A trop prescrire, le vétérinaire pénaliserait sa rémunération - La Semaine Vétérinaire n° 1452 du 27/05/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1452 du 27/05/2011

Conflit d’intérêts. Le président de l’Ordre en réponse à l’AFP

Actualité

Auteur(s) : Eric Vandaële

« Le conflit d’intérêts apparent est bien neutralisé » chez les vétérinaires qui, à la fois, prescrivent et délivrent le médicament, rassure Michel Baussier.

Vendredi 20 mai 2011, 12 h 39. Branle-bas de combat dans le microcosme vétérinaire. Une dépêche de l’Agence France presse titre : « L’Ordre des vétérinaires revendique un tarif unique pour les antibiotiques. » L’AFP y rapporte des propos de notre confrère Michel Baussier sur le « conflit d’intérêts objectif du vétérinaire, à la fois prescripteur de médicament et dispensateur », et sa volonté d’un « encadrement autoritaire et arbitraire des marges ». Le président du Conseil supérieur de l’Ordre tient à corriger « ces idées à l’emporte-pièce à l’opposé des propos très nuancés [qu’il a] tenus » à l’AFP.

La Semaine Vétérinaire : Le conflit d’intérêts du vétérinaire qui, à la fois, prescrit les médicaments et les revend avec un bénéfice, est depuis toujours dénoncé par les pharmaciens. Ces derniers souhaitent que les vétérinaires se limitent à prescrire sans délivrer. C’est une « tarte à la crème », disiez-vous à la fin de l’an dernier. Comment neutraliser ce conflit d’intérêts ?

Michel Baussier : Comme je l’ai déjà dit, il est de fait neutralisé. Une autorégulation, naturelle et économique si je puis dire, puissamment efficace, existe. Le praticien fournit à son client une prestation complète, comportant acte et médicaments, dans un tout indissociable. Le contrat est bipartite, le client est directement payeur. La concurrence joue entre les prescripteurs. Elle joue aussi entre les distributeurs au détail qui, dans le domaine vétérinaire, loin d’être en situation de monopole pur, sont au nombre de trois. Mais surtout, le coût acceptable de ce tout indissociable que j’évoquais à l’instant, faute d’être extensible à l’infini, s’impose au propriétaire de l’animal comme au vétérinaire.

Ainsi, si le vétérinaire prescrivait trop, voire abusivement, il le ferait au détriment de la rémunération de ses actes et se pénaliserait donc. Le système est autorégulé, le conflit d’intérêts apparent est bien neutralisé, ce qui est important.

Un autre élément fort de neutralisation est institutionnel : il réside dans le fait que la profession de vétérinaire est réglementée et tenue au respect d’un Code de déontologie opposable, lequel détermine les règles de prescription des médicaments. Dans ce domaine, l’Ordre a bien peu à intervenir, car dans leur immense majorité, les confrères sont des personnes éprises d’éthique professionnelle, compétentes et consciencieuses. D’une façon générale, les conflits d’intérêts sont inhérents à certaines professions et c’est la raison principale de leur réglementation ! En ce qui nous concerne, un fort conflit d’intérêts est lié au mandat sanitaire. C’est pourtant bien dans ce cadre, qui a largement fait ses preuves – au point que certains pays ou certaines autres professions nous l’envient et examinent les conditions de sa mise en place – que nous avons éradiqué des fléaux sanitaires majeurs, avec efficacité et à moindre coût pour le pays.

Vous évoquez une dénonciation provenant des pharmaciens. Les médecins de l’animal que nous sommes, d’abord prescripteurs et secondairement distributeurs, délivrant et donc vendant des médicaments dans le prolongement de nos actes, nous connaissons un cheminement strictement inverse à celui des pharmaciens. De dispensateurs du médicament, ces derniers en deviennent progressivement prescripteurs, ne serait-ce déjà qu’à travers la prérogative de substitution, mais aussi et surtout depuis les possibilités qui leur sont offertes par la loi « hôpital, patients, santé et territoires »

La S. V. : Selon l’AFP, vous souhaitez « au moins un encadrement autoritaire et arbitraire des marges » et la correction sévère de certaines « pratiques entre les firmes pharmaceutiques et les vétérinaires ». Quelles pratiques visez-vous ?

M. B. : Je n’ai fait que transcrire la clameur et la demande de la multitude de confrères qui veulent vivre décemment de l’exercice de leur métier, y compris de la vente du médicament qu’ils sont, avec raison, autorisés à délivrer. L’arrivée des génériques, la compétition entre les laboratoires pharmaceutiques de moins en moins nombreux, la concurrence accrue entre confrères et entre les vétérinaires et les autres ayants droit, la fin de la loi Galland, les lois Dutreil et la loi de modernisation de l’économie font que les marges arrière s’emballent, jusqu’à poser la question de la signification du prix du médicament. Cette dérégulation interroge l’Ordre dans un domaine qui touche directement la santé publique. Il n’y a pas d’acteurs immoraux, il y a des pratiques qui contribuent à jeter la suspicion sur leur moralité, ce qui n’est plus acceptable. Une analyse plus fine, filière par filière, est souhaitable avant d’engager la profession vétérinaire dans telle ou telle voie. Une étude d’impact préalable est indispensable.

