POUR QUE L’ANIMAL NE SOIT PLUS “de la viande sur patte” - La Semaine Vétérinaire n° 1400 du 09/04/2010
La Semaine Vétérinaire n° 1400 du 09/04/2010

À la une

Auteur(s) : Marine Neveux

Le chemin est encore long. C’est ce que montre la dernière assemblée générale de l’œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs. Si les récentes polémiques sur l’abattage rituel ont remis la bien-traitance des bêtes de boucherie (ou plutôt son absence) sur le devant de la scène, des progrès restent à faire au-delà de ce contexte particulier.

Mais que se passe-t-il dans nos abattoirs Les animaux seraient-ils devenus de la vulgaire “viande sur pattes” ? Les services de contrôle servent-ils à quelque chose ? Pourquoi les associations de protection animale ne communiquent-elles pas davantage ? Est-il encore possible de manger de la viande ? Un label rouge ou “bio” garantit-il que les animaux ont été correctement abattus Pourquoi mange-t-on halal ou casher sans le savoir ? » Notre confrère Jean-Pierre Kieffer, président de l’œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), plante le décor dès les premières lignes de son rapport moral présenté lors de la dernière assemblée générale de l’association, le 27 mars dernier au Sénat. Il faut dire que l’abattage et les abattoirs ont fait l’objet d’une médiatisation croissante ces derniers mois, accompagnée de multiples interrogations et d’une prise de conscience des consommateurs. « Ils ont compris que pour obtenir de la viande, il fallait tuer des animaux. » Face à cette situation, l’OABA a souhaité affirmer son rôle d’information avec objectivité. Une information qui doit s’effectuer à plusieurs niveaux. « Il y a encore beaucoup à faire pour améliorer les conditions d’abattage des quarante millions d’animaux de boucherie, des quarante millions de lapins et des neuf cent vingt millions de volailles abattus chaque année en France », résume notre confrère, qui reconnaît toutefois les améliorations apportées aux cours des dernières décennies.

Le but n’est pas de stigmatiser des pratiques religieuses

Ce débat est d’autant plus important pour les vétérinaires qu’ils y ont toute leur légitimité. « Ils ont un rôle à jouer tout au long de la vie de l’animal, particulièrement quand elle s’achève, dans les abattoirs », estime Fanny Allmendinger, qui exerce dans le Bas-Rhin. Et il y a fort à faire. Récemment, les controverses sur la viande halal ont remis l’abattage rituel sur le devant de la scène. « De nombreux consommateurs ignorent ce qu’il y a derrière. Nous avons même vu des promotions pour des eaux de source halal… », indique notre consœur. Cette confusion n’est pas propice à l’avancée des débats. « Nous regrettons que le sujet soit devenu polémique depuis plusieurs semaines. Beaucoup de personnes se sont émues de voir apparaître des restaurants “halal” ou encore de la publicité pour de tels produits. Certains politiques ont tenu des discours bien éloignés des préoccupations de l’OABA », s’indigne ainsi Jean-Pierre Kieffer. L’association rappelle en effet que le but n’est pas de stigmatiser des pratiques religieuses ou certaines communautés, mais de dénoncer des souffrances inacceptables infligées aux animaux. « Qu’au nom d’un culte, quel qu’il soit, des millions d’animaux soient égorgés en pleine conscience, sans étourdissement, n’est pas tolérable, alors que la raison première de la création de l’OABA était de rendre obligatoire l’étourdissement des animaux afin de réduire les souffrances induites par leur mise à mort. » Cette opposition à l’absence d’étourdissement est d’ailleurs partagée par les trois quarts des concitoyens, comme le montre un sondage Ifop réalisé en décembre dernier. La Fédération des vétérinaires européens considère aussi clairement que « l’abattage des animaux sans étourdissement préalable est inacceptable, quelles que soient les circonstances ». Des preuves scientifiques appuient le bien-fondé de cette position. Ainsi, « l’analgésie que procure l’étourdissement électrique est démontrée. Elle est de neuf minutes selon les études fondées sur les stimuli douloureux, précise ainsi Henri Brugère, professeur à l’école d’Alfort et président de l’Académie vétérinaire de France. Les religions se respectent, mais les traditions évoluent. Pourquoi la façon d’abattre les animaux resterait-elle figée ? ».

