Les effets environnementaux de la production de viande sur la sellette médiatique - La Semaine Vétérinaire n° 1454 du 10/06/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1454 du 10/06/2011

Elevages et société

Formation continue

FILIÈRES

Auteur(s) : Céline Carles

En raison de son impact sur la qualité de l’eau, sur l’utilisation des territoires, sur la biodiversité et la consommation énergétique, la viande, source majeure de gaz à effet de serre, a mauvaise presse.

En 2006, un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) soulignait l’impact de l’élevage sur le réchauffement climatique : 18 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre proviendraient du secteur des productions animales (soit davantage que de celui des transports). Des rapports scientifiques environnementaux tels que celui-ci ont largement alimenté les supports médiatiques et de nombreux articles aux titres percutants ont fait la “une” des informations télévisées (« Quand les vaches pètent, le climat trinque », TF1, le 4 septembre 2007) et des journaux (« Manger moins de viande pour sauver la planète ? », Le Monde).

Cette problématique environnementale, assez récente dans la filière des ruminants en particulier, a été rapidement étoffée par des préoccupations relatives au bien-être animal et par des enjeux nutritionnels, voire éthiques (« Est-il équitable de manger autant de viande au Nord alors que le Sud meurt de faim ? », Le Monde). Réduire la consommation de viande semble représenter une alternative, à l’image du flexitarisme, un nouveau concept qui consiste à manger moins souvent de la viande, mais de meilleure qualité. Dans ce contexte, le végétarisme cherche, lui aussi, à s’imposer, ainsi que l’illustre ce titre du Nouvel Observateur : « Frères humains, devenez végétariens ! »

Les personnes consultées n’associent pas spontanément élevage et environnement

Les médias utilisent des messages assez simplistes, parfois extrêmes (« Manger de la viande tue », Les Inrockuptibles n° 789). Cependant, leur influence sur les tendances sociétales est réelle. En témoignent les résultats d’une étude (février 2009) du Centre d’information des viandes (CIV) sur les prises de paroles des internautes : le thème de la viande associé à l’environnement (18 %) arrive en troisième position, derrière le bien-être animal (29 %) et la nutrition-santé (26 %, voir graphique). L’élevage, la gastronomie et le plaisir culinaire ne sont pas évoqués. De même, selon une enquête réalisée par le CIV en 2007, les Français interrogés considéraient que les productions agricoles qui ont un impact négatif sur l’environnement étaient principalement les grandes cultures (40 %), suivies des élevages porcins (31 %) et bovins (13 %). L’enquête renouvelée en 2010 révèle que l’activité porcine est moins mise en cause (23 %). A l’inverse, l’élevage bovin l’est beaucoup plus (23 %, voir tableau).

Des comparaisons réductrices sèment le trouble

Parfois, les associations environnementales contribuent à véhiculer une image négative de la viande en comparant, par exemple, des quantités (en kilos) de viande et des distances (en kilomètres) parcourus en voiture (Réseau Action Climat). La signification de cette comparaison, qui n’est pas suffisamment explicite (car hors de son contexte scientifique), est loin d’avoir été correctement comprise par le grand public. Ce dernier a ainsi confondu les chiffres du bilan carbone, traduits en émissions de CO2 d’une voiture qui roule, avec les kilomètres parcourus par l’animal de la ferme à l’assiette du consommateur (voir schéma) !

De même, certains messages relatifs à la viande sont transcrits sous forme d’équation volontairement choquante : « En Europe, 1 kg de bœuf = 20 kg de céréales + 20 000 l d’eau + l’équivalent en énergie de plus de 1 l de pétrole » (Le Petit Livre vert pour la Terre, Fondation Nicolas Hulot). Les bovins, en plus d’être des “pollueurs”, sont de mauvaises “machines à transformer” et utilisent une part importante de céréales, qui pourraient être consacrées à l’alimentation d’humains victimes de malnutrition : « Un bœuf offre douze fois moins de repas que les céréales qu’il aura consommées. »

Pourtant les chiffres avancés mériteraient des explications, qui sont rarement fournies au grand public. Les 20 000 l d’eau requis pour la production de 1 kg de viande bovine, par exemple, ne sont pas totalement soustraits au milieu naturel. L’eau “verte” contenue dans les sols, les surfaces de pâturage et de fourrage, et l’eau “grise”, qui sert à diluer les émissions polluantes produites par les élevages, sont comptabilisées. Cependant, les associations sont de plus en plus conscientes de la nécessité d’avoir une vision globale des systèmes d’élevage qui intègre des paramètres environnementaux et des aspects socio-économiques. S’intéresser uniquement aux gaz à effet de serre ou à l’eau utilisée risquerait de déséquilibrer des systèmes, plutôt vertueux, herbagers ou de polyculture-élevage.

