LA RESPONSABILITÉ EST LE FARDEAU DU PRATICIEN - La Semaine Vétérinaire n° 1426 du 19/11/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1426 du 19/11/2010

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Auteur(s) : Marine Neveux

La responsabilité du praticien équin peut être engagée à plusieurs occasions lors de son exercice. Un tour d’horizon des différents litiges auxquels sont confrontés les vétérinaires a été effectué lors de la dernière formation de l’Institut du droit équin qui s’est tenue à Bordeaux, le 8 novembre dernier, en marge des journées annuelles de l’Association vétérinaire équine française (Avef).

Le devoir d’information, l’obligation de moyens, s’assurer que le représentant du propriétaire est dûment mandaté pour l’acte effectué sont quelques-uns des sujets abordés lors de la dernière session de formation de l’Institut du droit équin (IDE), avec à l’appui des exemples concrets et des comptes rendus de jugements parfois déroutants… Ces thèmes concernent d’ailleurs tous les praticiens, quel que soit leur type d’exercice, car il s’agit là des principes généraux du droit (contrat de soins, continuité des soins, etc.).

ARTICLE 1 : EN MATIÈRE DE CHIRURGIE ET D’ANESTHÉSIE, LA RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE S’APPLIQUE

Dans le domaine de la chirurgie et de l’anesthésie, c’est la responsabilité contractuelle qui est mise en cause. La responsabilité délictuelle est donc exclue dans ce cadre, « cela évite que le vétérinaire soit appelé dès lors qu’il passe près d’un cheval, alors que le contrat de soins n’est pas créé », a développé Me Bruno Perrin, avocat et membre de l’IDE.

• Exemple : le tribunal de grande instance de Limoges est saisi par un propriétaire qui estime que la mort de son cheval est liée à l’absence du vétérinaire.

Les faits : l’étalonnier appelle le vétérinaire pour un cheval en coliques, mais ce dernier n’est pas missionné par le propriétaire. A la suite de lésions du côlon, le cheval meurt. Le propriétaire met alors en cause la responsabilité du dépositaire et du vétérinaire. Heureusement, le tribunal de Limoges a exclu la responsabilité délictuelle. Sans ordre du propriétaire, le contrat de soins n’était pas créé. Cette décision n’a pas été frappée d’appel.

Conclusion : il se forme entre le vétérinaire et son client un contrat de soins. Les soins doivent notamment être conformes aux données acquises de la science (et non actuelles, car ce terme peut inclure des données qui peuvent ne pas être suffisamment admises).

« Le vétérinaire est soumis à une obligation de soins qui doit être circonscrite à une obligation de moyens », a souligné Bruno Perrin. En responsabilité contractuelle, il est aussi question d’obligation de résultat.

Une responsabilité étendue de l’avant jusqu’à l’après

« La responsabilité du vétérinaire est large, car elle commence avant même l’intervention », a expliqué Bruno Perrin (par exemple, en se posant la question d’opérer dans l’écurie ou dans sa clinique). Elle s’étend aussi pendant et postérieurement à l’intervention.

En 1997, une décision de justice engage la responsabilité d’un vétérinaire, car il n’a pas réalisé l’examen préopératoire qui aurait pu permettre de déceler une affection respiratoire. Ainsi, avant toute intervention, un examen préopératoire est nécessaire.

• Exemple : un cheval est anesthésié pour la suture d’une plaie superficielle. A son réveil, il souffre de troubles et d’un traumatisme crânien. Il est d’abord reproché au vétérinaire d’avoir mal dosé son anesthésique, car le cheval s’est réveillé deux fois durant l’intervention. Dans ce jugement de 2009, la cour de Rouen précise aussi que le praticien n’a pas prévu le réveil mouvementé du cheval : en se débattant, l’animal a subi un traumatisme crânien qui a nécessité une euthanasie. Il est reproché au vétérinaire de ne pas avoir prévu de moyen de contention suffisant.

• Exemple : un vétérinaire est appelé pour un abcès à l’encolure et pratique une ponction. L’abcès dégénère, la carrière du cheval en compétition est interrompue. Il est reproché au vétérinaire une absence de drainage et de ne pas avoir mis en place une chirurgie ad hoc. « C’est un peu terrifiant d’aller jusque-là ! », déplore Bruno Perrin.

