GROUPEMENTS D’ACHATS : UN RISQUE D’EXPLOSION - La Semaine Vétérinaire n° 1460 du 02/09/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1460 du 02/09/2011

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Auteur(s) : Nicolas Fontenelle*, Eric Vandaële**

GIE, trois lettres qui font fantasmer. Depuis plusieurs mois, la profession ne parle plus que de cela ou presque : faut-il constituer un groupement d’intérêt économique ou une société civile de moyens pour acheter ses médicaments ? La perspective est alléchante et le filon fait recette chez les vétérinaires.

Sur le principe inventé par la grande distribution, l’opération consiste à créer une centrale de référencement en regroupant des personnes morales (des sociétés d’exercice) qui mettent en commun leur puissance de vente (de prescription) et donc d’achat pour négocier des remises sur les médicaments auprès de leurs fournisseurs, en l’occurrence les laboratoires. 10, 20, 40, 60 % de remises, les chiffres les plus fous circulent sans que personne ne veuille communiquer en toute transparence.

30 % du marché déjà négocié par une centrale de référencement

Le filon fait recette chez les vétérinaires. 15 % des libéraux seraient déjà membres d’une centrale de référencement de type groupement d’intérêt économique (GIE) ou société civile de moyens (SCM). 16 % y songent sérieusement (selon un sondage réalisé en avril dernier auprès d’un échantillon représentatif de 473 libéraux).

Mais combien de GIE sont-ils aujourd’hui constitués ? Impossible à dire là non plus. L’Ordre des vétérinaires, officiellement, ne les recense pas. Il n’en a pas les moyens. En tout cas, pas les moyens déontologiques ou juridiques. Si chaque nouvelle société d’exercice créée par des praticiens doit être déclarée auprès de l’instance ordinale, les GIE n’y sont pas contraints. Justement parce que ce ne sont pas des sociétés d’exercice. Une seule certitude : les GIE sont beaucoup plus nombreux en exercice rural, compte tenu des gros volumes d’achats de médicaments. Ils sont donc géographiquement très présents dans les grandes régions d’élevage comme la Bretagne ou les Pays-de-la-Loire, où leur succès ne se dément pas, à l’instar du GIE Loire-Vilaine (voir témoignage en page 24).

Les industriels du médicament vétérinaire disposent, bien entendu, de chiffres assez précis puisqu’ils sont sollicités pour négocier avec ces centrales de référencement. Selon les données communiquées par le Syndicat de l’industrie du médicament vétérinaire (SIMV) à l’Ordre, 30 % de leurs chiffres d’affaires seraient déjà réalisés par des structures de ce type. Les petits laboratoires souffrent d’ailleurs davantage que les gros, puisqu’ils ne peuvent étaler les remises sur une large gamme.

Les centrales de référencement sont-elles légales ?

Si les centrales de référencement constituées en GIE ont le vent en poupe, elles essuient aussi de sévères critiques. Les GIE sont-ils légaux ? La question se pose. L’Ordre et le SIMV la posent, mais sans y apporter de vraies réponses.

La forme juridique du GIE ou de la SCM n’est pas en cause. Ce type de structure a du succès en raison de sa simplicité et de sa souplesse. Ainsi, deux personnes (physiques ou morales) suffisent pour constituer un GIE. Aucun capital minimal n’est exigé au moment de la constitution. Les apports peuvent être réalisés en argent, en équipements ou en ressources humaines. Seul inconvénient majeur : la responsabilité solidaireentreses membres.

Ce qui peut être contesté, en revanche, c’est l’activité même de ces GIE ou SCM. A deux points de vue. Elle peut contrevenir d’une part au Code de commerce, d’autre part à celui de déontologie.

Généralement, ces structures ne contreviennent pas au Code de la santé publique, car elles ne détiennent ni ne revendent à leurs adhérents les médicaments dont elles ont négocié l’achat. Le plus souvent, elles ne jouent un rôle que dans la négociation des remises et de leurs contreparties commerciales. La distribution des médicaments passe ensuite soit par les distributeurs habituels (Alcyon, Centravet, Coveto, Hippocampe, etc.) qui les achètent et les revendent en gros, soit – et c’est un peu plus fréquent pour ces achats groupés – par des dépositaires rémunérés directement par les laboratoires pour le service logistique.

Une puissance d’achat qui augmente la remise arrière

Les centrales de référencement ne sont, en réalité, qu’un regroupement des multiples chiffres d’affaires réalisés par les structures qui les composent. Ses forces de ventes (de prescription) associées deviennent une puissance d’achat en raison du volume ainsi constitué. L’achat de médicaments est négocié auprès du laboratoire le mieux ou le moins disant. Une remise supplémentaire est consentie en contrepartie d’un volume global de médicaments et de l’engagement du GIE à fournir divers services commerciaux : des statistiques de vente, des sondages clients, un point de livraison unique, une seule commande groupée. Cette remise arrière, négociée en coulisses, est aujourd’hui bien supérieure à la remise avant. Beaucoup de praticiens affirment répercuter la quasi-totalité de la remise ainsi obtenue sur le prix de vente final du médicament pour rester compétitifs, notamment face aux groupements. Ce qui reste à démontrer.