« La décision appartient désormais au pouvoir politique »

Des études scientifiques publiées par l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’Institut national de la recherche agronomique, l’Académie vétérinaire de France, ainsi que des tests réalisés dans des abattoirs pour le compte des professionnels de l’abattage et de l’OABA (avec le concours de l’Institut de l’Elevage) mettent en évidence la lente perte de conscience des bovins et des veaux après l’égorgement. « Or, pour se plier aux cadences rapides dans les abattoirs, des bovins sont suspendus encore conscients, accrochés par un pied, la tête en bas, la gorge tranchée pour une agonie qui peut durer plusieurs minutes », s’insurge Jean-Pierre Kieffer.

Face à cette situation, notre confrère réaffirme que le seul moyen de concilier la pratique du culte avec les cadences des abattoirs et les demandes de l’OABA est d’assommer l’animal immédiatement après son égorgement. « A défaut d’étourdissement préalable, ce soulagement après l’égorgement paraît un compromis acceptable. Il est déjà appliqué dans certains abattoirs français et plusieurs abattoirs étrangers (Irlande, Finlande, Danemark, Autriche, Australie). »

Le Syndicat national de l’industrie de la viande vient en outre de saisir le ministre de l’Agriculture pour demander la généralisation de l’insensibilisation de l’animal immédiatement après l’égorgement rituel. « Les constats sont là. Les études scientifiques sont publiées. Les demandes des professionnels et des associations de protection animale se rejoignent. Plusieurs responsables des cultes sont favorables à ce que l’animal égorgé soit soulagé par une méthode qui l’insensibilise. »

La décision appartient désormais au pouvoir politique. Nicolas Sarkozy n’écrivait-il pas en décembre 2006, alors qu’il était ministre de l’Intérieur : « Je souhaite que les animaux souffrent le moins possible lors de leur abattage. Je souhaite que, dans toute la mesure du possible, l’étourdissement soit généralisé » ?

Améliorer la prise en compte de la douleur animale nécessite formation et information

Egalement dans un souci de bien-traitance, une expertise scientifique collective relative à la douleur animale est en cours. « Elle a été commandée à l’Inra par les ministres de l’Agriculture et de la Recherche à la suite des rencontres “Animal et société” », explique Marie-Aude Montely, du bureau de la protection animale de la Direction générale de l’alimentation (DGAL). Le défi est de l’aborder sous l’angle scientifique, mais aussi socio-économique. « La formation et l’information sont deux points que nous avons à développer », souligne notre consœur.

Un règlement sur la protection des animaux dans le cadre de leur mise à mort a par ailleurs été publié en novembre dernier. « Le travail nécessaire pour aboutir au changement des pratiques apportera une nouvelle dynamique », estime Marie-Aude Montely, qui s’appuie sur deux exemples importants : la nécessité de désigner un responsable de la protection animale dans chaque abattoir et l’obligation, pour les opérateurs, de se doter d’un plan de maîtrise du bien-être. « La mise en place de ce plan, qui doit être écrit, permet une démarche de progrès. »

« Si nous avons pu regretter certaines conséquences de la révision générale des politiques publiques (RGPP), pour le moment, les personnels en charge de la protection animale sont toujours là », remarque également notre consœur, qui se félicite de la mise sous assurance qualité des services vétérinaires depuis janvier dernier pour tout ce qui relève des méthodes d’inspection. « Cela couvre notamment les activités liées à la protection animale en élevage. D’ici à trois ans, toutes les missions des services vétérinaires se feront sous accréditation. »

