse, etc.). Les performances attendues peuvent baisser. « Or nous savons, poursuit Hélène Jammes, que toute modification du phénotype est associée à celle du patron d’expression génique, lui-même contrôlé par des changements des marques épigénétiques. »

Des enjeux considérables pour l’avenir de l’élevage

Reste à mettre en lumière une relation directe entre variabilités phénotypiques et épigénétiques. Le modèle d’animaux issus du clonage somatique, qui offre la possibilité d’obtenir de nombreux individus ayant le même patrimoine génétique, est pertinent. Les données générées par l’utilisation de ce modèle permettront de définir la carte épigénétique (ensemble des modifications épigénétiques) de chaque tissu (placenta, foie, muscle, glande mammaire, etc.) et d’en analyser la flexibilité (ses modifications sous l’influence de l’environnement). « Ces connaissances, conclut Hélène Jammes, devraient permettre de comprendre la variabilité des phénotypes au sein des populations animales hautement sélectionnées, et de proposer des stratégies pour mieux contrôler l’expression du potentiel des animaux. »

En admettant, comme Jean-François Hocquette, que l’on parviendra à développer, en génomique fonctionnelle et en épigénétique, des outils diagnostiques de routine aussi peu chers que ceux utilisés pour la sélection génomique, de grands espoirs sont permis pour caractériser les produits : « Nous pourrons par exemple, avec un spectre infrarouge, prédire la qualité du lait ; avec l’expression des gènes et des protéines dans le muscle, prédire la qualité de la viande ; avec l’analyse d’un morceau de muscle prélevé au moment de l’abattage, prédire la durée optimale de maturation de la viande, etc. »

Les enjeux de la génomique pour l’avenir de l’élevage, notamment de bovins en France, sont tout simplement considérables.

  • 1 Institut national de la recherche agronomique. Colloque « La génomique bovine » organisé le 6 octobre 2011 en partenariat avec le Sommet de l’élevage.

  • 2 Éléments que l’on trouve dans un fluide biologique (sang, intérieur d’une cellule) : sucres, acides gras, acides aminés, etc. La métabolomique est la science qui les étudie.

LA MÉTAGÉNOMIQUE
ENJEUX POUR LES FILIÈRES ET APPLICATIONS

Le développement de la métagénomique, chez les bovins est ciblé sur la compréhension du génome des micro-organismes du rumen impliqués dans la digestion des aliments. « Le problème majeur pour accroître la productivité des ruminants, explique Sharon Huws, docteur à l’université galloise d’Aberystwyth, est celui de l’inefficacité de la conversion des fourrages ingérés par l’animal en protéines microbiennes. De ce fait, il est crucial, afin d’assurer les disponibilités alimentaires futures, de mieux comprendre les interactions entre les aliments ingérés par les ruminants et les microbes du rumen. » Les résultats montrent que les 2 premières heures de la colonisation du rumen par les végétaux ingérés sont essentielles pour déterminer le degré d’accès aux nutriments végétaux par les microbes du rumen et, ainsi, optimiser la dégradation ruminale des fourrages, donc la productivité des ruminants : « Notre travail actuel est en conséquence centré sur l’amélioration de l’accès des microbes aux nutriments végétaux. »

L’utilisation de la métagénomique a également permis d’identifier 14 nouvelles lipases, des enzymes issues de bactéries du rumen qui convertissent les acides gras polyinsaturés ingérés par l’animal en acides gras saturés. « Les travaux futurs, annonce Sharon Huws, porteront sur le développement d’inhibiteurs de ces enzymes pour obtenir plus d’acides gras polyinsaturés dans la viande et le lait, gages d’une meilleure qualité nutritionnelle. »

L’une des conséquences des travaux de prospection en métagénomique du rumen, c’est la découverte de nouvelles enzymes utiles pour les industries de biotechnologie, en particulier concernant la génération d’énergie bio-renouvelable…

2011-2016
PRATIQUES AGRICOLES DURABLES AUX ÉTATS-UNIS : UN PROJET DE 5 MILLIONS DE DOLLARS

À destination des filières et pour mieux répondre aux enjeux d’une production durable en agriculture outre-Atlantique, un consortium d’universités et d’entreprises américaines développe un programme d’amélioration génétique de l’efficacité alimentaire des bovins producteurs de viande.

« Nous allons rassembler des données sur l’ADN, l’ingestion individuelle, la croissance et les caractéristiques de carcasse de 8000 bovins. Elles seront utilisées pour développer et commercialiser des estimations moléculaires sur la valeur génétique de l’efficacité alimentaire, explique Jerry Taylor, professeur à l’université du Missouri. Ces animaux seront également utiles notamment pour étudier l’émission des gaz à effet de serre, ainsi que les conséquences sur l’efficacité alimentaire des interactions hôtes-symbiotes dans le microbiome digestif et de celles entre le génotype et l’environnement nutritionnel. »

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