La souffrance rituelle - La Semaine Vétérinaire n° 1425 du 12/11/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1425 du 12/11/2010

Entre nous

VOUS AVEZ LA PAROLE

Auteur(s) : Philippe Mélon

Fonctions : président du Syndicat des vétérinaires de Paris-Ile-de-France, trésorier du Conseil national de protection animale.

Je suis extrêmement étonné des réponses apportées par le grand rabbin Fiszon lors de l’entretien qu’il a accordé à La Semaine Vétérinaire(1). Il souligne que le judaïsme est sensible au respect et au bien-être animal et s’oppose à toute souffrance inutile infligée aux animaux. En tant que vétérinaire et membre du Conseil national de protection animale, je ne peux que le rejoindre et applaudir à ces propos. Les praticiens luttent depuis des années pour diminuer la douleur de leurs patients lors de soins ou de chirurgie. Lorsqu’il dit qu’il faut aborder ces sujets en agissant avec tact et prudence, je ne peux qu’être en accord avec lui. Mais le reste de son discours est pour le moins déroutant.

Ainsi, il est résolument opposé à la proposition de loi du sénateur Nicolas About, qui vise à encadrer l’abattage rituel, prétendant qu’elle repose sur des conclusions anciennes. Or, je rappelle que l’étourdissement préalable à l’abattage a été introduit en France il y a plus de quarante ans, et que la directive européenne sur la protection des animaux au moment de leur abattage (n° 93/119 du 22 décembre 1993) a été transposée en droit français en 1997. Les articles R.214-65 et suivants du Code rural disposent ainsi que « toutes les précautions doivent être prises en vue d’épargner aux animaux toute excitation, douleur ou souffrances évitables pendant les opérations de déchargement, d’acheminement, d’hébergement, d’immobilisation, d’étourdissement, d’abattage ou de mise à mort ».

Afin de respecter cette ligne directrice d’une moindre douleur chez les animaux abattus, il est fait obligation de les immobiliser dans un dispositif de contention et de les étourdir avant de les saigner. L’étourdissement est obtenu par un procédé mécanique (pistolet perforant ou assommant), électrique (pinces) ou gazeux (caisson de CO2) qui a pour but de plonger immédiatement l’animal dans un état d’inconscience, afin de ne pas ressentir de douleur. La mise à mort de l’animal (par saignée) doit alors intervenir avant qu’il ne reprenne conscience (lorsque M. Fiszon parle de gazage des porcs, il ne s’agit en l’occurrence que d’un étourdissement gazeux réversible). Sur ce sujet, M. Fiszon pourrait prendre connaissance des travaux de l’Académie vétérinaire de France (rapport au ministre de l’Agriculture sur le degré de réversibilité de l’étourdissement des animaux d’abattoir tel qu’il est pratiqué en France, décembre 2006).

Des travaux et rapports récents (2004 à 2009), qui émanent de l’Inra, de la Fédération des vétérinaires d’Europe (FVE), de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), montrent que l’exsanguination (la saignée) sans étourdissement préalable est une source de peur, de stress et de douleur importante et prolongée (jusqu’à quinze minutes pour un bovin) en raison de l’existence de circulation sanguine collatérale en région cervicale chez les ruminants. Je doute que M. Fiszon n’ait pas connaissance de ces travaux ; sinon, je me ferai un devoir de lui communiquer, ainsi qu’à toute personne qui m’en ferait la demande.

D’autre part, M. Fiszon parle des échecs « fréquents » de l’étourdissement : s’ils existent effectivement (principalement lors d’utilisation du pistolet d’étourdissement), ils sont en réalité évalués à 5 % par l’AESA (et non à 18 %). La réglementation impose, dans ce cas, de réaliser immédiatement un nouveau tir, et en comparaison des 100 % d’absence d’étourdissement lors d’abattages rituels, point n’est besoin de commentaires. J’ai oublié de souligner que M. Bruno Fiszon est également docteur vétérinaire (N 85) et membre de l’Académie vétérinaire de France : il a sans doute oublié quelques séances de notre vénérable institution qui traitaient de ces sujets.

Le grand rabbin Fiszon critique en outre l’étiquetage qui permettrait aux consommateurs de connaître le mode d’abattage des animaux dont ils achètent la viande, sous prétexte qu’il devrait aussi comporter d’autres mentions comme le mode de transport ou la méthode d’étourdissement. Il craint en fait que chacun sache que la viande vendue dans les rayons est issue de l’abattage rituel, alors qu’aujourd’hui rien ne permet de le déterminer (sauf à identifier l’abattoir, certains, pour des raisons de rapidité, ne pratiquent plus que ces méthodes). Or, cet étiquetage doit impérativement être mis en place pour que l’on ne mange plus de viande abattue selon les rites de religions que l’on ne pratique pas.

Je comprends (un peu) que l’on puisse, au nom d’une religion que je respecte par ailleurs, comme toutes les grandes religions, être tributaire derites. Je comprends moins que l’on continue de pratiquer certains de ces rites d’un autre âge, issus en fait de préceptes hygiéniques visant à ne pas consommer de la viande avariée. Je ne vois pas en quoi ils peuvent contribuer à la dignité de l’homme dans la pratique de sa religion, dans la mesure où ils infligent des souffrances inutiles à des animaux que l’on prétend dignes de bien-être. Et en tout état de cause, je veux savoir ce que je mange.

La proposition de loi du sénateur Nicolas About est modérée et ne vise que deux choses essentielles : limiter la pratique des abattages rituels aux animaux destinés à la consommation des religions juive et musulmane, et informer les consommateurs du mode d’abattage des viandes qu’ils achètent : pourquoi alors s’opposer « résolument » à de tels projets si l’on a la conscience tranquille ? En permettant depuis des années des dérogations à la loi française et européenne, la France fait preuve d’une grande tolérance, dont seuls les animaux pâtissent. N’en demandez pas plus, M. Fiszon. Si votre conscience ne vous permet pas de déroger à vos traditions, il existe des régimes équilibrés et agréables qui ne font pas appel aux produits carnés.

  • (1) Voir La Semaine Vétérinaire n° 1422 du 22/10/2010 en page 19.

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