Du débat sur la délégation des actes aux Etats généraux du sanitaire

Parce que la protection animale ne se cantonne pas aux abattoirs, et toujours pour accompagner l’actualité, l’assemblée générale de l’OABA a aussi été l’occasion d’évoquer les Etats généraux du sanitaire, qui doivent en particulier définir les limites de l’acte vétérinaire. Certains syndicalistes agricoles revendiquent en effet la possibilité de réaliser différents actes de médecine et de chirurgie chez les animaux de leur exploitation. Des éleveurs pratiquent ainsi des césariennes sur leurs vaches dans des conditions inacceptables en termes de protection animale. « Est-il normal d’envisager la réalisation régulière d’actes douloureux dans le cadre d’un élevage ?, s’interroge l’OABA. L’éleveur peut difficilement évaluer la souffrance animale et ne dispose pas de tous les moyens pour l’éviter ou la maîtriser. Une analgésie efficace fait appel à l’anesthésie locale ou tronculaire ou à des substances dont les exploitants ne peuvent pas disposer pour des raisons de santé publique ou des risques d’accident. Les produits auxquels ils ont accès ne permettent pas de maîtriser la douleur des actes chirurgicaux. » Le tribunal de Dijon a déjà été clair sur les exercices illégaux de la médecine et de la chirurgie en condamnant des éleveurs pour avoir pratiqué des césariennes chez des vaches de race blanc-bleu-belge. Mais l’OABA va plus loin, estimant que « certains actes habituellement pratiqués par les éleveurs mériteraient d’être remis en cause comme la castration, la caudectomie systématique des porcelets ou la section des dents ». De nouveaux débats en perspective.

La Corse lutte contre les abattages “clandestins”

Le Syndicat mixte de l’abattage en Corse (Smac) a reçu le prix Gil Raconis. « Le secteur de l’élevage sur l’île, en raison du faible volume d’abattage, de son caractère saisonnier et d’une mauvaise gestion des abattoirs publics, a connu de grandes difficultés, a rappelé Jean-Pierre Kieffer. En Corse, la moitié des bovins, 75 % des porcs et 80 % des ovins et des caprins sont abattus “hors abattoirs” dans des conditions qu’il est facile d’imaginer… »

Face à cette situation, l’assemblée de Corse a demandé au préfet d’autoriser la création du Smac, en 2003, afin de développer et d’organiser l’abattage. Cela a permis de lancer plusieurs projets, certains concrétisés, d’autres en cours, comme la rénovation de l’abattoir de Porto-Vecchio, la programmation d’investissements (pour la réfection des sols des stabulations, la mise en place d’un nouveau piège de contention et d’un poste d’étourdissement à l’abattoir porcin de Bastelica) et la construction d’un nouvel abattoir porcin à Cozzano.

« Le Smac ne gère que les abattoirs de Corse du Sud, ce qui représente trois établissements en fonctionnement, deux en cours de rénovation et un projet de reconstruction à Sartène. L’abattoir de Ponte-Leccia, le plus grand de l’île, appartient en effet au conseil général de Haute-Corse », a précisé Jean-Pierre Kieffer.

Le prix Gil Raconis encourage le travail de l’équipe du Smac, dirigée par Jean-Pierre Giansily, « attentive au respect des règles de protection animale dans les structures qu’elle gère, soucieuse de proposer des produits de qualité et de lutter ainsi contre les abattages “clandestins” ».

M. N.

Des constats dramatiques

Dans son rapport d’activité, l’OABA dresse un constat pessimiste de l’année écoulée. 31 procédures pénales ont notamment été initiées, au lieu de 18 en 2008. Et depuis le début de cette année, 11 plaintes ont déjà été déposées. « Ces statistiques sont alarmantes et révèlent un profond malaise dans nos campagnes, estime Frédéric Freund, directeur de l’OABA. En effet, la majorité de ces procédures concernent des bovins, des ovins, des caprins et des équidés délaissés par leurs détenteurs. Ces chiffres sont d’autant plus inquiétants que l’association n’a connaissance que d’une infime partie de la misère et de la souffrance animales. »

Durant les six derniers mois, l’OABA a eu connaissance de plusieurs événements dramatiques, comme la découverte par un propriétaire isérois de plusieurs de ses chevaux et brebis agonisants, abattus au fusil. Du bétail a également été pris pour cible en Moselle, ainsi qu’un cheval dans le Calvados. Outre l’utilisation d’armes à feu, d’autres actes de cruauté ont été relevés par l’association, notamment des sévices sexuels sur des chèvres près de Béziers et chez un équidé dans la Nièvre, la découverte d’une jument décapitée et de ses quatre membres sectionnés dans un pré du Morbihan, l’abattage et le dépeçage d’une génisse chez un éleveur de Limoges, ou encore la mise à mort sauvage de deux vaches à coups de couteau dans le Puy-de-Dôme.

M. N.
Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr