« La profession se voit contrainte de faire des concessions » - La Semaine Vétérinaire n° 1452 du 27/05/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1452 du 27/05/2011

Entretien. Cinq questions à Jean-Yves Gauchot, président de l’Avef

Actualité

Auteur(s) : Marine Neveux

Les confrères, dont ceux qui exercent en équine, font actuellement l’objet de vives attaques de la part de personnes qui s’arrogent certaines prérogatives de l’exercice vétérinaire.

La Semaine Vétérinaire : L’ordonnance du 20 janvier 2011 a mis le feu à la poudrière, plusieurs personnes de la filière équine souhaitant étendre la dérogation d’actes à la dentisterie, à l’ostéopathie et à la reproduction. Le décret d’application, en cours de rédaction, envisage cette dérogation à des non-vétérinaires pour la dentisterie et l’ostéopathie, mais n’est-il pas périlleux aujourd’hui, en termes de bien-être animal et de qualité des soins, d’ouvrir cette boîte de Pandore à des “laïcs” ?

Jean-Yves Gauchot : L’ordonnance du 20 janvier dernier a été décriée dans la presse professionnelle équine parce qu’elle définit plus précisément l’acte vétérinaire. Les discussions actuelles portent sur les arrêtés d’application concernant les actes dérogatoires accessibles aux propriétaires et aux détenteurs d’équidés professionnels, ainsi que sur des rectifications de la loi. Sous la pression conjointe du ministère, des associations d’ostéopathes et de dentistes (qui ont habilement déposé un recours en Conseil d’Etat), la profession vétérinaire s’est vue contrainte de faire des concessions.

Quant à ouvrir la boîte de Pandore, c’est une question de poids politique et de représentativité. Pour la dentisterie, la filière équine ne soutenait pas notre position. Depuis des décennies, des non-vétérinaires occupent déjà le terrain. La jurisprudence est fragile. En outre, les risques encourus en regard du recours en Conseil d’Etat, voire de recours juridiques ultérieurs, ne nous ont guère laissé le choix.

Ainsi, ces “laïcs” seront désormais dénommés des techniciens dentaires et devront convenir avec un vétérinaire des conditions de leurs interventions… La réflexion sur l’élaboration d’une telle convention reste à mener avec tous les intervenants, et les confrères auront un rôle de communication clé à jouer. Nous les aiderons en ce sens.

Les organismes de formation tels que l’Association vétérinaire équine française (Avef), la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV), les quatre écoles, avec l’aide de Pierre Chuit, ont largement participé à rendre compétent les confrères, que ce soit via la formation continue ou par la formation initiale dans les ENV. Si la loi définit les conditions d’exercice, les décrets d’application (qui mettront quelques mois à sortir) devront préciser le niveau de référentiel et de qualification des dentistes. L’enseignement, sous l’égide des ENV et de la Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER), permettra en outre de remettre un peu de science dans ces actes de routine en dentisterie équine. En effet, s’il est absolument nécessaire de faire réaliser régulièrement un examen complet de la bouche par un vétérinaire, pratiquer à tout va du nivellement dentaire sur les pointes d’émail n’a jamais été prouvé scientifiquement comme bénéfique pour la santé par les experts de la discipline (dans la pyramide de l’evidence based medicine, la dentisterie équine est encore au niveau de l’expertise).

La S. V. : Les vétérinaires équins qui pratiquent l’ostéopathie s’inquiètent aussi de voir cette voie s’ouvrir à des “laïcs”, avec les conséquences parfois dramatiques déjà observées si la technique est mal pratiquée ou inadaptée au contexte médical de l’animal. Quelle est votre position ?

J.-Y. G. : Il est vrai que la profession s’est mobilisée, depuis de nombreuses années, pour que les vétérinaires accèdent à la pratique de l’ostéopathie, notamment par le diplôme interécoles. L’évolution actuelle est regrettable, mais l’antériorité de la loi Kouchner en médecine humaine et le recours en Conseil d’Etat ne nous ont pas non plus laissé le choix. Il se peut que le droit de pratiquer l’ostéopathie animale par des ostéopathes non vétérinaires nous soit imposé, c’est-à-dire un espace dérogatoire à l’ostéopathie animale dans sa totalité, sous réserve d’une formation, validée par la DGER, et que les décrets établiront. En outre, les ostéopathes non vétérinaires devront se déclarer auprès des conseils régionaux ordinaux (CRO), qui auront à cœur de dénoncer en justice ceux qui ne rempliront pas les conditions requises par la loi.

