Une mycobactériose peut mimer un lymphome digestif - La Semaine Vétérinaire n° 1428 du 03/12/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1428 du 03/12/2010

Infection à Mycobacterium avium

Formation continue

ANIMAUX DE COMPAGNIE

Auteur(s) : Delphine Rivière

Fonctions : laboratoire Scanelis, à Colomiers (Haute-Garonne). Article tiré de la publication « Disseminated Mycobacterium avium subspecies infection in a cat », rédigée par D.Rivière, J.L. Pingret, M. Etievant, A. Jechoux, D. Lanore, I. Raymond-Letron et C. Boucraut-Baralon, J. Feline Med. Surg., 29/10/2010.

Les signes cliniques observés sont prédominés par des troubles digestifs associés à une hypertrophie des nœuds lymphatiques mésentériques.

Un chat mâle castré de type européen, âgé d’un an et demi, est présenté à la consultation pour dysorexie et vomissements observés depuis quelques jours. Son état général est bon. Seule la palpation abdominale révèle plusieurs masses volumineuses, compatibles avec une hypertrophie des nœuds lymphatiques intra-abdominaux. L’échographie abdominale confirme la suspicion clinique d’adénomégalie mésentérique (voir photo 1). De plus, la paroi du tube digestif apparaît épaissie et les corticales rénales modifiées. Ce tableau clinique laisse suspecter en première hypothèse un lymphome digestif.

Une cytoponction échoguidée à l’aiguille fine des nœuds lymphatiques est réalisée. L’analyse cytologique met en évidence un volumineux infiltrat granulomateux. Les macrophages présentent une activité de phagocytose importante et contiennent de nombreux éléments de petite taille (3 ou 4 µm) non révélés par la coloration au May-Grünwald Giemsa. Cette présentation est évocatrice d’une mycobactériose.

Le diagnostic de certitude est établi via une mise en culture et une analyse par polymerase chain reaction (PCR), toutes deux positives sur une biopsie ganglionnaire. En outre, le séquençage des produits d’amplification de la PCR permet d’aboutir au typage de l’espèce de la souche : Mycobacterium avium subsp.

L’hypertrophie ganglionnaire est responsable d’une torsion intestinale

Au cours de son hospitalisation, l’état de l’animal se dégrade. Il présente une diarrhée et une anorexie totale. A la suite du diagnostic de mycobactériose, une association de plusieurs antibiotiques spécifiques est prescrite : cefoxitine (Zeclar®(1)), rifampicine (Rifadine®(1)) et marbofloxacine (Marbocyl®). Dès le début du traitement, les troubles digestifs disparaissent et l’état général s’améliore. Deux mois plus tard, le chat est présenté en urgence, en état de choc, et meurt malgré la réanimation entreprise.

A l’autopsie, l’hypertrophie des nœuds lymphatiques mésentériques est marquée (5 cm, voir photo 2) et à l’origine d’une torsion digestive, avec infarcissement et péritonite focale secondaires. Les analyses histologiques du foie, de la rate et des nœuds lymphatiques mésentériques montrent une infiltration par des mycobactéries (coloration de Zhiel-Neelsen positive). L’animal est donc certainement mort des complications de la mycobactériose, non de la maladie elle-même.

Les mycobactéries sont responsables d’inflammation chronique

Les mycobactéries sont considérées comme des bactéries à Gram positif, aérobies, non sporulées. La richesse en lipides de leur paroi explique, en grande partie, leur résistance à de nombreux antibiotiques (molécules hydrophobes), ainsi que leur propriété d’acido-alcoolo-résistance, quasi exclusive du genre Mycobacterium et mise à profit dans la coloration de Ziehl-Neelsen. Leur pouvoir pathogène s’exprime par le développement d’une maladie chronique avec des lésions inflammatoires dites “tuberculeuses”. Elles se caractérisent également par un fort pouvoir allergène.

