L’anesthésie du chaton diffère de celle de l’adulte - La Semaine Vétérinaire n° 1439 du 25/02/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1439 du 25/02/2011

Anesthésiologie

Formation continue

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Gwenaël Outters

Immaturités hépatique et rénale, perméabilité hématoméningée, besoins accrus en oxygène, thermorégulation moins fine sont des spécificités à prendre en compte.

L’anesthésiqueinjectable révolutionnaire,dont l’action serait progressive sans excitation,avec une myorésolution maximale enfin d’injection, une qualité de sommeil extraordinaire, autorisant une intervention chirurgicale immédiate sans surveillance spécifique, avec une durée d’anesthésie longue et un réveil calme et progressif, tout cela pour un faible coût, n’existe pas ! », a rappelé notre confrère Nicolas Medina-Layachi, lors du dernier congrès de médecine féline à Lyon. Il n’y a pas une seule bonne molécule et le vieil adage « la meilleure anesthésie est celle que l’on maîtrise » est obsolète.

En introduisant des déséquilibres qui peuvent avoir des conséquences à long terme, l’anesthésie est un moment clé pour l’avenir de l’animal et il est nécessaire d’en identifier les risques.

Ne pas se fier seulement à la classification ASA en anesthésie

Avec le recul, l’utilisation de la classification de l’American Society of Anesthesiologists (ASA) montre que, finalement, 10 % des mortalités peranesthésiques félines sont liées à des cardiomyopathies non détectées chez des chats placés en stades 1 et 2 et qu’au moins 40 % des complications graves en anesthésie pédiatrique ont lieu sur des animaux en stades 1 et 2. Son utilisation brute, en aveugle, a donc peu de sens. En médecine humaine, si la mortalité anesthésique s’est considérablement réduite en trente ans, la morbidité, les séquelles et les complications postanesthésiques ont augmenté en parallèle. Au niveau cérébral d’abord (altérations cognitives, syndrome confusionnel, amnésie voire démence, décompensation cérébrale aiguë, pertes de mémoire et déficit des apprentissages, anxiété et dépression), mais aussi hépatorénal et hémodynamique.

Chez l’animal, il est démontré que la sensibilité neuronale à différents agents anesthésiques utilisés chez le jeune (en particulier la kétamine) s’accompagne de troubles des performances comportementales chez le sujet parvenu à l’âge adulte. Ces séquelles sont cependant difficilement quantifiables.

En pédiatrie, la morbi-mortalité anesthésique est majorée chez l’enfant de moins d’un an, en anesthésie d’urgence, en présence de comorbidité et lorsque l’anesthésie est réalisée par des personnels à la pratique occasionnelle. La formation et la spécialisation des équipes médicales, la mise à disposition de moyens et le monitorage ont permis de diminuer ces risques. Les complications respiratoires (hypoventilation, hypoxie) et cardiovasculaires (erreur d’agent anesthésique ou surdosage) sont plus fréquentes chez l’enfant que chez l’adulte.

Chez le chat, la mortalité peropératoire est corrélée à l’espèce (deux fois plus que chez le chien), au poids (au-delà de 6 kg, le risque est multiplié par trois, en dessous de 2 kg par seize), à la longueur de l’intervention, à l’utilisation d’halothane et à la prise en charge postopératoire (compétence de l’équipe et plateau technique). Il serait donc raisonnable d’étendre l’anesthésie pédiatrique aux animaux jusqu’à six mois et de surestimer systématiquement le stade ASA apparent.

Les caractéristiques du chaton imposent une prise en charge particulière

Le foie du chaton présente une immaturité enzymatique et un métabolisme prolongé et incomplet. Les risques de cumul, d’effet retard, d’hypoglycémie et de neuroglycopénie sont donc majorés.

Au niveau cérébral, le débit de perfusion et la perméabilité de la barrière hématoméningée sont plus élevés : le passage des anesthésiques et leurs effets sont donc plus rapides et intenses, et les conséquences délétères des molécules au niveau du cerveau sont potentiellement plus marquées (altérations cognitives).

Au niveau pulmonaire, le volume courant est faible et les besoins en oxygène sont élevés. L’organisme compense par une augmentation de la ventilation minute. L’induction au gaz est donc plus rapide chez le chaton, mais celui-ci est également plus sensible à l’hypoxémie et à l’hypoventilation. Le diagnostic est toujours tardif et la cyanose indique à chaque fois une décompensation majeure. De même, le monitorage (saturation en oxygène) est toujours en retard sur l’hypoxémie. Cette dernière, fréquente en phase postopératoire, retarde la cicatrisation, entraîne une ischémie myocardique et intestinale et favorise les infections.

Les reins du chaton sont incapables de concentrer les urines et d’éliminer certains médicaments. La déshydratation peut être rapide, associée à une insuffisance rénale aiguë. Ainsi, l’administration d’anti-inflammatoires ne devrait être effectuée que chez des chatons perfusés et de préférence en dehors de la période d’hypotension, c’est-à-dire au réveil, contrairement au principe d’analgésie préventive qui la place en phase préopératoire.

