Approche, précision du tir et gestion du dosage sont les clés de la téléanesthésie - La Semaine Vétérinaire n° 1438 du 18/02/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1438 du 18/02/2011

Sédation à distance des bovins

Formation continue

RURALE

Auteur(s) : Céline Carles

Le propriétaire doit être informé des conséquences et des risques éventuels avant de procéder au tir.

Quand les méthodes d’approche qui mettent un bovin en confiance échouent (appel, apport d’aliment), la téléanesthésie, qui consiste à injecter à distance une substance anesthésique, reste le seul moyen de capturer des animaux dangereux, craintifs ou devenus sauvages.

Chez les bovins, c’est un acte peu fréquent. Le contexte d’intervention varie selon le mode d’élevage, les races et les individus : des blondes d’Aquitaine en liberté totale pendant trois ou quatre mois en estive, par exemple, adoptent plus facilement un caractère “semi-sauvage”, et certaines d’entre elles sont alors inapprochables au moment de la rentrée à l’étable. De même, un bovin blessé en fuite devient plus craintif, voire dangereux, et sa capture sera alors délicate.

Préliminaire à toute action, l’approche doit être la plus discrète possible

Tenue sombre et progression calme et lente, sans mouvement brusque ni cri sont de rigueur. Il faut aussi tenir compte des particularités sensorielles des bovins : un champ visuel plus large, une ouïe et un odorat plus développés que l’homme. Ils peuvent voir ce qui se passe à droite et à gauche sans bouger la tête. Tout bruit anormal ou toute odeur inhabituelle les éveillent et peuvent les inquiéter.

Avant l’anesthésie, il est important de limiter la course-poursuite, particulièrement stressante et à l’origine de myopathie. Lorsque l’animal est essoufflé, il est préférable de différer l’intervention.

Il existe plusieurs types de matériels hypodermiques, mais leur fonctionnement est comparable. Chez les bovins, les fusils à gaz froid et les seringues à air comprimé sont les plus adaptés. Dans les fusils, la seringue est expulsée par de l’air comprimé ou du CO2 sans créer de détonation. La distance de tir peut aller jusqu’à 50 m. Il convient de régler la pression de projection selon la distance et les conditions climatiques, en particulier le vent. Même si des informations de réglage de pression sont généralement fournies par les fabricants, il vaut mieux évaluer par soi-même la précision du tir en s’entraînant sur une cible. La seringue est divisée en deux compartiments séparés par un piston. Le premier est destiné à recevoir la substance anesthésique, avec une contenance de 3 ou 5 ml. Le second contient de l’air ambiant le plus souvent, qui est comprimé manuellement à l’aide d’une seringue au travers d’une valve antiretour. Cet air comprimé sert à éjecter le produit anesthésique.

Les aiguilles pour les bovins font de 3 à 4 cm de long pour un diamètre de 1,5 à 2 mm. Elles sont munies d’obturateurs (petits manchons en plastique) qui bouchent les orifices d’injection pour maintenir l’air sous pression. Quand l’aiguille pénètre dans le cuir de l’animal, l’obturateur est dégagé. Cela libère les orifices et permet l’injection de l’anesthésique grâce à la poussée du piston. Les aiguilles ne sont pas stériles et, tout comme les seringues, peuvent être réutilisées plusieurs fois sous réserve de les nettoyer après usage. Un stabilisateur de couleur, qui ressemble à un pompon, permet de stabiliser le projectile en vol et de le repérer facilement, tant sur l’animal qu’au sol.

La seringue, légère, est sensible au vent de côté. Il est donc fortement conseillé de se placer face au vent pour réussir le tir.

Thorax et abdomen sont à éviter en raison des risques de choc

Les zones visées doivent être musculeuses (sans graisse, ni tendon, ni os, ni cartilage) et relativement planes. Le point d’impact doit être le plus perpendiculaire possible à la trajectoire du projectile, afin d’éviter les ricochets sur la peau. Pour un tireur positionné de profil par rapport au bovin, les régions les plus adaptées sont donc les muscles de l’encolure en son milieu (de façon à ne toucher ni le ligament cervical en haut, ni la jugulaire en bas), des fessiers et de la cuisse. Les injections thoraciques et abdominales sont à proscrire, car les risques de choc et de pénétration totale du projectile sont trop importants. Même si la région visée est musculeuse, une partie de la dose anesthésique pénètre en région sous-cutanée, en raison du caractère immédiat de l’injection au moment de l’impact. Or le produit est mal résorbé, voire pas du tout, dans cette zone. Les quantités d’anesthésique à employer sont donc parfois beaucoup plus élevées que les doses intramusculaires classiques. La précision du tir est bien entendu essentielle. Elle exige adresse, concentration et expérience sur la base d’entraînements préalables.