De façon simplifiée, les mycobactéries peuvent être divisées en trois groupes (selon J.P. Euzéby) : Mycobacterium leprae, les mycobactéries responsables de tuberculose ou mycobactéries du complexe Mycobacterium tuberculosis (M.bovis, M. tuberculosis, M. canettii, M. microti, M. pinnipedii et M. africanum), et les mycobactéries non responsables de tuberculose (MAMT ou MOTT : Mycobacteria other than tuberculosis) autrefois qualifiées de mycobactéries atypiques. Parmi ces dernières, les mycobactéries à croissance lente (dont M. avium subsp.) sont distinguées de celles à croissance rapide.

La voie digestive serait une voie d’entrée privilégiée chez les carnivores domestiques

M. avium appartient, avec M. intracellulare, au complexe Mycobacterium avium, un groupe hétérogène de mycobactéries ubiquitaires et résistantes. M. avium, agent de la tuberculose aviaire, est un pathogène opportuniste chez les sujets immunodéficients (en particulier atteints du Sida) qui provoque des infections généralisées.

Les principales sources de contamination sont les eaux et les sols. Les chiens et les chats peuvent se contaminer par voie transcutanée ou oro-nasale. La voie digestive semble être une bonne porte d’entrée et explique la prédominance des signes digestifs observés.

Les cas de mycobactérioses disséminées à M. avium chez les carnivores domestiques décrits dans la littérature sont peu nombreux (moins d’une trentaine au cours des quarante-cinq dernières années). Dans une étude de R.M. Baral(2), douze cas sont rapportés entre 1994 et 2005 en Amérique du Nord et en Australie. Les signes cliniques observés sont comparables à ceux du cas présenté, avec une prédominance des troubles digestifs (dysorexie, perte de poids et diarrhée) associés à une hypertrophie des nœuds lymphatiques mésentériques. Cependant, une hypertrophie des nœuds lymphatiques périphériques, parfois associée à des troubles respiratoires, est également rapportée.

Une immunodépression est souvent sous-jacente à la forme disséminée

Cette étude rétrospective évoque une possible prédisposition des races félines abyssin et somali, expliquée par une immunodéficience familiale qui les rend plus sensibles aux infections par les mycobactéries à croissance lente.

Chez l’homme, les formes disséminées sont généralement associées à une déficience de l’immunité à médiation cellulaire. Une modification du ratio des lymphocytes T CD4+ et CD8+ est observée chez des sujets HIV positifs atteints de mycobactériose disséminée à M.avium. Chez le chat, l’hypothèse qu’une lymphocytopénie en CD4+ est également émise.

Dans le cas présenté, les tests rapides FeLV et FIV réalisés sur le sang périphérique sont négatifs et confirmés par la PCR sur un prélèvement de nœud lymphatique mésentérique. Une analyse des populations en lymphocytes T par cytométrie en flux aurait été intéressante, afin de mettre en évidence d’éventuels désordres de ces différentes populations.

L’exérèse des nœuds lymphatiques atteints améliorerait le pronostic

La variété des espèces et des sous-espèces de mycobactéries entraîne un important polymorphisme clinique, dû à la localisation préférentielle de la mycobactérie et à l’extension ou non de l’infection (forme localisée/disséminée). Les publications de cas isolés décrivent des chats atteints de panniculite, de nodules cutanés et/ou sous-cutanés, de pneumonie granulomateuse, de névrite pyogranulomateuse et d’irido-cyclite. Concernant M. avium, les chats peuvent être traités par une combinaison d’antibiotiques. Selon les études, l’exérèse des granulomes ou des nœuds lymphatiques, lorsqu’elle est possible, semble avoir un intérêt dans le succès thérapeutique. Contrairement aux formes localisées, pour lesquelles la guérison complète est possible, les formes disséminées bénéficient d’un pronostic plus réservé, avec des réponses aux traitements variables, de la guérison supposée complète (un cas toujours en vie deux ans après le traitement et un autre mort sept ans après le diagnostic initial), aux récidives avec mort (entre trois mois et deux ans après la fin du traitement).

