L’agent de la paratuberculose est toujours sur la liste des suspects pour la maladie de Crohn - La Semaine Vétérinaire n° 1427 du 26/11/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1427 du 26/11/2010

Santé publique

Formation continue

RURALE

Auteur(s) : Karim Adjou

Les travaux continuent pour trouver une preuve formelle permettant de l’accuser définitivement, ou au contraire de l’écarter, car les ressemblances entre ces deux affections sont troublantes.

L’hypothèse d’une infection à Mycobacterium avium subsp paratuberculosis (MAP) à l’origine de la maladie de Crohn a été réactivée en 1984, quand des bactéries identiques en apparence à MAP ont été cultivées chez trois patients atteints de cette affection. Lors de son intervention à Maisons-Alfort, le 10 juin dernier, lors du colloque sur la paratuberculose des ruminants, le professeur Cortot (CHU de Lille) a présenté une synthèse des arguments en faveur et en défaveur de l’implication de MAP dans l’apparition de la maladie de Crohn chez l’homme.

De la difficulté de déterminer un portage sain de MAP d’une présence anormale

Des MAP ont été cultivés à partir du lait de deux femmes atteintes de la maladie de Crohn, mais ce travail unique n’a jamais été reproduit. Des cultures de MAP ont également été tentées à partir du sang périphérique, mais l’interprétation de ces résultats est difficile, car il est impossible de valider un lien de causalité. En effet, l’agent infectieux ne peut être cultivé et identifié de façon univoque (les quelques résultats positifs obtenus n’ont pu être reproduits par d’autres équipes), tandis que l’hôte a une sensibilité variable selon son patrimoine génétique.

La fréquence de détection de la séquence IS 900 par polymerase chain reaction (PCR) ou hybridation in situ et/ou cultures de MAP dans les tissus (prélevés par biopsie, pièce opératoire, ganglion lymphatique) de patients atteints de maladie de Crohn a été comparée à celle observée chez les malades atteints de recto-colite hémorragique ou de témoins. Les études positives retrouvent en moyenne la séquence IS 900 chez 40 % des patients du lot “maladie de Crohn” (13 à 72 %), chez 10 % du groupe “recto-colite hémorragique” (0 à 31 %) et 10 % des témoins (0 à 29 %).

A titre d’exemple, un récent travail français a détecté IS 900 chez 52 % des malades de Crohn, versus 2 % des patients souffrant de recto-colites hémorragiques et 5 % des témoins non inflammatoires. Cette étude est la première à étudier la corrélation entre la présence d’IS 900 et le phénotype de la maladie : il y a plus de détection positive d’IS 900 chez les sujets atteints de maladie de Crohn colique (70 %, versus 40 % dans les formes iléales distales).

Les valeurs chez les malades, et surtout chez les témoins, sont cependant disparates d’un essai à l’autre et rendent difficile une conclusion ferme sur le portage “normal” du germe (dans les populations de témoins) et en conséquence sur un portage “anormal” chez les malades.

Le déficit fonctionnel des plaques de Peyer pourrait favoriser l’invasion par MAP

La maladie de Crohn est une affection dont la prédisposition génétique est complexe. Plusieurs gènes de prédisposition, récemment identifiés et publiés, jouent un rôle dans la réponse immunitaire innée de l’hôte vis-à-vis des bactéries. Parmi eux, le gène NOD2 participe à la réponse immunitaire innée vis-à-vis de Mycobacterium tuberculosis. IRGM est également impliqué dans les processus de dégradation des mycobactéries intracellulaires. En outre, la voie de l’IL23/IL12, dont plusieurs gènes sont décrits mutés, est aussi impliquée dans la réponse de l’hôte vis-à-vis de M. tuberculosis. Ainsi, un lien physiopathologique entre les mycobactéries et plusieurs gènes de susceptibilité à la maladie de Crohn est rapporté. Même si l’étude de la réponse vis-à-vis de MAP reste encore peu explorée, il est plausible qu’une telle relation puisse être établie dans l’avenir.

Par ailleurs, un travail récent, réalisé en Sardaigne, ne montre pas de corrélation entre le portage de MAP et la présence de mutations du gène NOD2/CARD15. Les MAP (du moins IS 900) sont plutôt retrouvées plus souvent dans les formes coliques que dans les formes iléales, et pas plus fréquemment dans les formes précoces et/ou fibrosantes. Cela est en contradiction avec la forte association observée entre la présence des mutations NOD2/CARD15 avec le génotype de forme iléale, au début précoce et à la forme fibrosante.

Le gène NOD2 de susceptibilité à la maladie de Crohn joue un rôle dans le maintien de l’homéostasie des plaques de Peyer, points d’entrée des MAP (et de nombreux autres agents infectieux). Un déficit fonctionnel de ces plaques pourrait ainsi favoriser l’invasion de la muqueuse intestinale par MAP.

La comparaison anatomo-clinique ne permet pas de relier les deux affections

La comparaison clinique et anatomo-pathologique (voir tableau) entre les maladies de Johne et de Crohn montre qu’il s’agit, dans les deux cas, de maladies inflammatoires granulomateuses (granulome tuberculoïde) chroniques de l’iléon et du côlon, qui atteignent essentiellement des sujets adultes jeunes, entraînant un épaississement progressif de la paroi intestinale. Leurs signes cliniques sont dominés par la diarrhée et l’amaigrissement. Cependant, il existe des différences : les granulomes ne sont retrouvés dans la maladie de Crohn que dans un tiers des cas environ et il existe souvent des ulcérations profondes avec des fistules intestinales. Des manifestations extradigestives, articulaires, cutanées, oculaires, ainsi que des localisations ano-périnéales sont notées dans un quart des cas.

