Un abcès mandibulaire n’a pas toujours pour origine la racine dentaire - La Semaine Vétérinaire n° 1446 du 15/04/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1446 du 15/04/2011

Dentisterie du lapin

Formation continue

NAC

Auteur(s) : Emilie Jolivet*, Emmanuel Risi**, Daphné Rochel***

Fonctions :
*praticien au centre hospitalier vétérinaire Atlantia à Nantes (Loire-Atlantique)
**praticien au centre hospitalier vétérinaire Atlantia à Nantes (Loire-Atlantique)
***praticien au centre hospitalier vétérinaire Atlantia à Nantes (Loire-Atlantique)

La mauvaise position d’une molaire entraîne parfois une lésion de la joue. Une antibiothérapie d’un mois suit le traitement chirurgical.

Une lapine de six ans est reçue en consultation pour un abcès dentaire. Elle présente une masse de 3 cm de diamètre en regard de la mandibule droite, au niveau de l’espace interdentaire et de la première prémolaire. Son état général est bon, son appétit et son transit sont normaux.

L’examen de la cavité buccale à l’otoscope révèle la présence de pus au niveau de l’arcade dentaire inférieure droite. L’abcès semble concerner la première prémolaire et l’incisive inférieures droites. Un traitement chirurgical est proposé, sans examen d’imagerie préalable (pour des raisons financières). Après une prémédication avec du butorphanol (Dolorex®, 0,5 mg/kg par voie sous-cutanée, dix minutes avant l’induction) et de la dexmédétomidine (Dexdomitor®, 150 µg/kg par voie intramusculaire, dix minutes avant l’induction), l’anesthésie est induite avec de la kétamine (Imalgène®, 10 mg/kg par voie intramusculaire). Un cathéter est placé sur la veine saphène externe et l’animal est perfusé pendant l’intervention. La lapine est ensuite intubée et l’anesthésie maintenue par voie volatile avec un mélange d’oxygène et d’isoflurane. La zone mandibulaire droite est tondue, puis préparée chirurgicalement. L’anesthésie est contrôlée au moyen d’un détecteur d’apnée et d’un électrocardiogramme.

L’abcès a pour origine la couronne dentaire et non la racine

L’abcès est disséqué en masse jusqu’à l’os mandibulaire, qui apparaît intact. Une fistule traverse la joue et rejoint la cavité buccale. Contrairement à toute attente, elle n’a pas pour origine une racine, mais la couronne dentaire de la dernière molaire droite. En effet, cette dernière présente une croissance anormale, déviée cranio-latéralement. Cette dent a percé la joue et la gencive depuis la cavité buccale vers l’extérieur. Elle est à l’origine de la lésion observée contre la mandibule et la joue. La molaire, toujours fixée dans son alvéole, est extraite à l’aide d’un syndesmotome de Crossley, à travers l’orifice formé dans la joue. La plaie est rincée, puis la paroi buccale est suturée en deux plans (muqueuse jugale et peau), à l’aide d’un fil monofilament résorbable (Maxon® 4.0).

L’antibiothérapie postopératoire s’étend sur un mois au minimum

En fin d’intervention, une antibiothérapie à base de pénicillineG longue action (Duplocilline®, 40 000 UI/kg par voie intramusculaire tous les cinq jours, trois fois) et d’enrofloxacine (Baytril®, 10 mg/kg par voie intramusculaire, puis per os matin et soir pendant un mois) est administrée. L’animal reçoit également de la buprénorphine (Vétergésic®, 0,05 mg/kg par voie sous-cutanée, deux fois par jour pendant quarante-huit heures) et un anti-inflammatoire non stéroïdien (méloxicam, Metacam®, 0,3 mg/kg par voie orale, une fois par jour pendant cinq jours). Il est gavé à l’aide d’un aliment spécifique (Oxbow Critical Care®) jusqu’à la reprise d’une alimentation spontanée en quantité suffisante.

Le lendemain, l’exploration de la cavité buccale sous anesthésie générale met en évidence des signes de malocclusion identiques du côté gauche, passés inaperçus à l’otoscope sur l’animal vigile. Les deux dernières molaires inférieures gauches sont déviées cranio-latéralement et commencent à blesser la joue gauche. Elles sont coupées avec une pince coupante pour molaires. Dix jours après l’intervention, la lapine est examinée pour un contrôle. La présence d’une fistule au niveau de la joue droite opérée, qui communique avec la cavité buccale, est observée. Un deuxième acte chirurgical est donc pratiqué. La plaie est débridée et la muqueuse labiale est fermée avec un point intrabuccal. Afin de ne pas provoquer de tensions cutanées excessives et de douleur à la mastication, la peau n’est que partiellement suturée afin de la laisser cicatriser par seconde intention. Des soins locaux, qui comportent un nettoyage quotidien à la chlorhexidine suivi d’une application de miel, sont effectués jusqu’à la cicatrisation complète de la plaie. L’antibiothérapie se prolonge à l’aide d’enrofloxacine et de pénicilline G.

