Décret prescription-délivrance : quels impacts sur l’élevage et la pharmacie ? - La Semaine Vétérinaire n° 1432 du 07/01/2011
La Semaine Vétérinaire n° 1432 du 07/01/2011

Décret prescription-délivrance

Auteur(s) : Michel Baussier

Fonctions : président du Conseil
supérieur de l’Ordre.

Le principe de cet acte a été souhaité par la profession vétérinaire et ses instances représentatives. Il s’agissait à l’origine d’un texte sur la prescription du médicament vétérinaire. Après trois ans d’application, voici le bilan de ce dispositif sur le terrain.

Un débat vieux de dix ans

L’acte pharmaceutique de délivrance du médicament vétérinaire s’est invité inélégamment dans le débat, au milieu des années 2000, et l’a en quelque sorte perturbé, retardé et, disons-le, dévoyé. Les pharmaciens sont venus parasiter cette réflexion qui ne les concernait nullement, s’agissant de médecine. La profession vétérinaire, trop courtoise, a accepté d’élargir la discussion. Nos collègues pharmaciens, en tant que professionnels commerciaux de la santé, sont venus, revêtus des plus beaux atours de la santé publique, y chercher en réalité, sans trop s’en cacher, des parts de marché. Pour eux, il s’agissait de reconquérir les territoires du médicament vétérinaire qu’ils se reprochaient d’avoir maintenus depuis trop longtemps en jachère, voire en friche.

Dans l’esprit des confrères, cet état de choses n’a pas toujours contribué à clarifier la distinction, dans notre exercice quotidien, entre ce qui relève de la médecine et ce qui dépend de la pharmacie.

Un contrôle des quotas de prescription à privilégier

Rappelons-le, l’objectif était de moderniser la prescription en médecine vétérinaire collective et d’admettre qu’elle pouvait, aujourd’hui, être sécurisée hors d’un cadre strictement individuel et clinique, dès lors qu’un vétérinaire de proximité (dans l’espace ou dans le temps) prescrivait toujours après avoir été en situation d’établir un diagnostic du cas présenté. Pour des raisons évidentes d’épidémiovigilance et d’épidémiosurveillance, qui s’inscrivent dans la démarche générale du diagnostic vétérinaire au sein des troupeaux, le praticien doit être réellement présent dans l’élevage, revêtu de sa blouse, chaussé de ses bottes. Il doit pouvoir, à travers les actes ponctuels qu’il y effectue et un véritable audit annuel, observer les animaux et les acteurs du cheptel. Le bilan sanitaire annuel vient compléter les nombreuses données recueillies ponctuellement, mais ne peut s’y substituer. Chaque vétérinaire désigné par l’éleveur a donc besoin de temps. D’où les quotas de prescription.

Le contrôle des quotas doit être privilégié par rapport à celui du formalisme du bilan et du protocole de soins, lesquels, en tant qu’actes de médecine vétérinaire, relèvent de la responsabilité personnelle du vétérinaire.

Plus largement, après trois ans d’application, voici le bilan de ce dispositif – et non celui du bilan sanitaire, auquel certains, de façon discutable, voudraient résumer les moyens du diagnostic vétérinaire –, avec son passif et son actif, ou plutôt les éléments à porter au débit et au crédit du décret prescription-délivrance.

Les points négatifs au débit de ce dispositif réglementaire

• L’occasion pédagogique ratée de déterminer, dans ce texte spécifique, les conditions de la signature électronique de l’ordonnance.

• Avec le recul, un cadre peut-être trop stéréotypé, et sans doute trop formel pour la rédaction des bilans et des protocoles de soins dans les annexes de l’arrêté.

• Une faiblesse de rédaction ouvrant juridiquement la voie à des coordinations vétérinaires bicéphales ou polycéphales du suivi sanitaire permanent de l’élevage, à l’opposé de l’esprit des concepteurs du dispositif. Le principe était celui du choix par l’éleveur, comme en médecine humaine, d’un seul praticien coordinateur des actions (ou d’une équipe vétérinaire unique), un vétérinaire habituel en quelque sorte, diversement désigné (traitant ou référent). Une bonne coordination est incompatible avec la notion de dualité, a fortiori avec une pluralité d’équipes : les armées ne gagnent pas les guerres quand elles sont commandées par plusieurs généraux. L’organisation désirée – et que le texte, par une faiblesse de rédaction inconséquente, n’a pas reproduite – n’est génératrice d’aucune atteinte à la liberté de choix de l’éleveur, qui peut changer de vétérinaire comme il l’entend et qui, de surcroît, peut faire intervenir autant de consultants qu’il le souhaite sur son exploitation.