La S. V. : Pour les antibiotiques, l’AFP indique que vous souhaiteriez promouvoir « un prix unique à la vente », sans doute en relation avec l’objectif de réduction de 25 % en cinq ans voulu par le ministre de l’Agriculture. Quels sont vos arguments pour proposer une telle mesure, qui irait à l’encontre de la libre concurrence, érigée jusque-là en sacro-saint principe fondateur de l’Union européenne ?

M. B. : L’AFP a même titré là-dessus ! Il n’est évidemment pas dans les missions directes de l’Ordre de promouvoir un prix unique à la vente. Par ailleurs, l’objectif de 25 % de réduction des prescriptions d’antibiotiques, décidé par le ministre, n’a rien à voir avec la question du prix unique. Cet objectif n’aurait pas besoin de cinqans pour être atteint si l’on prenait simplement la peine d’aborder la question de l’antibioprévention !

Pour en revenir au prix unique, dès lors que nous vivons en l’absence de censure, il n’est pas interdit de réfléchir tout haut et de demander à nos administrations de tutelle de reconsidérer, sous un autre angle, cette question déjà abordée en 2003, sous le seul aspect du prix d’achat par les ayants droit. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), en des temps où la crise financière n’était pas passée par là et où la doctrine en vigueur était proche de l’ultralibéralisme, avait conclu au mal-fondé de la proposition. J’ai simplement dit que, s’agissant de la lutte contre l’antibiorésistance, et à l’inverse de solutions radicales mal évaluées envisagées par certains Etats, il n’était peut-être pas interdit de reconsidérer la question sous l’angle du prix de vente public, pour les seuls anti-infectieux. La justification de l’exception à la règle commerciale libérale est la raison impérieuse d’intérêt général que représente la santé publique, quand il s’agit de préserver le bien mondial que constituent les antibiotiques. Il est bien entendu qu’il s’agit ici de mesures économiques qui ne sauraient constituer l’essentiel des dispositions envisagées dans le cadre du plan national de lutte contre l’antibiorésistance.

LA DÉPÊCHE LITIGIEUSE DE L’AFP

L’Ordre des vétérinaires revendique un tarif unique pour les antibiotiques

AFP Paris. 12 h 39 – L’Ordre des vétérinaires, qui multiplie les actions pour une utilisation raisonnée et contrôlée des antibiotiques, veut agir sur les prescripteurs en revendiquant un tarif unique pour les antibiotiques administrés aux animaux domestiques et d’élevage. « Pour un meilleur encadrement des relations commerciales, nous voulons un prix unique des antibiotiques à la vente », a indiqué à l’AFP Michel Baussier, président du Conseil supérieur de l’Ordre des vétérinaires, déterminé dans la lutte contre l’antibiorésistance.

« Lors de la prochaine réunion de la Fédération vétérinaire européenne du 9 juin à Palerme, nous demanderons, à défaut d’obtenir gain de cause, au moins un encadrement autoritaire et arbitraire des marges », a-t-il précisé. L’Ordre des vétérinaires souhaite donc qu’un certain nombre de pratiques qui se sont développées entre les firmes pharmaceutiques et les vétérinaires soient corrigées sévèrement.

« Comme le vétérinaire est à la fois prescripteur de médicament et dispensateur, à l’heure où l’on met le projecteur sur les conflits d’intérêts, il va de soi qu’objectivement, il s’agit bien d’un conflit d’intérêts », a estimé M. Baussier. Le numéro de mai du Press Contact News de l’Ordre national des vétérinaires rappelle que la France est le deuxième pays utilisateur d’antibiotiques vétérinaires de l’Union européenne, après l’Allemagne.

En médecine vétérinaire, la consommation d’antibiotiques représente en France 16,5 % des ventes de médicaments (131 millions d’euros pour les antibiotiques) contre 3,1 % en médecine humaine (620 millions).

LE COURRIEL DU SNVEL

Pierre Buisson, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), a réagi à la dépêche de l’AFP dans un courriel dont La Semaine Vétérinaire a eu une copie.

« Ce communiqué de l’AFP est calamiteux. Nos détracteurs retiendront : le président de l’Ordre des vétérinaires dit que les vétérinaires sont en conflit d’intérêts sur la prescription d’antibiotiques et que l’antibiorésistance sera résolue par un traitement économique…

Le prix unique est un vieux fantasme qui germe sans cesse comme une pierre philosophale rédemptrice de tous nos maux. Il n’est pas euro-compatible. Le seul produit dont le prix est fixe est le livre et il n’est pas certain que cela perdure. Il en va de même des lubies de taxe sur les antibiotiques et autres fredaines de la FNSEA.

L’Etat dispose de tous les moyens nécessaires à la restriction éventuelle de l’usage de certains antibiotiques (interdiction, réserve hospitalière, usage restreint comme pour le clenbutérol). Au lieu de quoi, il a autorisé la mise sur le marché des génériques, dont le seul intérêt est de diminuer le prix de l’antibiotique. Alors que seul un antibiotique plus cher que les mesures d’hygiène ou de prévention permettrait une baisse de la consommation.

Ce communiqué va aussi accréditer, chez nos confrères, l’idée d’un Ordre s’immisçant dans l’économie, en contradiction avec les éléments de communication de la nouvelle équipe ordinale. »

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