LES PONTS ENTRE LES MÉDECINES HUMAINE ET VÉTÉRINAIRE SE MULTIPLIENT - La Semaine Vétérinaire n° 1444 du 01/04/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1444 du 01/04/2011

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Auteur(s) : Valentine Chamard*, Marie Sigaud**

Plus de 70 % des maladies émergentes sont des zoonoses. Sujet de préoccupation majeur pour l’ensemble des pays du globe en raison de leur retentissement sur la santé publique et l’économie, elles occupent une place prépondérante dans les missions des vétérinaires, bien formés sur ces maladies durant leur cursus, contrairement aux médecins. La collaboration entre les deux médecines est prônée par les institutions.

Sida,encéphalopathiespongiforme bovine, syndrome respiratoire aigu sévère, grippe à H5N1 : quatre maladies pour quatre crises sanitaires qui ont cristallisé les peurs, avec des conséquences économiques majeures. Leur point commun ? Toutes sont d’origine animale(1). « Des leçons peuvent être tirées de ces crises », estime notre confrère Charles Pilet, membre des académies vétérinaire et de médecine(2). Selon lui, le clivage entre les deux médecines, animale et humaine, est regrettable. Il faudrait y remédier pour limiter les futures crises sanitaires qui pourraient, elles aussi, être d’origine animale, puisque « plus de 60 % des agents pathogènes qui touchent l’homme sont zoonotiques », comme le martèle Bernard Vallat, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE).

Des médecins peu sensibilisés aux zoonoses durant leurs études

« Les zoonoses sont le parent pauvre de l’enseignement médical », constate Faïza Ajana, infectiologue au centre hospitalier de Tourcoing. Ce que confirme notre consœur Laëtitia Canini dans sa thèse(3), après avoir mené une étude auprès d’étudiants vétérinaires et en médecine en fin de cursus. Elle montre que les premiers ont une meilleure connaissance des zoonoses que les seconds. S’il est difficile de connaître le contenu des cours des facultés de médecine, chacune élaborant le sien, il est possible d’en avoir une idée en consultant le programme de l’examen national d’entrée à l’internat. Peu de maladies zoonotiques à transmission non alimentaire sont incluses dans les connaissances requises. Nulle trace de leptospirose, d’échinococcose, de psittacose, de tularémie et autre leishmaniose, pour ne citer qu’elles. « Du coup, peu de médecins s’y intéressent. Ils pensent que ce sont des maladies exotiques, que cela ne les concerne pas, que c’est compliqué, et ils se disent que s’ils en rencontrent, ils pourront référer les cas vers des centres hospitaliers universitaires », poursuit Faïza Ajana.

Charles Pilet regrette que les deux médecines « s’ignorent » et milite pour le rapprochement entre les études médicales humaines et vétérinaires, ce qui « permettrait d’être plus attentif et réactif face aux épidémies ». Il propose notamment une année préparatoire commune.

A titre de comparaison, à l’issue de leur formation, les vétérinaires doivent connaître les principales zoonoses, être en mesure d’en estimer le risque selon le contexte, et pouvoir communiquer sur ce risque avec divers interlocuteurs, notamment les médecins dont leurs clients sont les patients, dans le cadre de leur mission de santé publique. Le volume horaire accordé à cette thématique est important. « Il a même doublé depuis le nouveau cursus », confirme notre consœur Nadia Haddad Hoang-Xuan, enseignante au service des maladies contagieuses de l’ENV d’Alfort, et atteint une vingtaine d’heures, auxquelles s’ajoute un nouveau module optionnel sur la faune sauvage (organisé par notre confrère Pascal Arné) qui accorde une part significative aux zoonoses.

Des formations postuniversitaires existent (voir encadré), mais mériteraient d’être plus investies, selon Charles Pilet.

Les vétérinaires régulièrement sollicités par des médecins

Pour les dermatologues, infectiologues, internistes et autres pédiatres, les vétérinaires sont un appui, « même si tous n’ont pas conscience qu’ils peuvent trouver des réponses auprès d’eux, souligne Nadia Haddad Hoang-Xuan. Ceux qui le font ont du mérite, compte tenu de leur manque de sensibilisation sur les bancs de la faculté ».