Rien n’est illégal si les contreparties sont réelles et proportionnées, mais…

Cela dit, rien, dans ce mécanisme, n’est illégal au regard du Code de commerce. Sauf que… la remise arrière consentie aux vétérinaires doit être la contrepartie de services effectivement rendus aux laboratoires et d’une valeur proportionnée à la remise. Le regroupement de chiffres d’affaires, qui est l’un de ces services, ne doit pas non plus être “artificiel”.

Tout est dit dans l’article L.442-6 du Code de commerce : « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers d’obtenir ou de tenter d’obtenir d’un partenaire commercial un avantage quelconque [la remise arrière, etc., NDLR] ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage [illicite] peut notamment consister en la participation, sans contrepartie proportionnée, au financement d’une opération d’animation commerciale, […] en particulier dans le cadre […] de centrales de référencement ou d’achat. Un tel avantage [illicite] peut également consister en une globalisation artificielle des chiffres d’affaires ou en une demande d’alignement sur les conditions commerciales obtenues par d’autres clients. »

« Si les fraudes enquêtaient, il y aurait des mauvaises surprises »

Les accords passés entre les GIE et les laboratoires devraient donc être juridiquement étayés et scrupuleusement suivis. « Je doute que les contrats passés soient tous respectés par les vétérinaires, s’agissant des contreparties qu’ils sont censés apporter en échange des marges arrière qu’ils perçoivent, lâche un important représentant de laboratoire. Chaque contrat est unique. Mais si la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) lançait une enquête nationale et épluchait ces contrats au cas par cas, il y aurait des surprises. »

Les mauvaises surprises, les pharmaciens en ont eu il y a quelques années. Avec l’arrivée massive des génériques sur le marché, les laboratoires ont consenti des remises arrière colossales pour pouvoir prendre rapidement des parts de marché sur un secteur ultraconcurrentiel. Les contrats n’étaient quasiment jamais respectés par les officinaux, avec l’aval des laboratoires d’ailleurs. La DGCCRF n’a pas manqué de faire des enquêtes, qui ont permis de dévoiler l’ampleur du système et à la Sécurité sociale de prendre conscience de son “manque à gagner”. Le prix fixé pour le remboursement d’un générique était bien supérieur à celui qu’il aurait été possible de pratiquer en répercutant les marges arrière sur le prix de vente final. La totalité de ces dernières finissaient donc dans la poche des potards. Depuis 2007, ces marges arrière sont interdites aux pharmaciens et répercutées sous forme de marges avant, encadrées et plus transparentes.

La médecine vétérinaire n’est pas encore remboursée, mais d’autres motivations, éthiques ou liées à la santé publique, pourraient pousser les autorités de la concurrence à se poser des questions.

« Le vétérinaire ne saurait aliéner sa liberté de prescription… »

Le respect du Code de déontologie par les groupements d’achat de médicaments est une interrogation forte. Puisque les vétérinaires associés au sein de la centrale de référencement se sont engagés à réaliser un certain volume de ventes sur l’année pour obtenir un prix sur le médicament “référencé” par le GIE, ils ont nécessairement dû renoncer à acheter le médicament concurrent “non référencé”. En réduisant leur liberté d’achat, le risque est donc aussi d’aliéner leur liberté de prescription, sauf… à prescrire des médicaments vétérinaires pour les faire délivrer par un pharmacien. Une hypothèse peu probable.

Sans l’être légalement, le vétérinaire est économiquement contraint, en tout cas fortement intéressé à prescrire un médicament plutôt qu’un autre, sur la base de la remise arrière. Cela est contraire au Code de déontologie, qui indique que « le vétérinaire ne saurait aliéner cette liberté vis-à-vis de quiconque » (article R.242-44). C’est l’une des raisons pour lesquelles le SIMV a publiquement demandé à l’Ordre de se prononcer sur ce sujet, de même que sur le projet du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL, voir ci-dessous). L’Ordre n’a toutefois jamais été saisi d’une plainte pour « aliénation de la liberté de prescription », mais seulement de nombreux courriers des industriels qui en soulignent le risque sans en prouver la réalité par des faits.

Une incitation à la surconsommation d’antibiotiques

Autre inquiétude, liée à la santé publique cette fois : l’impact de ces remises sur la consommation de médicaments, particulièrement d’antibiotiques. Par le biais de leurs engagements commerciaux, les praticiens ne seraient-ils pas incités à surprescrire ? Heureusement, rien ne permet de le démontrer actuellement. Mais les médecins continuent d’en douter. Et, pour les antibiotiques au moins, il serait suicidaire de balayer ces critiques d’un revers de main, ou pire de les ignorer.

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