Dans l’hypothèse où les deux maladies auraient la même étiologie, il est cependant raisonnable d’envisager une certaine hétérogénéité interespèces quant à leur expression clinique, comme c’est le cas chez les ruminants, par exemple.

Il existe indiscutablement des sources d’infection possible par MAP dans les cheptels laitiers qui sont infectés par cette bactérie, en Europe, en Amérique du Nord et en Australie. En revanche, aucune donnée épidémiologique ne démontre une fréquence plus élevée de la maladie de Crohn chez les enfants élevés à la ferme, chez les adultes ayant été en contact avec des ruminants atteints de paratuberculose avérée, ou chez les malades de Crohn en rapport avec leur consommation d’eau de boisson et de lait pasteurisé. Cet argument négatif reste toutefois relatif, compte tenu du peu d’études publiées et de l’exposition probablement assez répandue à MAP, y compris en milieu urbain.

Malgré des données incomplètes, il ne semble pas y avoir de corrélation entre les incidences de paratuberculose et de maladie de Crohn. Par exemple, en Australie, la paratuberculose est inégalement répartie dans le pays, alors que la maladie de Crohn y est présente de manière homogène. En Suède, la paratuberculose est rare, alors que la maladie de Crohn est fréquente. En Islande, où des programmes de maîtrise de la paratuberculose ont été menés, il ne semble pas y avoir eu de chute notable de l’incidence de la maladie de Crohn.

Les données thérapeutiques semblent en défaveur d’un agent causal commun

Longtemps, les résultats des essais avec les antibiotiques antituberculeux ont été contradictoires, en partie parce que les MAP sont insensibles aux antituberculeux traditionnels. Aucune corrélation n’est mise en évidence entre l’efficacité de ces derniers et la présence d’IS 900 dans les tissus et/ou la réponse sérologique avant et après le traitement. Le bénéfice à court terme, observé sur les quatre premiers mois de traitement, est probablement dû à un effet non spécifique des antibiotiques.

Un argument clinique fort contre un rôle causal de MAP dans la maladie de Crohn est l’efficacité des corticoïdes et des immunosuppresseurs (azathioprine, méthotréxate), à la base du traitement de cette affection, et dont l’efficacité est établie à court et long termes. Dans les rares cas publiés d’association entre la maladie de Crohn et l’infection par le virus du Sida, cette dernière s’améliore parallèlement à la chute du taux de T lymphocytes CD4, alors que Mycobacterium avium intracellulaire prolifère lors d’infection par le virus de l’immunodéficience humaine.

D’autre part, les anticorps chimériques monoclonaux anti TNF (infliximab, adalimumab) améliorent (60 %) ou permettent une rémission (30 à 40 %) des cas de poussées de maladie de Crohn réfractaires, alors qu’il est admis que Mycobacterium tuberculosis peut proliférer sous ce traitement, entraînant un risque connu de reviviscence de tuberculose (en particulier extrapulmonaire), maximal après les premières injections. Cet argument est à prendre cependant avec précaution, car il n’est peut-être pas généralisable de Mycobacterium tuberculosis à MAP.

La paratuberculose reste l’un des candidats les plus étudiés pour la maladie de Crohn

Face à la complexité de la maladie de Crohn, il est possible de considérer que, seulement dans une faible fraction de la population, définie par sa prédisposition génétique, l’affection se développe quand elle est exposée à un ou plusieurs agents environnementaux encore mal connus. Pour une majorité d’auteurs, ces agents environnementaux doivent être recherchés parmi les bactéries qui entrent en contact avec la muqueuse intestinale. Pour beaucoup, ces bactéries n’auraient rien de spécifique et il est illusoire de vouloir identifier un agent causal particulier. Il ne s’agirait que d’une réactivité anormale de l’hôte à sa flore endogène normale. Pour d’autres, un ou plusieurs agents infectieux, peu virulents chez un individu normal, pourraient déclencher la maladie. Parmi ces agents, plusieurs candidats ont été étudiés puis abandonnés (virus de la rougeole, par exemple) ou sont encore à l’étude (MAP, E. coli, Yersinia, Listeria, etc.).

Pour chacun de ces agents, des arguments plaident en faveur de leur rôle (détection dans les lésions, réponse immunitaire anormale chez les malades, interaction entre la bactérie et les gènes de susceptibilité connus pour la maladie de Crohn, etc.). Toutefois, il n’existe pour aucun d’entre eux une démonstration formelle de leur rôle causal dans la maladie. Ce rôle reste par essence difficile à établir, puisque la recherche ne porte pas sur un agent pasteurien traditionnel (relation directe entre l’exposition et la maladie, et vice versa). En outre, ces hypothèses ne sont pas mutuellement exclusives.

MAP apparaît donc comme l’un des candidats les plus étudiés dans la maladie de Crohn. Il existe des arguments fortement en faveur du rôle de la bactérie (tels que la présence de MAP, ou de bactéries du complexe MAC, dans les lésions, et la ressemblance anatomo-clinique avec la paratuberculose animale) et d’autres nettement en sa défaveur (comme l’inefficacité du traitement anti-MAP ou l’amélioration des lésions sous anti-TNF).

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