Le bacille du charbon pourrait être vectorisé par des tabanidés

Le charbon bactéridien frappe souvent les animaux en été, dans des zones déjà connues comme contaminées, et il pourrait être transmis par des vecteurs, notamment des taons. Si cette hypothèse vectorielle est déjà décrite dans la littérature, le laboratoire départemental d’analyses vétérinaires de la Savoie, dirigé par la biologiste Yvette Game, vient de la valider. Lors de la séance de l’Académie vétérinaire du 6 mai, cette dernière est venue présenter les résultats de l’étude qu’elle a menée pendant l’épizootie de charbon qui s’est déroulée de fin juillet à mi-août 2009 dans la vallée des Huiles, sur le canton de la Rochette en Savoie, et qui a provoqué la mort de trente bovins, ainsi que, fait plus rare, de deux chevaux. Devant l’ampleur et la rapidité de cet épisode localisé sur une bande de 25 km (treize communes concernées), le laboratoire s’est intéressé au contexte historique et environnemental et a voulu vérifier l’hypothèse vectorielle. Cette dernière lui avait été suggérée par le témoignage du propriétaire d’un cheval atteint qui a décrit l’apparition soudaine d’un œdème au poitrail, autour d’un point d’impact évoquant une piqûre d’insecte. Une infestation massive de tabanidés de grande taille avait par ailleurs été signalée à la même période par les éleveurs.

Le bacille est retrouvé sur les pièces buccales de taons capturés

L’analyse historique révèle que, sur les cent dernières années, la Savoie (et le canton de La Rochette en particulier) a été régulièrement sujette à des épisodes de charbon bactéridien, même si leur fréquence a récemment diminué. Selon Yvette Game, l’extension des domaines skiables, l’urbanisation et la diminution des cheptels pourraient l’expliquer. Du point de vue climatique, les stations météorologiques locales ont relevé une période chaude et humide les semaines précédant l’épizootie. Ces facteurs peuvent avoir joué un rôle dans la résurgence des spores et dans la surpopulation de taons. L’étude géologique a, par ailleurs, permis d’identifier une particularité commune aux zones touchées, à savoir des sols siliceux (calcaire roux) qui pourraient favoriser la conservation des spores charbonneuses. Les quelques analyses des sols et des herbages effectuées autour des foyers n’ont pas permis de retrouver le bacille. Selon la conférencière, cela mériterait de plus amples investigations. En revanche, le bacille a été retrouvé sur les taons capturés par les services vétérinaires. Les têtes des diptères ont été analysées séparément des abdomens et Bacillus anthracis n’a été isolé que sur les pièces buccales. Ces insectes hématophages, qui vont facilement d’un animal à l’autre, auraient donc pu intervenir dans la transmission au cours de cet épisode savoyard. Leur rôle passif ou actif n’est pas encore tranché. L’étude n’a pas non plus permis d’identifier précisément l’espèce de tabanidé impliquée et Yvette Game envisage de poursuivre son enquête vectorielle cette année.

Le protocole de prélèvement doit être sûr pour les préleveurs et l’environnement

Bacillus anthracis fait partie des micro-organismes et toxines qui sont réglementés et, depuis 2001, de plus en plus de contraintes sont imposées aux laboratoires qui les identifient et les manipulent, alourdissant leur travail. L’épisode de charbon bactéridien qui s’est déroulé dans le Doubs pendant l’été 2008 a été l’occasion pour son laboratoire départemental vétérinaire de réfléchir sur l’allégement de ces contraintes, avec un protocole de prélèvement qui soit sûr pour les préleveurs et l’environnement, et qui permette de donner rapidement un résultat fiable. Natacha Woronoff-Rehn, vétérinaire et pharmacienne, qui dirige ce laboratoire, est venue le 6 mai en faire le compte rendu. Lors de cet épisode qui a touché vingt exploitations et tué quarante bovins, les traditionnels prélèvements de rate, difficiles à manipuler, ont rapidement été proscrits. Une étude comparative avec des prélèvements de sang, de lait, d’oreilles et d’écoulements a alors été conduite. Comme le contact avec l’air facilite la sporulation du bacille, le sang en tube sous vide est apparu le prélèvement le plus sûr. La période minimale nécessaire au laboratoire pour annoncer un résultat négatif a également été déterminée à quarante-huit heures. Enfin, un délai maximal de trois jours entre la mort de l’animal et l’analyse a été établi par le laboratoire, en tenant compte des températures extérieures. Plus elles sont élevées, plus le prélèvement et sa réfrigération doivent être rapides.

Ces deux interventions ont permis de mettre en valeur le travail souvent mésestimé du laboratoire départemental d’analyses. Notre consœur Josée Vaissaire, qui les a organisées, en a profité pour souligner le rôle de maillon indispensable que ces structures exercent entre les vétérinaires praticiens et les laboratoires de recherche. Ces exposés ont montré également qu’ils étaient assez pertinents pour mener leurs propres travaux.