La thermorégulation chez le chaton est perturbée par sa surface corporelle élevée, sa faible quantité de graisse sous-cutanée, son inaptitude aux tremblements et son faible contrôle vasomoteur. L’hypothermie est donc rapide et majorée par une intervention supérieure à quarante-cinq minutes, une anesthésie profonde, l’utilisation de certains anesthésiques (vasodilateurs en particulier), l’environnement frais, des perfusions non chauffées, des pertes sanguines et urinaires, la tonte et la désinfection (éviter l’utilisation d’alcool et l’humidification). L’hypothermie augmente les risques de réveil prolongé, d’infection, de troubles du rythme ou de la coagulation, d’insuffisance rénale aiguë par rhabdomyolyse et d’iléus. Des mesures simples pour diminuer l’hypothermie consistent à entourer le bout des pattes du chaton avec des chaussettes de papier aluminium, de réchauffer les solutés et les compresses désinfectantes, d’éviter l’alcool, de tondre a minima, de couvrir l’animal de sa préparation à sa sortie, etc.

En outre, au niveau cardio-vasculaire, les épisodes d’hypotension et d’hypoperfusion sont le reflet d’une régulation tensionnelle imparfaite, d’unfaible volume sanguin circulant et d’une tachycardie relative chez le chaton : le débit cardiaque est plutôt contrôlé par la fréquence que par la force et le volume d’éjection.

Les posologies standard sont à délaisser au profit de la titration

Le jeûne chez le chaton doit être limité avant et après l’anesthésie (quatre heures avant et réalimentation rapide après). Les doses anesthésiques sont diminuées et délivrées à effet.

L’animal est réchauffé, perfusé, oxygéné et analgésié toutau long de l’anesthésie.Ladurée d’intervention est raccourcie. Les antagonistes des 2-agonistes sont administrés systématiquement, à condition que l’analgésie soit par ailleurs optimisée, afin de diminuer les risques d’hypothermie, d’hypotension, d’hypoxie postopératoire, mais aussi d’économiser sur la surveillance. Ces mesures permettent de réduire la plupart des risques et des complications à un niveau minimal.

“L’anesthésie moderne” essaie de répondre à ces nouvelles préoccupations et suit cinq règles : équilibre, titration, adaptation, rapidité et anticipation. Cette démarche est nécessairement multimodale. L’anesthésie doit préserver l’équilibre ventilatoire, hémodynamique, thermostatique, cognitif et sensoriel de l’animal. La titration consiste à rechercher la dose nécessaire et suffisante par des injections séquentielles jusqu’à atteindre l’effet recherché : les posologies standard ou “historiques” sont à oublier et les protocoles à optimiser et à adapter selon chaque individu. Le temps chirurgical ne doit pas dépasser les limites physiologiques de “maintenance” (au-delà de deux heures et demi à trois heures). En outre, seul le monitorage peut assurer l’anticipation, ainsi que la récupération et la réversion des complications.

Les solutions anesthésiques sont diluées pour un dosage précis

L’anesthésie “gagnante” répondra à l’ensemble des règles édictées ci-dessus. L’intubation est systématique. Les sondes sans ballonnet sont préférées pour limiter les risques de rupture, d’ischémie ou de nécrose trachéale (sauf en dentisterie, où il existe un risque d’écoulement et de bronchopneumonie). L’oxygénation et la ventilation de l’animal sont régulièrement contrôlées (amplitude du ballon, capnographie, parésie/paralysie diaphragmatique).

Les molécules incontournables de l’anesthésie sont la morphine, la buprénorphine, le butorphanol, la (dex)médétomidine, le propofol, l’alfaxalone, la kétamine (à des fins d’analgésie, ou en cas d’urgence) et l’isoflurane (qui doit absolument remplacer définitivement l’halothane).

La vidange préopératoire de la vessie permet de diminuer le volume abdominal, de suivre la diurèse, mais elle entraîne une perte de chaleur.

Pour adapter les posologies, le chaton est pesé. Des seringues de 1 ml et des solutions diluées sont employées. Une contention non chimique peut être utilisée à l’aide de pinces interscapulaires (clipnose), de masques ou de sacs à contention.

« L’anesthésie, c’est donc beaucoup de préparation et d’attention et un peu de chance », a conclu notre confrère.

CONFÉRENCIER

Nicolas Medina-Layachi, référant en anesthésiologie/ algologie et médecine féline, praticien à Bordeaux (Gironde).

Article rédigé d’après la conférence « De l’anesthésie pédiatrique à l’anesthésie du chaton » présentée au congrès de médecine féline organisé par la section vétérinaire de la Société française de félinotechnie à Lyon, en novembre 2010.

Un chat est un chaton jusqu’à six mois

Il est couramment admis qu’un chat est un chaton jusqu’à l’âge de trois mois, sur la base de la maturité des systèmes enzymatiques. Mais la pédiatrie en médecine humaine va jusqu’à dix-huit ans (avec des sous-groupes, petits et grands enfants, etc.). Pour le chat, dans la mesure où certaines “faiblesses” sont intrinsèques à l’âge, comme le rapport volume/surface (qui détermine la sensibilité à l’hypothermie et à l’hypoglycémie) et l’équilibre hémodynamique (sensibilité à l’hypotension, à la baisse de débit cardiaque, sensibilité du myocarde), il semble judicieux de dépasser la limite théorique des trois mois et de l’allonger à six mois.

G. O.
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