Dix jours après la seconde intervention chirurgicale, la fistule n’est pas réapparue et la cicatrisation cutanée est quasi complète. Les soins locaux se poursuivent. Quinze jours plus tard (soit quarante jours après la première intervention), la plaie est totalement guérie. L’examen général est bon, l’appétit normal et le poids stable. Les deux dernières molaires inférieures gauches ne nécessitent pas encore de nivellement dentaire. Un contrôle est prévu deux mois plus tard afin d’évaluer leur croissance.

Une malocclusion des molaires inférieures s’oriente généralement vers la langue

Les malocclusions dentaires chez le lapin ont différentes causes. Ces dernières sont le plus souvent congénitales (mauvais alignement latéral des dents ou prognathisme mandibulaire). Dans ce dernier cas, l’élongation des incisives, qui ne s’affrontent pas, empêche une occlusion normale et une mastication correcte au niveau des dents jugales. La malocclusion est aggravée ou acquise par une alimentation trop pauvre en fibres. Dans toutes ces situations, une croissance excessive des dents jugales, avec des spicules qui se dirigent vers la langue au niveau des molaires inférieures et vers les joues au niveau des molaires supérieures, à l’origine de plaies dans la cavité buccale, est notée. Dans la majorité des cas, les abcès dentaires observés consistent en des infections périapicales, qui incluent une ou plusieurs racines dentaires. L’os mandibulaire ou maxillaire environnant présente alors des signes d’ostéomyélite, d’ostéite ou de fractures. Dans le cas de cette lapine, la malocclusion des molaires inférieures est atypique puisque leur croissance excessive ne s’oriente pas vers la langue, mais vers la joue et en direction craniale. L’abcès observé n’est donc pas périapical mais cutané, et lié au développement d’une fistule jugale. L’os mandibulaire était dans ce cas conservé et non infecté.

L’examen de la cavité buccale à l’otoscope offre un bon aperçu des problèmes éventuellement présents. Néanmois, seul l’examen dentaire sous anesthésie générale permet d’avoir une vue complète de la cavité buccale et de chacune des dents.

L’utilisation de la radiographie ou du scanner aurait permis d’établir le diagnostic de malocclusion et de fistule cutanée, et non pas d’abcès périapical. Toutefois, l’approche chirurgicale aurait été identique. La gestion des malocclusions dentaires repose sur des contrôles et des limages dentaires réguliers, ainsi que sur une détection précoce des animaux atteints et la prescription d’une alimentation riche en fibres.

  • • F. Harcourt-Brown : « Dental disease », in Textbook of rabbit medicine, 2002, Butterworth Heinemann, Edinburgh, pp. 165-205.
  • • L.F.J. Legendre : « Malocclusions in guinea pigs, chinchillas and rabbits », Can. Vet. J., 2002, vol. 43, pp. 385-390.
  • • P.C. Molan : « The role of honey in the management of wounds », Journal of Wound care, 1999, vol. 8, n° 8, pp. 415-418.

Face à un abcès dentaire de lapin

• Evaluation de l’état général et bilan des affections secondaires

L’abcès dentaire est aisé à diagnostiquer. Il convient néanmoins de ne pas négliger certaines affections concomitantes ou secondaires. Ce bilan s’oriente vers la recherche d’une dacryocystite, d’une dermatite du menton (par hypersalivation), d’une rhinite, d’une broncho-pneumonie (par inhalation de pus), de l’accumulation de selles moles ou de diarrhées (par défaut de cæcotrophie et dysbactériose), d’un amaigrissement, d’une déshydratation. En cas d’abcès orbitaires, une kératite d’exposition, un ulcère cornéen ou une dacryocystite sont à rechercher.

• Evaluation de l’abcès dentaire

L’examen de l’abcès est ensuite entrepris : taille et consistance, fractures sous-jacentes, relations avec les racines dentaires et corticales osseuses. La radiographie ou le scanner de la mâchoire permettent d’évaluer au mieux l’extension des lésions aux tissus environnants.

• Traitement médical et chirurgical

La réhydratation, la réalimentation forcée et la gestion de la douleur sont les points clés du traitement de soutien avant la chirurgie. L’antibiothérapie doit aussi être entreprise rapidement.

• Gestion de la période postopératoire

Les traitements postopératoires sont cruciaux dans la gestion de l’abcès dentaire du lapin. La douleur, l’infection et la réalimentation sont à prendre en charge dès le réveil et pendant toute l’hospitalisation. L’antibiothérapie se poursuit pendant un mois après la dernière intervention chirurgicale.

E. J., E. R., D. R.
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