Eden dissèque les liens entre hôte, vecteur et pathogène - La Semaine Vétérinaire n° 1406 du 21/05/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1406 du 21/05/2010

Epidémiologie. Projet de recherche européen 2005-2010

Actualité

Auteur(s) : Stéphanie Padiolleau

La conférence internationale, tenue du 10 au 12 mai dernier à Montpellier, a présenté les résultats de cinqannées de recherches initiées par la Commission européenne.

Les changements climatiques ne rendent compte que d’une petite partie du problème lié aux maladies émergentes », assène Renaud Lancelot, coordinateur du projet Eden (Emerging Diseases in a Changing European Environment) et épidémiologiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). Eden, c’est d’abord un ambitieux projet de recherche à l’échelon européen et extra-européen, dont la meilleure réussite est la coopération et la collaboration d’équipes pluridisciplinaires et plurinationales, qui réunissent ainsi de multiples organisations et universités.

Les équipes de chercheurs rassemblées par ce projet devaient étudier les conséquences des changements climatiques sur l’émergence des maladies zoonotiques à transmission vectorielle. Ils se sont limités à des agents pathogènes connus, certains présents et dont l’incidence augmente ou dont la zone d’endémie s’étend, d’autres initialement absents qui envahissent une nouvelle région. Six maladies ont ainsi été spécifiquement explorées (voir figure en page14), sans compter la réalisation d’études transverses, regroupées en cinq catégories. Les responsables de chaque groupe sont venus présenter la synthèse de leur domaine d’investigation à Montpellier (Hérault), du 10 au 12 mai dernier, tandis que l’ensemble des recherches effectuées étaient présentées soit sous forme de communications orales, soit en posters. Un comparatif avec des situations similaires rencontrées en Amérique, en Afrique ou en Asie était également effectué.

Le nombre d’études réalisées, de publications, de thèses de doctorat et la masse de données et de connaissances ainsi accumulées sont considérables, eu égard au délai imparti et au nombre d’intervenants dans le projet. Le volume de ce qui reste à étudier est tout aussi impressionnant.

Un petit nombre d’acteurs créent une grande quantité de combinaisons épidémiologiques

Le principal résultat, sur lequel tous sont unanimes, est qu’il est impossible d’apporter une réponse simple et globale aux questions sur les maladies vectorielles. Il est clair que chaque situation dépend d’un certain nombre d’éléments : agent pathogène, hôtes animal et humain, vecteur, écosystème, climat. Ces éléments interagissent en une quantité énorme de combinaisons, ce qui fait de chaque situation un cas particulier. Le constat est le même pour la plupart des chercheurs : il est difficile d’appliquer les résultats obtenus sur les sites étudiés hors de ces mêmes sites. L’étape qui consiste à passer du local au général ne peut être franchie en l’état actuel des connaissances, même si ces dernières ont augmenté grâce au projet Eden. Le changement climatique, l’hypothèse de départ de l’augmentation de la fréquence d’apparition des maladies émergentes et vectorielles en Europe, n’a qu’une fraction de responsabilité. L’homme, son comportement, ses actions, son utilisation des sols, la politique économique, les décisions sanitaires jouent un rôle beaucoup plus important sur les relations entre hôtes, agents pathogènes et vecteurs pour expliquer l’émergence et la propagation des maladies vectorielles.

La cueillette des champignons : un facteur de risque majeur d’encéphalite à tiques

Plusieurs exemples en apportent la preuve. Les équipes qui étudient les maladies transmises par les tiques, dont la synthèse des résultats a été réalisée par Sarah Randolph (université d’Oxford, Royaume-Uni), se sont notamment penchées sur la dynamique de population des tiques et l’encéphalite à tiques, une maladie virale fréquente en Europe centrale, de l’Est, du Nord et qui commence à apparaître dans l’est de la France. Pour Sarah Randolph, « les zoonoses sont comme les icebergs : la partie visible n’enconstitue qu’une fraction qui varie dans le temps et l’espace ». Ces équipes ont étudié la dynamique des populations de tiques et de leurs hôtes forestiers. Elles ont plus particulièrement recherché chez les tiques la prévalence de l’encéphalite, d’Anaplasma phagocytophylum, de Babesia spp et Borrelia burgdorferi sur soixante-seize sites répartis dans treize pays (dont l’Allemagne, l’Italie, la république Tchèque, la Suisse, la Slovénie, etc.). Le hasard a fait don de deux pics épidémiologiques de cas humains d’encéphalite, en 2006 et en 2009. Ces deux cas de figure ont permis aux scientifiques de mettre en évidence un lien non pas avec la densité de tiques, mais avec le comportement humain et les données socio-économiques. En effet, 2006, en raison de données climatiques spécifiques, a été une année particulièrement bonne pour… les champignons ! Cette année-là, le ramassage des champignons a augmenté le contact entre le vecteur et l’homme, et a provoqué un pic d’encéphalites. L’an passé, la crise économique a joué le même rôle, en stimulant l’utilisation des ressources naturelles des forêts pour pallier les pertes d’emplois et les difficultés économiques. L’abondance des tiques n’a pas présenté, dans ces deux cas, de corrélation avec l’incidence de l’encéphalite à tiques chez l’homme.

En Europe de l’Ouest, une hausse progressive des cas de maladies transmises par les tiques est observée chez l’homme. L’augmentation de la densité des cerfs a, dans ce cadre, un effet prédominant, car ils fournissent un réservoir abondant aux tiques vectrices. Cependant, une influence croissante des comportements de loisir des hommes (balades en forêt), de la richesse des habitants et du taux de retraités est également noté. En Europe centrale et de l’Est, ce sont surtout les changements politiques qui ont un effet notable, en augmentant les conditions de vie extrêmes (pauvreté et richesse).

Le risque de réapparition du paludisme en France est négligeable actuellement

La malaria était présente en Europe et en France jusqu’au début du XXe siècle. « Le risque de sa réapparition en Europe est négligeable dans les conditions socio-économiques actuelles », a conclu Didier Fontenille (Institut de recherche pour le développement, France). Pourtant, les vecteurs sont toujours présents, voire abondants dans certaines zones, et toujours capables de transmettre Plasmodium falciparum. Leur compétence est cependant réduite par un manque de coadaptation entre parasite et vecteur. En outre, les contacts entre anophèles et parasites sont rares, car les foyers humains (toujours des cas importés pour la France) sont rapidement détectés et traités, ce qui stoppe le cycle du parasite.

La densité d’anophèles en Camargue apparaît intimement liée à la culture du riz et à l’utilisation des pesticides ou insecticides pour protéger ces plantations. Dans d’autres régions du monde, la culture du coton a constitué le facteur déterminant, ou encore les exploitations maraîchères. Utilisés initialement, DDT et pyréthrinoïdes ont induit une résistance chez les insectes, souvent apparue conjointement pour ces deux produits, ce qui a conduit à rechercher des méthodes alternatives.

Pour Simon Hay (université d’Oxford, Royaume-Uni), la pression de sélection des vecteurs par les traitements utilisés en agriculture est évidente, mais elle est également augmentée par l’accélération des programmes de contrôle vectoriel. L’usage des insecticides spécifiques pour traiter le riz, à la suite de la régulation européenne de 2007, n’a plus pour effet de réduire les populations de moustiques locales.

Les oiseaux sont des sentinelles utiles pour la santé publique

La Camargue est aussi étudiée en tant que zone d’émergence de la maladie du Nil occidental, comme le détroit du Danube, en raison de la forte densité d’oiseaux migrateurs et de foyers apparus chez des chevaux. Deux situations connues sont observées, en raison de différences épidémiologiques majeures. En Europe, cette maladie reste locale, avec des flambées rares, circonscrites dans le temps et l’espace, et un risque pour la santé publique stable. Outre-Atlantique, ce risque est devenu majeur après un premier épisode en 1999 à New York.

