Maîtriser la vitesse, l’immédiateté, permet de ne plus confondre urgence et importance

Et si notre façon de vivre nous conduisait tout droit au désarroi… Pour ne pas perdre le nord, retrouvons notre boussole. Explications.

Tout, dans la société moderne, obéit à l’instantanéité

Nous sommes prisonniers du court terme. C’est le constat que fait Jean-Louis Servan-Schreiber dans son dernier livre, Trop vite, paru chez Albin Michel. Surtout, il fournit une explication pour comprendre le syndrome qui affecte l’ensemble de notre vie familiale et professionnelle, jusqu’à notre rapport à l’environnement.

Il souligne tout d’abord un paradoxe. Nous affirmons manquer de temps alors que nous vivons plus longtemps, disposons de davantage de temps libre, pouvons nous rendre aux quatre coins du monde en un minimum d’heures. Alors pourquoi cette étrange sensation ?

La véritable accélération du temps date du milieu du xix^e siècle, avec le développement des transports et des autres moyens de communication. Au point que la vitesse est devenue la norme. Personne, dans le monde moderne, accepte d’attendre. Tout obéit à l’immédiateté, même la vie amoureuse et sociale, avec les sites dits “sociaux” (liste d’amis, rencontres éphémères). La vitesse est devenue un mode de vie. Elle nous procure du plaisir, elle nous grise, mais, revers de la médaille, si nous n’y prenons pas garde, elle nous vide et génère « un vertige intérieur ». Les capacités de notre cerveau dépassent largement celles de notre corps. Comme le relève Jean-Louis Servan-Schreiber, « nos cerveaux n’ont pratiquement plus besoin de nos corps pour connaître, communiquer avec les autres ». Et l’accélération de nos vies joue sur notre psychisme, au point de devenir une drogue addictive. Le danger est la perte de mémoire, tant au niveau individuel que collectif. En échange de biens nombreux, la vitesse nous a privés de notre temps. Nous sommes en rupture avec les rythmes d’existence des générations précédentes. Nous ne prenons plus la peine de « penser le temps », autrement dit de tirer les conséquences de cette urgence permanente. Il nous faut donc prendre conscience et réfléchir à la façon de conserver notre faculté à penser, ce qui suppose d’adopter un temps plus long et d’éviter à tout moment le zapping intellectuel.

Gagner en vitesse, mais perdre en intensité

Søren Kierkegaard affirmait que « ce que l’on perd en étendue, on doit le gagner en profondeur ». L’inverse de ce que nous propose le monde actuel, si nous n’y prêtons pas attention. En confondant l’urgent et l’important, nous n’arrivons pas à classer toutes les informations qui nous parviennent. Nous devenons le jouet de nos émotions, suscitées par l’exposition permanente de la sollicitation de nos sens et par notre cerveau qui tourne en continu, sans qu’il s’agisse pour autant de notre propre réflexion. Alors que faire ? Nier la vitesse, la refuser ? Ce n’est pas possible. Dans le monde moderne, avec ses contraintes, il nous est impossible de ne pas vivre ces rythmes accélérés. En revanche, les vieilles traditions humanistes (qu’il s’agisse des Grecs, du taoïsme ou du bouddhisme) nous apprennent que l’antidote à l’angoisse, à la déperdition, se trouve dans le présent. Seul le présent est ressenti avec la totalité du corps et de l’esprit. Tout le reste n’est qu’une construction qui nous éloigne du ressenti. La technologie détermine dans une large mesure nos comportements. Priorité aux résultats. Il est donc indispensable de se ménager des plages de silence. Car sans silence, il n’existe pas de réflexion.

Il nous faut être le plus possible ancré en nous-mêmes, solides sur nos jambes, filtrer la vitesse et ne plus confondre urgence et importance. Car si nous n’y prenons pas garde, nous allons continuer à répondre en permanence à l’urgence. Quant à “l’important”, nous le traiterons quand notre emploi du temps nous le permettra, c’est-à-dire pratiquement jamais.