Les mesures de police sanitaire doivent être comprises pour être socialement acceptées - La Semaine Vétérinaire n° 1407 du 28/05/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1407 du 28/05/2010

Epidémiologie. Journées scientifiques de l’AEEMA

Actualité

Auteur(s) : Nathalie Devos

Pour atteindre les objectifs de prévention et de contrôle des maladies, l’information, la formation, mais aussi la compréhension des attitudes des acteurs concernés sont primordiales. La sociologie peut y contribuer.

Un trafic d’œufs cachés sous les sièges des voitures s’était organisé. » « On sortait la nuit pour déjouer la surveillance. » « Il nous arrivait de négocier avec les gendarmes, voire de les amadouer avec des victuailles, pour entrer dans la zone surveillée. » Voici quelques témoignages recueillis par Vanessa Manceron, ethnologue au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) auprès des habitants de la Dombes. En 2006, cette région est sous le feu des projecteurs et certains de ses habitants “entrent en résistance”. Le virus de l’influenza aviaire H5N1 HP (IA H5N1 HP)? est en effet détecté sur trois canards sauvages à Joyeux(Ain)? le 13février, puis dans un élevage de dindes à Versailleux une dizaine de jours plus tard. Des zones de protection et de surveillance, qui englobent une cinquantaine de communes, sont immédiatement mises en place. Outre les conséquences économiques, l’impact pour les habitants est multiple, explique Vanessa Manceron. Premier choc : le maire de Joyeux apprend la présence du virus sur sa commune par les journalistes, et non par le préfet qui a déjà ordonné la mise en place des zones de protection et de surveillance. Les autorités locales se sont senties désavouées et délégitimées de ne pas avoir été informées en premier lieu et de ne pas avoir été consultées sur le zonage. Le conseil municipal démissionne.

Des barrières sanitaires vécues comme une perte d’autonomie et d’identité

Ce fameux zonage mis en place est le deuxième choc vécu par les habitants. Certains l’ont trouvé arbitraire, d’autres l’ont vécu comme un véritable encerclement. « D’aucuns, même si cela peut paraître choquant, ont même mis en parallèle cette situation avec l’état de siège subi durant la Seconde Guerre mondiale ! » ajoute l’ethnologue. « Il fallait montrer son carton de résident pour passer les barrages de police, nous nous sentions “pestiférés” et surveillés en permanence par les gendarmes », ont témoigné des locaux. Le troisième point confié à Vanessa Manceron est le fait qu’avec le zonage, les gens se sont sentis placés au même niveau que les animaux domestiques : en quelque sorte, hommes comme bêtes, tout le monde était confiné ! Pour les habitants, cette situation a été d’autant plus difficile à vivre que les véritables responsables étaient les oiseaux sauvages(1), « qui eux se fichent bien des barrières sanitaires ».

« En situation de crise, même si la réponse se doit d’être la plus rapide possible, la dépossession des responsabilités des populations locales dans l’action, et la désorganisation du quotidien des gens, mal informés sur l’intérêt des mesures mises en place, peuvent être à l’origine de comportements déviants, voire de résistances, nuisibles à la sécurité sanitaire », conclut Vanessa Manceron.

Cet exposé a introduit de façon concrète la question de savoir comment la sociologie, qui étudie les façons de penser et d’agir des hommes (voir encadré), peut contribuer à fournir des outils permettant de mieux comprendre l’influence du contexte socio-économico-politico-environnemental sur la compréhension des actions mises en place pour lutter contre des maladies animales, qu’elles soient zoonotiques ou pas. C’était le thème novateur des journées de l’AEEMA(2), qui ont eu lieu les 20 et 21 mai derniers à l’école d’Alfort.

Pour sa part, Emmanuelle Fillion (université de Brest) a expliqué que le comportement d’un individu par rapport à une maladie dépend de la représentation cognitive qu’il s’en fait. Ainsi, pour un éleveur, l’arrivée d’une affection dans son élevage peut être subie comme une “injustice”, une perte économique, et peut le faire passer (à ses yeux) pour un “mauvais éleveur”. Pour d’autres, combattre et repousser la maladie fait partie de leur façon d’exister. Cela explique les différentes attitudes observées vis-à-vis des mesures de police sanitaire.