Certains sont tout de même dans une relation d’échanges. « Lors d’infections récidivantes malgré le traitement, si le patient possède un animal, je demande à ce que ce dernier soit examiné par un vétérinaire. C’est particulièrement vrai lors d’infections cutanées fongiques ou staphylococciques, ou encore d’ulcères chez les personnes diabétiques. Cette piste se révèle souvent la bonne pour expliquer les rechutes. Les vétérinaires nous aident à établir un diagnostic étiologique », témoigne Faïza Ajana. Même constat pour Béatrice Quinet, pédiatre, qui souligne les risques de détenir des animaux exotiques en présence de jeunes enfants, et sur l’importance de travailler en collaboration avec un vétérinaire référent(4). « Les risques liés aux animaux font désormais partie de l’éducation à la santé dispensée par les infirmières des services d’infectiologie », indique Faïza Ajana. « Attention toutefois à ne pas prendre la place des médecins », prévient Nadia Haddad Hoang-Xuan, qui insiste auprès des étudiants pour qu’ils s’en tiennent à leur mission vétérinaire.

La notion d’une seule médecine s’impose dans les institutions

La prise de conscience par le corps médical, ou du moins par ses institutions, est cependant là. Le concept « un seul monde, une seule médecine » est en marche, et les actions se multiplient, notamment en France. Le rapprochement des deux médecines, humaine et vétérinaire, a été voté par l’Académie de médecine en 2009. L’Institut de veille sanitaire (InVS) prône, dans son Bulletin épidémiologique du 14 septembre 2010, « une approche intégrée de la santé à l’interface homme-animal. (…) En France, cela se concrétise (…) par une nécessaire coordination entre les deux agences sanitaires en charge de la problématique [des zoonoses], l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et l’InVS, et avec les gestionnaires du risque que sont la Direction générale de l’alimentation (DGAL) et la Direction générale de la santé (DGS). » Le concept One Health (une seule santé), promu par l’OIE, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), illustre les passerelles construites entre les médecines humaine et vétérinaire. Ce concept vise à étendre les collaborations interdisciplinaires dans le champ de la santé des hommes et des animaux. Par exemple, chaque année, des étudiants vétérinaires sont invités par la Direction générale de la santé et de la protection du consommateur de la Commission européenne pour être formés au concept. A leur retour, ils organisent des actions, « comme des sensibilisations des enfants lors de visites du campus sur l’importance de “bien soigner son animal pour la bonne santé de l’homme” ou des formations auprès des médecins », explique notre consœur Jeanne-Marie Bonnet, enseignante à VetAgro Sup, qui chapeaute le projet sur le campus lyonnais. Les conférences « toxoplasmose de la femme enceinte : le chat est-il coupable ? » ou « maladie de Lyme : homme/chien même combat », organisées par l’école de Lyon, ont ainsi été suivies par des médecins, des vétérinaires et des étudiants des deux domaines. « Pour la toxoplasmose, les invitations ciblaient particulièrement les gynécologues, pour la maladie de Lyme, les dermatologues », précise Jeanne-Marie Bonnet.

D’autres projets sont sur la même longueur d’onde. Par exemple, Ecohealth poursuit des objectifs de partage des champs d’expertise dans le domaine de la santé des écosystèmes, des animaux et des hommes. La Fédération des vétérinaires européens (FVE) propose le projet Callisto (Companion animal multisectorial interprofessionnal interdisciplinary strategic think thank on zoonoses) qui a pour but d’identifier le manque de connaissances et d’outils pour la gestion des zoonoses d’importance transmises par les animaux de compagnie. En février dernier, l’OIE a organisé la conférence « santé des animaux et biodiversité, préparer l’avenir » afin « de jeter des ponts entre les questions vétérinaires, de santé humaine et environnementales et de chercher des moyens pour que les différents acteurs qui travaillent dans ces trois domaines se rapprochent et collaborent plus étroitement »(5), a expliqué Bernard Vallat.

La reconnaissance de la profession recule pourtant dans certains domaines

Si les compétences des vétérinaires sont reconnues par certaines institutions et des rapprochements entre les deux médecines souhaités, plusieurs mesures vont cependant à l’encontre de cette volonté. L’exemple le plus criant est l’interdiction pour le vétérinaire d’accéder au poste de directeur de laboratoires de biologie médicale, qui a ému la profession, mais aussi l’Académie de médecine. « Cela est particulièrement grave, comme la disparition du mot “vétérinaire” dans de nombreuses circonstances », déplore Jeanne-Brugère Picoux, enseignante à l’ENVA. Alors que les zoonoses sont une préoccupation mise en avant par les médias, la profession peine parfois à se faire entendre. « Certains corps de métier plus alarmistes intéresseront plus les médias. On l’a vu avec la grippe aviaire où des médecins prédisaient une pandémie meurtrière (cinq cent mille morts !) alors que, dans Le Figaro, mes propos étaient plus rassurants, ce qui ne se “vend” pas. Il a fallu attendre un certain temps avant que les vétérinaires soient écoutés sur une maladie qui les concernait plus directement. L’OIE a d’ailleurs mieux su gérer la communication sur cette affection animale que l’OMS, qui annonçait une pandémie dès 2003 », souligne notre consœur.

  • (1) La différence entre elles est que la première a cessé d’être zoonotique avec “l’humanisation” de l’agent pathogène qui a rendu la transmission interhumaine suffisamment efficace, contrairement aux trois autres.

  • (2) http://www.canalacademie.com/ida6580-Pourquoi-il-faut-rapprocher-les.html

  • (3) Laëtitia Canini : « Les zoonoses en France : évaluation des connaissances des médecins et des vétérinaires », thèse ENVT, 2010.

  • (4) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1418 du 24/9/2010 p. 18.

  • (5) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1440 du 4/3/2011 p. 26.

  • (6) J.S. Weese et M.B. Fulford : « Companion Animal zoonoses », ed. J.S Wesse and M.B Fulford, BlackwellPublishing Ltd, 2011. Il est également l’auteur d’un blog destiné à promouvoir la bonne santé despropriétaires d’animaux de compagnie (www.wormsandgermsblog.com).

Les zoonoses dans quelques formations postuniversitaires

• Diplôme de médecin du travail en milieu agricole : il est dispensé par l’Institut national de médecine agricole (INMA) et consacre quatre jours (sur vingt-cinq de formation) aux zoonoses.

• Cours sur les zoonoses : créé en 2010 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), l’Institut Pasteur et l’ENV d’Alfort, il est destiné aux médecins, aux pharmaciens et aux vétérinaires.

• Nouveau module optionnel : intitulé « circulation des agents pathogènes etmaladies infectieuses et parasitaires animales », il est organisé par l’ENVA et l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) dans le cadre du master 2 recherche “UVSQ-STVE sciences et technologies, santé”.

V. C. et M. S.

Les raisons de l’émergence des zoonoses

Les zoonoses ne sont pas une préoccupation nouvelle. Elles comptent dans leur rang des maladies parmi les plus dévastatrices pour les sociétés humaines. Ainsi, la peste noire décima près de la moitié de la population européenne au Moyen Age. L’évolution rapide des comportements humains et l’augmentation de la population mondiale influencent la transmission des agents zoonotiques. La croissance démographique est responsable de la pénétration, toujours plus près, des habitats de la faune sauvage (responsable de 70 % des maladies émergentes) et la multiplication des contacts entre les hommes et les espèces sauvages.

La croissance de la population humaine provoque également une demande en protéines d’origine animale toujours plus importante. La production de viande à l’échelle mondiale est majoritairement familiale, et s’accompagne d’une grande promiscuité entre les hommes et les animaux d’élevage. Parallèlement, dans les pays développés, les animaux de compagnie occupent une place prépondérante dans les foyers. De toutes parts, les contacts avec les animaux, domestiques ou sauvages, augmentent.

M. S.

Des animaux diabolisés par méconnaissance

« Face à la faiblesse de l’enseignement sur les zoonoses durant les études médicales, il ne faut pas s’étonner si des médecins adoptent deux attitudes qui reflètent d’ailleurs celles de la société : soit ils n’y pensent pas, soit ils y pensent trop », analyse Nadia Haddad Hoang-Xuan. Même constat pour notre confrère Scott Weese(6), enseignant en santé publique et zoonoses à l’université de Guelph (Etats-Unis). Pour lui, la méconnaissance des zoonoses peut conduire à des peurs incontrôlées, en particulier vis-à-vis des animaux de compagnie. Pire, elles poussent à des euthanasies injustifiées, comme en témoigne son expérience vis-à-vis des infections par le staphylocoque doré multirésistant. Il en est de même pour Nadia Haddad Hoang-Xuan : « L’animal peut être incriminé sans qu’un diagnostic étiologique ait été posé. » Elle cite l’exemple d’une personne âgée qui a l’habitude de nourrir des pigeons et qui souffre de pneumopathie : le lien entre la psittacose et sa maladie peut être injustement établi. Quel vétérinaire n’a d’ailleurs jamais été confronté à des demandes de placement ou d’euthanasie de chats appartenant à une femme enceinte ? « La transmission de la toxoplasmose par le chat présent de longue date est trop mise en avant par les gynécologues, alors que la contamination est souvent en rapport avec l’ingestion de viande non cuite ou de produits infestés par un autre animal excréteur que le chat de la maison », confirme Fazïa Ajana.

V. C. et M. S.
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