La S. V. : La gynécologie équine fait également l’objet de convoitises dans la filière. Au final, avez-vous l’impression que la profession vétérinaire a fait beaucoup de concessions, mais sans prise en compte de ses arguments, pourtant essentiels en termes de santé publique et d’acte vétérinaire ?

J.-Y. G. : Quelques rares, mais néanmoins gros haras font du lobbying pour obtenir une dérogation des actes de gynécologie équine pour les propriétaires et les détenteurs professionnels, comme c’est le cas en gynécologie bovine. La profession ne lâchera pas sur ce point, persuadée qu’une telle dérogation irait à l’encontre de l’intérêt général, tant d’un point de vue technique, pour conserver un niveau élevé de fécondité, que sur les aspects de bien-être animal, de législation du médicament, de certification/garantie sanitaire, notamment à l’export de la filière.

En termes de bien-être animal, la lacération rectale, bien que peu fréquente, est d’issue fatale, et la gestion des jeunes juments à la barre nécessite souvent une tranquillisation.

Au niveau de la médication, il n’y a pas de gynécologie équine sans hormones et leur utilisation doit être plus que cadrée, notamment pour les progestatifs. De même, la gynécologie équine et la gestion des endométrites se trouvent au carrefour de la prescription d’antibiotiques, qui doit être raisonnée dans un schéma de réflexion sur l’antibiorésistance.

Côté fertilité, un vétérinaire derrière chaque échographe pour le suivi gynécologique et les constats de gestation, c’est la garantie d’une réaction rapide et compétente si un problème est décelé. Comme la période annuelle de reproduction est saisonnière et courte chez les équidés, chaque jour perdu à établir un diagnostic sur la cause d’une infertilité a un impact sur la performance économique des élevages.

Le vétérinaire équin gynécologue est en outre le garant de l’exportation des produits nationaux. Or l’export de la production et de la semence françaises, tout comme le déplacement fréquent des poulinières, passent par des garanties sanitaires qui ne sont possibles que si le cheptel français est surveillé et certifié. Cette certification implique une présence au quotidien du vétérinaire dans les élevages. Les conditions du suivi gynécologique échographique sont l’outil indispensable au service de cette veille, afin de garantir une détection précoce de problèmes sanitaires de la reproduction. A ce titre, la métrite contagieuse, il y a une vingtaine d’années, a constitué un frein à l’export pour la filière des courses. La présence sur le terrain du réseau vétérinaire a permis, à l’époque, par sa mobilisation immédiate, de stabiliser la situation et de relancer les échanges.

De plus, dans les conditions de la concurrence internationale, l’utilisation abusive de l’argument sanitaire a souvent servi à entraver les mouvements internationaux. La meilleure réponse, dans ce contexte de concurrence mondiale, est le Réseau d’épidémiosurveillance en pathologie équine (Respe). Ses vétérinaires sentinelles bénévoles participent au recueil des informations épidémiologiques et ils ne peuvent être efficaces que s’ils sont réellement sur le terrain, notamment via leurs activités de gynécologie.

Dans la filière équine, à l’inverse de la bovine où les prophylaxies obligatoires sont récurrentes, c’est en effet le suivi gynécologique des juments qui permet ce contrôle sanitaire vétérinaire en élevage, lequel est alors réalisé dans un cadre libéral. Si ce suivi devenait accessible à des propriétaires ou à des détenteurs professionnels par une modification du Code rural, la traçabilité sanitaire, qui lui est étroitement liée, ne serait plus assurée efficacement. Cela ferait courir le risque d’un dépistage trop tardif des affections contagieuses, dont certaines ne sont que des maladies à déclaration obligatoire (MDO), voire sans statut réglementaire, mais non sans incidence économique.