• Une mise en œuvre chaotique, dans les filières traditionnelles de ruminants, des bilans sanitaires d’élevage, en raison du développement concomitant de la fièvre catarrhale ovine, de son impact économique délétère, de la distension associée des relations entre vétérinaires et éleveurs, avec leurs répercussions psychologiques tant sur les premiers que sur les seconds. Et cela sans parler du torpillage de la mise en place du décret par certains Groupements de défense sanitaire.

• L’opportunité (que nombre de confrères n’ont pas saisie) d’optimiser la tenue du registre d’élevage selon une utilisation raisonnée de ce document et son paraphage régulier par le vétérinaire de l’exploitation. Surtout, le registre informatisé n’a pas gagné suffisamment ses lettres de noblesse, probablement en raison de la difficulté pour les vétérinaires de disposer de données numériques… A l’évidence, la disparité entre les organismes à vocation sanitaire et les vétérinaires, en matière d’accès aux données technico-économiques des élevages, s’est accentuée, desservant les praticiens en termes de réactivité et de prévention des catastrophes médicales.

• Des protocoles de soins qui ressemblent parfois à des ordonnances. Les confrères doivent corriger au plus vite ces erreurs de compréhension des textes.

• La libéralisation du renouvellement, qui représente une régression en termes de santé animale et de santé publique pour les espèces dont les produits sont susceptibles d’être consommés par l’homme, là où, précisément, l’interdiction était la règle. Elle n’offre, de surcroît, aucun moyen de contrôle, puisque le pharmacien n’a pas la possibilité de déterminer l’usage (préventif ou curatif) qui sera fait du médicament renouvelé. C’est une erreur à laquelle les organisations vétérinaires ont consenti, l’Ordre en premier lieu, cédant à la volonté de tous de voir sortir le décret… La profession était prise en otage par les pharmaciens d’officine. Le ministère de la Santé, en la circonstance, renonçant aux principes d’action impartiale de l’Etat, s’était déjà, à l’époque, davantage préoccupé des intérêts économiques des pharmaciens que de la santé publique.

• Le manque de contrôles de l’application de ce dispositif, malgré les annonces retentissantes. Les quelques actions dans ce sens n’ont porté que sur des aspects mineurs et ne concernent pas les quotas de prescription.

• Le bilan officiel, qui n’a pas eu lieu aux dates prévues.

• L’échec de ce dispositif à pacifier les relations entre pharmaciens et vétérinaires. En conséquence de l’effet positif de renforcement des rapports entre vétérinaires et éleveurs, les pharmaciens semblent avoir “perdu du marché” et se sentent frustrés.

Les points positifs au crédit de ce dispositif réglementaire

Commencer par ce qui ne fonctionne pas, ou mal (les échecs, les retards et les insuffisances de la mise en application du dispositif) afin de mieux mettre en valeur les points positifs, tel est notre credo.

• Un effet pédagogique favorable en pratique canine. La communication réussie qui a suivi la sortie du décret a créé une émotion certaine chez nos confrères canins et équins. Pourtant, pour les premiers, le dispositif n’a presque rien changé aux textes en vigueur ! Les confrères canins les découvraient et, comme mieux vaut tard que jamais, ce fut là un impact positif majeur du dispositif.

• Un renforcement de la présence continue des vétérinaires dans les cabinets et les cliniques. Les confrères mixtes et ruraux ont compris que le dispositif impliquait une réorganisation du quotidien : au sein des équipes, il convient de libérer des compétences à l’écoute des éleveurs dans le cadre de la prescription en application du protocole de soins. Les praticiens ruraux ont perçu la nécessité de larges plages de présence au sein de leurs établissements de soins vétérinaires.

• Une médicalisation réamorcée des filières sans surveillance sanitaire, comme la filière ovine. Mieux vaut un bilan annuel et des visites de suivi que rien du tout, face à une automédication préjudiciable.

• L’établissement des conditions d’une prescription adaptée à la modernisation de la médecine vétérinaire, préventive plutôt que curative, collective (médecine de troupeau) et non plus seulement individuelle, comme la médecine humaine, sans que la santé publique y perde pour autant, bien au contraire.