Dans notre cas, une combinaison d’antibiotiques a été choisie selon l’accessibilité des molécules, en particulier la marbofloxacine. Or cette fluoroquinolone n’a pas de réelle efficacité dans le traitement des affections à Mycobacterium avium. De même, la contribution de la cefoxitine est incertaine. Seule la rifampicine présente un réel intérêt. En définitive, la trithérapie, peu adaptée, a probablement contribué au développement de résistances et explique le bref succès du traitement.

Cytologie et PCR se complètent pour le diagnostic de mycobactériose

La cytologie ganglionnaire est la première étape clé dans la démarche diagnostique : elle infirme l’hypothèse clinique de lymphome et permet de suspecter une mycobactérie. A faible grossissement, une population lymphoïde (petits et moyens lymphocytes), représentant plus de la moitié des cellules nucléées, est observée. La seconde population majoritaire est représentée par des cellules à faible rapport nucléo-cytoplasmique, à cytoplasme clair granuleux et aux contours flous qui évoquent des macrophages (voir photo 3).

La cytologie est en faveur d’une adénite granulomateuse. A fort grossissement, une importante activité de phagocytose par les macrophages est notée : reliquats nucléaires, granulocytes neutrophiles (voir photo 4). Sont également observés des éléments fins non colorés (3 à 4 µm), visibles par contraste avec la basophilie du cytoplasme des macrophages. Ces éléments ont la forme de bâtonnets ou semblent parfois regroupés en petits paquets. Ils sont aussi visibles sur le fond du frottis lorsque ce dernier est suffisamment coloré pour créer une image par soustraction.

L’intérêt de la PCR dans ce cas est double. Elle permet de confirmer la suspicion cytologique, mais également d’évaluer le risque de zoonose par typage de la mycobactérie.

  • (1) Pharmacopée humaine.

  • (2) R.M. Baral, S.S. Metcalfe, M.B. Krockenberger et coll. : « Disseminated Mycobacterium avium infection in young cats : overrepresentation of Abyssinian cats », J. Feline Med. Surg., 2006, vol. 8, pp. 23-44.

  • Voir aussi la bibliographie complète de cet article sur le site WK-vet.fr, rubrique “Semaine Vétérinaire” puis “Compléments d’article”.

Mycobactériose et réglementation

La tuberculose au sens large des carnivores domestiques n’est soumise à aucune mesure réglementaire obligatoire. Cependant, l’euthanasie est fortement recommandée pour des raisons de santé publique, lors de diagnostic de M. bovis et M. tuberculosis (circulaire ministérielle du 17 mars 1970). Les risques de transmission à l’homme avec les mycobactéries du complexe avium-intracellulare semblent extrêmement réduits et concerner principalement les personnes immunodéprimées (HIV). Cependant, le faible nombre de cas rapportés ne permet pas de connaître le réel potentiel zoonotique des différentes sous-espèces, d’autant que le rôle pathogène de M. avium paratuberculosis est fortement suspecté dans la maladie de Crohn chez l’homme et dans les affections gastro-intestinales chroniques chez le chien.

La circulaire du 17 mars 1970 précise l’attitude à adopter lors de diagnostic d’une tuberculose (M. bovis ou tuberculosis) chez un carnivore domestique et recommande l’euthanasie. Si le propriétaire refuse, il est conseillé de lui faire signer une déclaration qui précise :

– que le vétérinaire a informé le propriétaire des risques encourus ;

– que l’animal est atteint de tuberculose confirmée par un examen de laboratoire ;

– qu’il constitue un danger pour les personnes et les animaux qu’il approche ;

– que le traitement est long, ne supprime pas dans tous les cas le danger signalé et présente, s’il est mal conduit, un risque pour la santé publique dû à la sélection de bacilles tuberculeux résistants aux médicaments actuels.

La déclaration auprès de la Direction départementale de la protection des populations (DDPP) n’est obligatoire que lors de tuberculose. Dans les autres cas de mycobactérioses, comme présenté ici, elle n’est donc pas imposée, mais il est conseillé de faire signer une déclaration au client, afin d’assurer une certaine protection au vétérinaire.

D. R.
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