La viande, cible indirecte des mesures réglementaires

Avec le Grenelle de l’environnement, certaines mesures qui, a priori, n’étaient pas directement liées à la viande, ont quand même eu des conséquences sur la filière.

A la suite de sa généralisation dans toutes les entreprises, le bilan carbone a été établi dans les collectivités de service. Il en ressort que la restauration collective est l’élément qui pèse le plus lourd en termes d’émission de gaz à effet de serre. Parmi les aliments, la part la plus élevée revient à la viande (1 t de bœuf correspond à 4 680 kg équivalent carbone, versus 82 kg équivalent carbone pour 1 t de blé).

Par ailleurs, l’intégration de 15 % de produits “bio” dans les cantines s’est aussi répercutée sur la viande. Maintenir le tarif des repas suppose effectivement de supprimer ce qui coûte le plus cher, en l’occurrence la viande.

Concernant l’affichage environnemental dans la distribution (étiquetage de l’impact environnemental des produits alimentaires), c’est la viande, rouge en particulier, qui une fois encore comporte les effets les plus néfastes en termes de bilan carbone.

Ne pas comparer ce qui ne peut pas l’être et recadrer la problématique

Dans un contexte aussi défavorable, comment rééquilibrer l’information et rétablir un débat serein sur la problématique de la viande ?

Tout d’abord, il convient de préciser que les médias ne font généralement pas de distinction entre les élevages intensifs (fondés sur la concentration du bétail, les monocultures, les énergies fossiles : machinisme, engrais chimiques, pesticides, etc.) et extensifs (caractérisés par le pastoralisme, les prairies naturelles et le faible chargement en bétail des territoires).? Malgré sa connotation négative auprès de l’opinion publique, l’élevage intensif est paradoxalement le plus efficace en matière environnementale.

Il est en outre difficile de comparer l’élevage bovin au niveau mondial avec, d’un côté de l’échelle, les feedlots américains (parcs d’engraissement intensifs de bovins en Amérique du Nord) et, de l’autre, le pâturage nomade dans le Sahel ! Evoquer l’élevage français à la lumière des chiffres mondiaux n’est pas toujours pertinent.

Par ailleurs, la problématique environnementale liée à la production de viande aborde des sujets variés, pour lesquels les espèces animales et les modes d’élevage sont traités de façon trop indifférenciée. Une confusion existe entre les systèmes de production, et seuls les aspects les plus négatifs de chaque type d’élevage sont retenus (les émissions de méthane et le gaspillage chez les ruminants, les problèmes des algues vertes en hors sol chez les monogastriques).

De plus, réduire la consommation de viande afin de limiter l’impact environnemental n’est pas sans conséquence sur la filière laitière. Cette dernière est rarement associée à la filière viande. Pourtant, la moitié des animaux de boucherie sont des vaches de réforme qui ont produit du lait avant d’être abattues. S’il n’est pas associé à la réduction de consommation de produits lactés, le fait de manger moins de viande n’aurait donc qu’un effet partiel sur l’émission de gaz à effet de serre.

Les prairies permanentes comportent des effets positifs sur l’environnement

Il importe également de préciser que le taux (18 %) d’émissions mondiales de gaz à effet de serre qui proviennent du secteur des productions animales, avancé par la FAO, englobe l’ensemble du cycle de production de viande. Celui-ci inclut la déforestation, la production et le transport d’engrais, la consommation d’énergie, et les rejets de gaz par les ovins et les bovins. Le rôle de la prairie permanente et sa capacité de stockage du carbone ne sont pas évoqués ici. Or l’herbe, grâce à la photosynthèse, capte du carbone, qui est emmagasiné durablement dans le sol et compense ainsi les émissions de l’élevage ruminant. Les prairies stockeraient ainsi autant de carbone que les forêts.

Les rapports environnementaux pointent également les grandes étendues de terre requises par l’élevage : les trois quarts des surfaces agricoles y sont consacrées. Pourtant, 75 % d’entre elles sont des parcours et des pâturages non labourables et ne peuvent être valorisées que par des ruminants. La compétition pour les terrains est donc à nuancer. Les prairies permanentes, quant à elles, constituent des réservoirs de biodiversité et sont essentielles à l’équilibre écologique des territoires. L’herbe, présente toute l’année sur le sol, et les haies limitent l’érosion et filtrent les eaux susceptibles d’être polluées.

Plusieurs éléments modèrent donc les données établies par les rapports scientifiques, dont la transcription par les médias est à lire avec prudence. Une vision globale de l’élevage, tel qu’il est pratiqué en France, permettrait de mieux cibler les progrès à réaliser.

CONFÉRENCIÈRE

Caroline Guinot, chef de projet environnement au Centre d’information des viandes.

Article rédigé d’après la conférence « La filière viande dans l’œil du cyclone », présentée lors du colloque de l’INP-Ensat sur les controverses de l’élevage, à Toulouse, en février 2011.

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