Les corneilles, oiseaux sociaux qui parcourent plusieurs dizaines de kilomètres par jour, ont joué un rôle clé dans la propagation du virus. Des mortalités massives sont alors observées à l’apparition du virus en 1999 et, dès 2000, de nombreux oiseaux sont porteurs du virus. Les cas humains et équins se comptent par milliers. D’ailleurs, selon Nicholas Komar, ornithologue du Center for Disease Control and Prevention (Etats-Unis), il ne faut pas se limiter aux mortalités anormales des oiseaux pour la surveillance du virus de la maladie du Nil occidental. En effet, les recherches menées montrent que des oiseaux manifestement morts de cause accidentelle se révèlent positifs vis-à-vis de ce virus. Les volatiles européens, ou ceux qui transitent par l’Europe au cours des migrations, sont étudiés pour déterminer pourquoi la maladie du Nil occidental ne se répand pas plus rapidement. En outre, les études menées en Roumanie montrent un rôle non négligeable des conditions socio-économiques, qui engendrent des situations sanitaires favorables à l’installation des populations de moustiques. La plate-forme Afrique constitue également un vivier d’études, avec comme cibles pour Eden la maladie du Nil occidental et la fièvre de la vallée du Rift.

La modélisation est réalisable au cas par cas, mais aucune généralisation n’est possible

Comment surveiller, quels outils mathématiques, quels indicateurs fiables utiliser ? Ces questions étaient également au programme des recherches. Les résultats sont variables. Les équipes qui se sont penchées sur les maladies transmises par les rongeurs ont réussi à prévoir l’émergence de la fièvre hémorragique avec syndrome rénal, causée par le puumalavirus dans les régions scandinaves, selon la dynamique de population et les communautés de petits mammifères, elles-mêmes dépendantes des conditions nutritionnelles. Cette maladie est fréquente dans les pays scandinaves, mais aussi en Belgique, en Allemagne, au Luxembourg et dans le nord-est de la France. En matière de leishmaniose, la modélisation est en cours. De bons résultats sont notés dans les zones de faible et de forte prévalences. Les barrières naturelles et géographiques sont aussi impliquées.

Pour Eric Lambin (université catholique de Louvain, Belgique), les paysages pathogéniques « n’entrent pas uniquement en compte dans la distribution des vecteurs et des maladies, mais aussi dans les interactions dynamiques entre les hôtes, les vecteurs et les agents pathogènes ». Les paysages, leurs contraintes, leur couverture végétale et leur utilisation sont également un facteur clé dans la propagation et l’installation des maladies vectorielles. Le climat intervient, parce qu’il conditionne la couverture végétale et l’humidité ambiante.

Il convient en outre de considérer la diversité biologique présente dans l’écosystème étudié. Dans certains cas, lorsque le nombre d’espèces d’hôtes et/ou de vecteurs est élevé, dans des zones à forte diversité biologique, le risque se réduit, car tous ne présentent pas la même sensibilité à l’agent pathogène et la même compétence vectorielle. La probabilité de contact entre hôte et pathogène est diminuée, de même que celle de contact entre agent pathogène et vecteur. Il s’agit de la théorie de l’effet de la dilution. Le risque est alors inversement proportionnel à la richesse biologique. Cependant, cela ne s’applique pas à toutes les maladies.

En général, les études scientifiques considèrent un système “hôte/vecteur/agent pathogène” unique. Or, dans la réalité, il y a cohabitation entre plusieurs vecteurs, plusieurs agents pathogènes, pour plusieurs hôtes ou réservoirs au sein d’un même biome. « La communauté locale de vecteurs et d’hôtes influe sur la fréquence de la maladie », a souligné Jean-François Guégan (Institut de recherche pour le développement, France). Ainsi, le schéma épidémiologique et les conditions de ses changements sont variables et diffèrent d’un endroit à l’autre. D’où la difficulté, voire l’impossibilité, de généraliser les modélisations obtenues pour les sites ou les situations étudiés. L’après-Eden a encore de quoi faire !

Quelques chiffres

• Projet Eden 2005-2010 :

– projet intégré au 6e programme cadre de recherche et de développement technologique de la commission européenne ;

– 49 partenaires, des centaines de scientifiques et doctorants réunis en 80 équipes ;

– 24 pays d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient représentés ;

– près de 200 publications, dont environ 20 % proviennent des centres de recherche et des universités montpelliéraines (10 % des partenaires) ;

– une soixantaine de thèses de doctorat.

• Conférence internationale :

– 450 congressistes issus de 20 nations ;

– 3 journées de conférences ;

– une vingtaine de conférences plénières ;

– une centaine de communications en sessions parallèles et autant de posters ;

– pas d’exposition commerciale.

S. P
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