• Une montée en puissance de la traçabilité, avec l’enregistrement du numéro de lot. Il s’agit là de l’emprunt du véhicule réglementaire par des dispositions de directives communautaires à transposer. La traçabilité est aujourd’hui présentée comme parée de toutes les vertus, ce qui n’est pas le cas. Cependant, en matière de médicaments vétérinaires, nul n’irait contester qu’elle représente un indéniable progrès.

• Le “colisage”, ou plutôt la délivrance avec le recours à un intermédiaire, est une facilité pour les structures “honnêtes” et surtout pour les éleveurs, même si des affairistes, dont les quotas de prescription ne sont pas contrôlés, se sont engouffrés dans la brèche, comme c’était prévisible.

Ce que l’Ordre des vétérinaires souhaite et revendique

Bien entendu, l’Ordre n’est pas chargé du contrôle de l’application du dispositif prescription-délivrance sur le terrain. Dès lors, gardons-nous de porter une appréciation sur cet aspect, pour nous borner à déplorer que les contrôles s’égarent parfois du côté du Code de la consommation (température des frigos), alors que les quotas de prescription – ce qui a motivé initialement le texte – ne sont toujours pas surveillés, trois ans après l’entrée en vigueur du décret. Nous en appelons aux administrations en charge de ces contrôles pour réorienter leurs inspections. Au respect des quotas est directement et étroitement lié, que cela plaise ou non, le maillage vétérinaire rural. Notre pays ne pourra pas se permettre d’ajouter à la fameuse réforme générale des politiques publiques (RGPP) – drastique à mauvais escient en ce qui concerne les services vétérinaires de l’Etat – la destruction passive du maillage vétérinaire sanitaire… sauf à vouloir organiser le suicide du sanitaire.

Le temps de l’amateurisme est révolu

Il convient de redire à nos confrères qu’ils doivent encore progresser, et rapidement, sur le formalisme de leur prescription. Le temps des artistes vétérinaires est malheureusement révolu. Encore trop d’ordonnances sont mal faites.

Nonobstant le développement de la vente en ligne, l’amateurisme n’est plus de mise aujourd’hui dans la délivrance du médicament vétérinaire. Et cette dernière remarque s’adresse à tous les ayants droit : aux pharmaciens, qui traitent le médicament vétérinaire comme un gadget susceptible de compléter leurs revenus en augmentant la fréquentation de leur officine, et aux praticiens, qui n’ont jamais eu beaucoup de considération pour les vertus de la délivrance formalisée et enregistrée, encore moins pour le concept, spécieux selon eux, de dispensation. Ne parlons pas des groupements de producteurs agréés, qui ont longtemps été des cancres en la matière, et dont beaucoup rechignent encore à respecter une réglementation pourtant si laxiste à leur endroit et si peu soucieuse de santé publique en ce qui les concerne.

S’atteler à neutraliser les effets pervers du conflit d’intérêts

Seuls les vétérinaires nous intéressent ici. Nous leur lançons donc un appel solennel à se mobiliser sur ce terrain, surtout à l’heure où la délivrance du médicament vétérinaire par le prescripteur vient de nouveau d’être remise en cause, au nom du très à la mode conflit d’intérêts, un concept chic et snob importé de chez nos bons voisins et amis anglo-saxons. Une nouvelle tarte à la crème en somme !

Cela dit, le conflit d’intérêts est objectif. Pour autant, la vie sans conflit d’intérêts n’est plus la vie ! Celui-ci a, du reste, toujours été le cœur de métier des professions régies par un Code de déontologie. C’est précisément l’une des raisons de leur réglementation et de leur organisation, avec la spécificité de leurs juridictions. Il convient toutefois de ne pas nier ces conflits d’intérêts et de les examiner en toute lucidité, afin de mieux en neutraliser les effets pervers potentiels. C’est à cela que la profession vétérinaire doit s’atteler. Car, à la vérité, les circuits courts étant souvent les meilleurs en termes d’économie, le guichet unique offre de nombreux avantages au détenteur de l’animal, autrement dit au client du vétérinaire. Contrairement aux apparences, les gens de terrain savent par expérience que, tant la santé publique que l’économie du citoyen consommateur, a fortiori celle du professionnel de l’élevage, y trouvent encore mieux leur compte. La connaissance vraie du médicament vétérinaire se trouve à l’évidence aujourd’hui du côté des établissements de soins. Les faits le démontrent ou le rappellent tous les jours. Peu de bons éleveurs s’y trompent. En tout cas, pour eux, il importe qu’ils puissent continuer à avoir le choix de leur distributeur au détail de médicaments, en évitant les situations de monopole.

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