Tout stress diminue les effets de l’anesthésique

Plusieurs protocoles anesthésiques sont possibles. La xylazine demeure la molécule la plus utilisée en téléanesthésie chez les bovins, à raison de 0,5 mg/kg. Elle se présente sous forme lyophilisée, ce qui réduit ainsi les volumes à injecter. Elle peut être employée seule si une sédation sans décubitus est suffisante. C’est le cas, par exemple, d’un bovin qui se trouve au milieu de ses congénères. Une sédation peu profonde lui permet de se déplacer. En suivant les autres animaux, avec lesquels il est en confiance, il peut être guidé vers un lieu clos où il sera saisi. Pour une sédation plus profonde, avec décubitus sternal, la xylazine est associée à la kétamine pour former le mélange Hellabrunn (500 mg de xylazine pour 4 ml de kétamine à 1 g/10 ml, à la dose de 3 ml pour 600 kg).

Quel que soit le protocole utilisé, il convient d’éviter les surdosages, par surestimation du poids ou injection accidentelle par voie intraveineuse ou intra-abdominale. Les effets dépresseurs respiratoires et cardiovasculaires sont d’autant plus importants que la dose injectée est élevée.

En outre, tout stress diminue l’effet de l’anesthésie. Si le bovin est agité et/ou épuisé par une course-poursuite, le produit anesthésique perd de son efficacité, laissant croire à un sous-dosage. Le réflexe est souvent d’augmenter la dose ou d’en injecter une nouvelle, avec pour conséquence un surdosage qui provoque un réveil plus long, voire la mort de l’animal.

Il est préférable de ne pas pratiquer de téléanesthésie sur des femelles en gestation, en raison des effets secondaires, mais surtout du stress généré par une telle procédure.

Pour limiter le risque de chute accidentelle ou de blessure, l’environnement dans lequel l’animal est susceptible de se déplacer doit être dépourvu de point d’eau, d’objet vulnérant ou de matériel agricole.

Une fois le tir effectué, il convient d’attendre que l’effet du produit injecté se fasse sentir. L’attente varie selon l’animal et la substance (en moyenne vingt minutes pour un bovin adulte). Mieux vaut ne s’approcher que lorsque l’animal est couché et assoupi, et procéder à une inspection cardio-respiratoire. La surveillance anesthésique est parfois limitée par un réveil rapide. Il faut alors contenir le bovin par un licol, fixé à un point d’ancrage, pour éviter toute tentative de fuite.

Régurgitations, météorisations et myopathies sont fréquentes

Un certain nombre de complications peuvent survenir à la suite de la téléanesthésie chez les bovins, d’autant plus qu’ils n’ont pas été examinés au préalable. Des régurgitations sont souvent induites par l’anesthésie, avec un risque de bronchopneumonie par fausse déglutition, ainsi que des météorisations. Il convient alors de maintenir l’animal en décubitus sterno-abdominal ou, à défaut, couché sur le côté gauche, la tête relevée et la gueule en ouverture déclive pour favoriser l’écoulement du jus de rumen (voir photo ci-dessus ).

Les complications musculo-squelettiques ne sont pas rares non plus. L’apparition d’une myopathie est liée soit à la course du bovin avant l’anesthésie, soit à un trop long décubitus. En cas d’anesthésie prolongée, généralement consécutive à un surdosage, l’administration d’un antagoniste et de fluides par perfusion (chlorure de sodium à 0,9 %, Ringer lactate) est conseillée.

Le coût de la téléanesthésie est élevé. Il varie de 200 à 1 000 € selon le protocole anesthésique et le temps passé. Ce montant permet de dissuader les éleveurs tentés d’y avoir recours pour récupérer certains de leurs animaux récalcitrants. Tous les autres moyens d’approche doivent être mis en œuvre avant d’envisager cet acte.

En raison des complications éventuelles, il est recommandé d’expliquer aux éleveurs les risques relatifs à la téléanesthésie, afin d’obtenir leur consentement éclairé et/ou de leur faire signer une décharge.

  • (1) Décret n° 95-589 du 6/5/1995 et décret n° 98-1148 du 16/12/1998.

Cadre légal

Les projecteurs hypodermiques utilisés pour administrer un anesthésique à distance sont des armes de 6e catégorie(1). L’achat et la détention sont libres, c’est-à-dire non soumis à déclaration, mais le transport et le port sont interdits sauf motif légitime.

Dans le cadre de leur exercice, les vétérinaires peuvent transporter ces armes, à condition qu’elles soient démontées, et les utiliser sur un terrain privé, en accord avec le client (et le propriétaire du terrain s’il y a lieu). Leur emploi dans un lieu public (voie, estive, etc.) est en revanche interdit. Dans ce cas, les vétérinaires doivent contacter les services d’intervention publique (police, gendarmerie, sapeurs-pompiers).

Le tir en lui-même n’est pas un acte vétérinaire et peut être délégué à une personne plus compétente. En revanche, dans tous les cas, seul un vétérinaire est habilité à préparer les substances anesthésiques. Sa responsabilité est engagée si le projectile tiré sort de l’espace privé, s’il touche une personne, un autre animal ou endommage un matériel (vitre) ou s’il est égaré (tir raté, animal atteint puis perdu de vue).

C. C.

POUR EN SAVOIR PLUS

D. Holopherne : « Téléanesthésie chez les bovins : technique et précautions », Le Point Vétérinaire, numéro spécial rurale, 2008, pp. 37-44.

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