• Exemple : le vétérinaire est appelé pour une cryptorchidie unilatérale. Au réveil, le cheval souffre d’une toxi-infection. Elle est reprochée au vétérinaire, car l’intervention a duré cinq heures et le cheval est resté couché sur la même épaule sans la protection d’un coussin. La cour d’appel de Toulouse a estimé que l’épaule aurait pu être mieux vascularisée et la toxi-infection évitée.

• Exemple : une hernie inguinale étranglée est opérée et évolue en hernie ventrale et en fourbure. Le cheval doit alors être euthanasié. La cour d’appel de Nancy évoque une « suite diabolique de complications en cascade » à l’aide d’une série de « peut-être que… ». Chacun appréciera la précision de ce terme, souvent employé dans la décision de la cour. En outre, il est reproché au vétérinaire de ne pas avoir fait signer une décharge, après avoir conseillé d’hospitaliser le cheval plus longtemps : sans preuve, sa condamnation est inévitable… Il aurait dû résister à la pression du propriétaire et garder le cheval à la clinique.

• Exemple : un vétérinaire est appelé pour soigner une tendinite. Le propriétaire, qui espère vendre son cheval, reporte l’intervention qui est alors réalisée tardivement. Selon le tribunal, le vétérinaire est responsable, car il n’a pas assez mis en garde le propriétaire.

« En conclusion, cette responsabilité paraît lourde, mais l’étymologie de “vétérinaire” n’est-elle pas “apte à porter des fardeaux” ? », a ironisé Bruno Perrin.

ARTICLE 2 : INTERVENTIONS DE CASTRATION

Selon la responsabilité contractuelle (suite de l’arrêt Mercier), le vétérinaire doit délivrer des soins consciencieux, attentifs, fidèles aux données acquises de la science. Surtout, il est tenu de fournir toutes les informations concernant l’acte médical. Il est soumis à une obligation de moyens. Il convient donc de veiller à la conservation de la chose, en apportant tous les soins d’un bon père de famille. La charge de la preuve revient au propriétaire.

Le recueil du consentement éclairé est essentiel

Une obligation de moyens pèse sur le vétérinaire dans le cas de la castration (l’obligation de résultats ne concerne que le matériel utilisé). « Pour cet acte, nous ne sommes pas encore dans une obligation de résultats, mais nous allons vers une obligation de moyens renforcés, car il n’y a pas d’urgence et le cheval est sain », a précisé Me Florence de Fréminville, avocat et membre du comité directeur de l’IDE.

Le devoir d’information est une obligation déontologique également consacrée par la jurisprudence. En 1961, cette obligation d’information est définie : elle doit être simple, approximative, intelligible et loyale.

L’arrêt agenais de 1992 ajoute l’obligation de recueillir le consentement éclairé du propriétaire. Se pose alors la question de la charge de la preuve. Jusqu’en 1997, c’est au propriétaire de démontrer qu’il n’a pas été informé. Depuis 1997, c’est au vétérinaire de démontrer qu’il a informé son client avant l’intervention. Cela met le praticien dans une position délicate.

• Arrêt du 16 décembre 1997 : la cour d’appel de Caen se prononce sur la responsabilité du vétérinaire quant à ce devoir d’information. Le fait que le plaignant soit éleveur et ait déjà fait appel au vétérinaire suffit pour montrer qu’il avait conscience du risque (la qualité de l’interlocuteur est donc prise en compte).

• Décision postérieure du tribunal de Lisieux : appelé chez une personne qui possède de nombreux chevaux pour une castration qui évolue vers une éventration, le vétérinaire adopte la même ligne de défense, mais cette fois le tribunal estime qu’il n’a pas rempli son obligation d’information, car la connaissance potentielle et théorique du risque par quelqu’un qui n’est pas vétérinaire ne suffit pas. Le conseil doit donc être délivré, quoi qu’il arrive et quelle que soit la qualité de l’interlocuteur.