Un niveau de connaissance des maladies globalement faible

Notre consœur Christine Fourichon (Oniris/Inra) a quant à elle présenté les résultats d’une enquête réalisée auprès d’éleveurs bovins sur leur représentation de la santé animale, dans le cadre de la mise en œuvre d’un plan de maîtrise de la diarrhée virale bovine (BVD). Il ressort, d’une part, qu’à la question « qu’est ce qu’un troupeau en bonne santé ? », les réponses sont (dans l’ordre décroissant des plus citées) : « Cela se voit » (apparence des animaux, calme), « c’est un troupeau bien conduit » (logement, alimentation, etc.), « il n’y a pas de maladies » (visibles ou courantes, comme les mammites), « il n’y a pas ou peu de frais vétérinaires » et « les animaux sont performants ». La représentation de la santé animale par les éleveurs ne fait donc pas systématiquement référence à l’absence de maladies, infectieuses en particulier. Cette étude de cas a aussi montré que la connaissance de la BVD, des risques de transmission et des possibles mesures de maîtrise, était globalement faible dans l’échantillon interrogé (vingt éleveurs).

Une autre étude, présentée par notre consœur Catherine Belloc(Oniris), confirme cette tendance en ce qui concerne l’IA H5N1 HP. Elle a été réalisée en 2009 chez vingt-cinq producteurs de poulets labels de deux régions de France. Un questionnaire leur a été remis dans lequel une liste de huit maladies aviaires est proposée. Pour chaque maladie, il leur est demandé de lui attribuer un symptôme et de la scorer (score élevé : symptôme qui caractérise le plus la maladie), mais aussi de fournir la source d’information permettant d’attribuer ce score. Les maladies les plus scorées sont, dans l’ordre décroissant, la coccidiose, la maladie de Gumboro, la colibacillose, puis l’IA H5N1 HP, en quatrième position. Pour le botulisme, aucun éleveur n’a été en mesure de donner un symptôme. La source d’attribution du score relève, en premier lieu, du vécu de l’éleveur (il a été confronté à cette maladie), suivi de l’encadrement technique des groupements. Pour ce qui est des conséquences économiques, la perte de production est le facteur le plus scoré (l’IA H5N1 HP obtient le score le plus élevé).

Notre consœur note qu’il est décevant de constater la faible connaissance de l’IA H5N1 HP par des éleveurs qui avaient pourtant été sensibilisés à ce risque, et souligne l’importance d’une meilleure formation et sensibilisation des producteurs, essentielles aux mesures de prévention et de contrôle des maladies.

Comprendre les comportements permet aussi de les faire changer

Florence Kling (Institut de l’élevage) a, pour sa part, développé les aspects à prendre en compte pour accompagner des changements de techniques et/ou de pratiques en élevage dans un contexte épidémiologique donné. Pour cela, il est nécessaire d’identifier les facteurs explicatifs des comportements des éleveurs. Ceux-ci reposent sur les connaissances(techniques, pratiques, scientifiques) qu’ils mobilisent dans leur activité, la représentation qu’ils ont de la réalité quotidienne (famille, travail, objectifs de vie, santé, etc.), les aspects matériels (organisation du travail et coût économique) et les groupes sociaux avec lesquels ils sont en contact (famille, amis, professionnels). Tous ces éléments peuvent en effet constituer des freins ou des leviers à un changement de pratiques. Une fois étudiés, ils permettent d’orienter des actions de conseil en élevage, qui peuvent être individuelles ou collectives. Pour qu’elles portent leurs fruits, il est nécessaire d’en cerner précisément l’objectif, le contenu technique, l’argumentaire le plus adapté, les supports d’action (écrits, réunions, démonstrations, etc.), ainsi que les partenaires et les relais sur le terrain auprès des éleveurs.

  • (1) Oiseaux sauvages non migrateurs venus de l’est de l’Europe à la suite d’une inhabituelle vague de froid.

  • (2) Association pour l’étude de l’épidémiologie des maladies animales.

La sociologie “pour les nuls”

Eric Birlouez, sociologue, a présenté quelques concepts de la sociologie.

La notion de “représentation” en est un. C’est une manière de penser socialement élaborée et partagée par les membres d’un même groupe, au sens large. « Par exemple, ce qui est mangeable biologiquement ne l’est pas toujours culturellement, selon les régions du monde » a expliqué Eric Birlouez, en citant le cas des insectes.

La notion de “norme” est un deuxième concept de la sociologie. Il s’agit d’une règle de conduite qu’un groupe social suit en général. « A la question “qu’est-ce qu’un vrai repas ?”, les Français répondent : entrée, plat, dessert », illustre le sociologue.

Le concept de distinction sociale est également à prendre en compte. Il se matérialise par des apparences ou des comportements. « En Inde, par exemple, le végétarisme des brahmanes est considéré comme une marque de supériorité. »

Enfin, il y a la notion de comportement d’un individu. Ce concept n’est pas facile à appréhender. Les enquêtes qualitatives de comportement montrent des différences entre le déclaratif et le réel. Selon Eric Birlouez, « pour faire changer un comportement, il faut informer, former, mais aussi comprendre la représentation des personnes et le contexte dans lequel elles vivent ».

N. D.
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