Le modèle de fonctionnement (propriétaires et détenteurs professionnels) n’est pas le même dans la filière bovine. En équine, le détenteur détient un nombre non négligeable d’équidés, dont il n’est pas le propriétaire. Faire accéder ces détenteurs professionnels à des actes dérogatoires de suivi gynécologique ne serait donc pas sans conséquence sur le statut sanitaire du cheptel équin français, avec toutes les répercussions économiques que cela engendrerait. Avec une telle ouverture dérogatoire concernant la gynécologie équine, les pays anglo-saxons y verraient une régression sur le plan sanitaire, ce qui constituerait inévitablement une entrave aux échanges internationaux.

La S. V. : N’est-ce pas la fin de notre profession à terme ?

J.-Y. G. : Toutes ces raisons font que nous ne céderons pas sur le suivi gynécologique au sein de la filière équine. Le maillage territorial, qui permet d’assurer la surveillance sanitaire des cheptels français, passe par la présence sur le terrain de vétérinaires, dont beaucoup ont des activités mixtes et qui ne survivraient pas à l’amputation d’une partie de leurs domaines d’activité. Ainsi, la mise en place d’une dérogation concernant la gynécologie, outre les inconvénients majeurs déjà cités pour la filière équine, risquerait d’entraîner la disparition de ces cabinets, ce qui provoquerait un grave préjudice à la surveillance du cheptel bovin français et, plus encore, à la santé publique.

Si de telles menaces persistent aujourd’hui ou demain sur la dérogation de la gynécologie équine en médecine vétérinaire, l’Avef retirera sa participation du Respe, ce réseau de vétérinaires sentinelles bénévoles qui, avec l’aide de collectivités territoriales, de l’ensemble des acteurs socioprofessionnels et de scientifiques de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), participent à la surveillance épidémiologique de la filière.

Les responsables de la filière équine doivent, dès aujourd’hui, se positionner : souhaitent-ils voir l’hégémonie de quelques gros haras professionnels sans vétérinaire, ou une diversité d’élevages avec des vétérinaires compétents, garants d’une qualité sanitaire et technique D’autant que c’est par le maintien d’un réseau de vétérinaires de proximité que ceux-ci pourront assurer la continuité des soins, que ce soit pour gérer une crise sanitaire ou une colique.

La S. V. : Pourquoi les auxiliaires ne pourraient-ils pas effectuer des actes que des “laïcs”, formés sans contrôle vétérinaire, auront le droit de réaliser ?

J.-Y. G. : Selon le point 7 de l’article L.243-3 de l’ordonnance du 20 janvier 2011, les techniciens salariés d’un vétérinaire pourront accomplir des actes à finalités zootechniques. Là encore, les décrets devront préciser les choses, mais nos auxiliaires pourront entrer dans ce cadre.

La position de Richard Corde, vice-président de l’Avef

Il n’est pas question de renoncer à l’ostéopathie animale. Les médecins sont loin d’être satisfaits de la loi Kouchner et l’Europe n’a pas, à ma connaissance, reconnu ce statut. Nous ferions un premier pas qui mettrait la profession vétérinaire européenne dans une situation périlleuse.

Pourquoi reconnaître une nouvelle profession non vétérinaire, alors que nous avons créé l’ostéopathie animale avec, au début de cette activité, beaucoup de réticences de la part de nos pairs, puis la création d’un diplôme d’école, tout cela pour la lâcher à quelques centaines de “bobologues” qui n’y voient qu’un intérêt économique de terrain et de formation ?

Il faut se mobiliser et épauler nos confrères ostéopathes, sans croire à ce marché de dupes.

Si nous lâchons cela, il faut s’attendre à une réaction violente et légitime de nos confrères, mais aussi à un futur démantèlement de notre activité : demain, pourquoi pas l’imagerie, la phytothérapie, l’acupuncture, etc. ?

Je suis pour une mobilisation de toute la profession, pour la sauvegarde de nos diplômes et la reconnaissance de notre maîtrise, au même titre que pour la gynécologie.

Richard Corde
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