Ces principes sont mis en œuvre avant, pendant et après l’intervention

« Pour le choix de la technique opératoire qui sera adoptée, il convient de dialoguer avec le propriétaire. L’obligation va jusqu’à l’informer sur la technique même. Cette dernière doit être détaillée avec lui et il doit en choisir une. Mais le choix final appartient au vétérinaire, qui peut refuser l’opération s’il n’adhère pas à la technique », a détaillé Florence de Fréminville. Il faut aussi recueillir les informations auprès du propriétaire quant au cheval lui-même (éventuels antécédents, etc.).

« Le formulaire conçu par l’Avef est un bon moyen pour éviter la mise en cause », a rappelé Philippe Lassalas. Ce formulaire, disponible sur le site avef.fr, fait suite à la conférence de consensus organisée par l’association en 2002.

• Préconisations préopératoires : un praticien a ordonné une diète de vingt-quatre heures avant l’opération. En raison de l’activité intense du cheval, la cour d’appel de Caen, dans son arrêt du 20 février 2001, estime que la diète aurait dû être de huit jours. Ce qui est d’ailleurs aujourd’hui en contradiction avec les recommandations…

• Examen clinique préopératoire : un cheval, opéré sous anesthésie, présente une brusque dépression respiratoire et meurt, alors que le vétérinaire est parti chercher son matériel dans son véhicule. La cour d’appel de Lyon, dans l’arrêt du 20 décembre 2001, estime qu’il aurait dû l’avoir à disposition durant l’intervention, et non dans la voiture.

• Suivi postopératoire : la cour d’appel de Rouen, en novembre 1998, revient sur l’obligation d’information pour l’opération elle-même, mais également pour les complications postopératoires (obligation d’information et de surveillance postopératoire). De même, la cour d’appel de Caen, le 20 février 2001, indique que la surveillance postopératoire fait partie des obligations du praticien. Le vétérinaire doit s’assurer de sa disponibilité personnelle ou donner les coordonnées d’un confrère.

La responsabilité peut être engagée sur la perte de chance

Quelles sont les sanctions de ces éventuelles erreurs ? Le propriétaire assigne le vétérinaire en justice, le préjudice correspond à la valeur de l’animal, mais en fait la responsabilité est engagée sur la perte de chance : le praticien a spolié le propriétaire d’une chance d’échapper au risque s’il avait pris une autre décision. Il faut un lien certain. Cette perte de chance n’est pas toujours facile à déterminer et à quantifier.

• Arrêt de la cour d’appel de Rouen : la responsabilité du vétérinaire est retenue, car il n’a pas permis à l’éleveur d’évaluer correctement sa décision.

• Arrêt de la cour d’appel de Toulouse du 22 octobre 2002 : perte de chance de survie.

ARTICLE 3 : RESPONSABILITÉ DANS LE CADRE DU SUIVI GYNÉCOLOGIQUE

Plusieurs décisions de la Cour de cassation précisent bien que l’échographie est un acte vétérinaire. « A partir du moment où l’on recherche l’état de gravidité d’un animal, c’est un acte diagnostique », a recadré Me Blanche de Granvilliers, avocat et membre du comité de l’IDE.

L’obligation d’information du vétérinaire dans le suivi gynécologique

• Arrêt de la cour d’appel de Caen de 1995 : désormais, le recours à un examen échographique est une pratique courante. Mais, de même que la castration, le suivi gynécologique reste une opération de confort.

• Arrêt de la cour d’appel de Caen : si le suivi gynécologique des juments est nécessaire, elle estime que l’état de viduité de gestation peut être montré avec des moyens inoffensifs (prise de sang, analyse d’urine !) et ajoute que toute autre méthode comporte des risques dont le propriétaire doit être informé. L’arrêt n’est pas contesté en Cour de cassation. Le vétérinaire doit obtenir l’accord du propriétaire ou celui de son mandataire, à condition que ce dernier ait un mandat autorisant à effectuer ce type d’examen. Donc, le praticien doit vérifier ce mandat… Critère qualitatif : dès qu’il y a un risque mortel, le propriétaire doit être informé.

• Jugement du 14 novembre 2005 : une société d’entraînement soutient qu’elle n’a pas été informée des risques d’un examen rectal.

• Arrêt de la cour d’appel de Caen : le seul fait pour le propriétaire d’avoir confié sa jument à l’étalonnier ne vaut pas autorisation de réaliser une échographie !

• Arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 mai 2005, confirmé par la Cour de cassation : à la suite d’un examen par voie rectale et d’une déchirure, une jument meurt. Selon l’expert, le vétérinaire n’a pas commis d’erreur dans la façon de pratiquer l’examen. Pour la cour d’appel, l’examen rectal s’effectue lors de diagnostic et il faut assurer une contention prudente. Or le vétérinaire dit que cet accident est survenu dans des locaux où il n’était pas facile de faire l’examen et que la taille de la jument l’exposait à un risque accru. La Cour de cassation répond que la jument n’est pas si petite que cela et que l’incident ne peut être dû au problème des installations. La jument a déjà été examinée par le vétérinaire pour des suivis échographiques. Ce jour-là, elle était mal disposée. Selon la cour, le praticien aurait dû reporter l’examen, car la jument était récalcitrante !

• Arrêt du tribunal de grande instance d’Angers : une société d’entraînement confie sa jument à un éleveur qui affirme ne pas avoir été mis au courant des risques liés à l’échographie. Là, le tribunal de grande instance retient la responsabilité du vétérinaire. La jument est décrite comme nerveuse, stressée, et le tribunal estime que, compte tenu de son état, il peut être retenu un manque de précaution du vétérinaire, qui aurait dû différer son acte.

Responsabilité dans le suivi gynécologique

Au niveau du diagnostic, il est admis qu’il existe une obligation de moyens renforcés.

• Cour d’appel de Poitiers du 1er juin 2005 : un vétérinaire fait avorter une jument qui présente une gestation gémellaire. Après une nouvelle insémination et trois examens, la gestation est confirmée et la saillie payée. Quatre mois plus tard, la jument avorte de deux poulains. Le tribunal déboute les propriétaires qui font appel. Il dit qu’il s’agit d’un diagnostic difficile, que cela reviendrait à dire qu’il y a une obligation de résultat. Les propriétaires n’obtiennent même pas une expertise.

ARTICLE 4 : LA RESPONSABILITÉ CIVILE DANS LA CONTINUITÉ DE SOINS

La notion de continuité de soins est intégrée au contrat de soins. « Le vétérinaire est responsable, à partir d’un acte chirurgical donné, de la conséquence de cet acte et des traitements qui impliquent la suite de cet acte », a expliqué Me Bruno Chain, avocat et secrétaire général de l’IDE. C’est une obligation de moyens assortie d’une obligation d’information et de conseil. « Pour l’instant, la jurisprudence semble assimiler les deux. » Pourtant, l’information est objective, le conseil est subjectif et dépend de la situation, du cheval, etc.

L’obligation de continuité de soins comporte en outre une obligation de transmission : « Il convient de transmettre à votre successeur toutes les obligations pour le suivi et le traitement du cheval. »

Etablir un document écrit pour servir de preuve

« Vous avez à respecter cette obligation de conseil et vous avez à le prouver, a martelé Bruno Chain. Vous allez entrer dans le formalisme, vous avez un document à établir au terme duquel celui qui vous a confié le cheval reconnaît être dûment informé. Vous avez en outre un devoir de précaution en matière de dopage. »

• Arrêt de la cour d’appel de Rennes : le vétérinaire a manqué à son devoir d’information et de conseil en n’informant pas du délai d’action d’une substance.

• Arrêt de la cour d’appel de Nancy 2009 : il montre bien que c’est au vétérinaire d’assumer la continuité de son acte initial. Celui qui a effectué l’opération ne peut pas se décharger sur un confrère. C’est le vétérinaire initial qui est responsable de son acte jusqu’à la fin des soins, sauf à prouver que ce sont les soins ultérieurs qui sont responsables de la mort de l’animal.

La problématique de la personne mandatée

L’obligation d’information sur les soins est due au propriétaire. Se pose alors le problème du mandat, qui peut être aussi bien verbal qu’écrit. La personne qui demande les soins doit posséder un mandat approprié. La forme écrite est conseillée… De même, il est recommandé au vétérinaire de s’assurer que cette personne est soit le propriétaire, soit détient un mandat adapté (incluant le type d’examen à pratiquer), car ce dernier peut être limité.

M. N.
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